Beyrouth (Liban).– C’est dans une ville brisée que se sont réveillés mercredi matin les habitants de Beyrouth. De multiples éclats de verre jonchaient encore les rues, stigmates des deux gigantesques explosions survenues la veille aux alentours de 17 heures sur un site de stockage du port de la capitale libanaise.
Les vitres, les portes et parfois même les murs de nombreux bâtiments dans différents quartiers ont été soufflés par la force de la double déflagration, ressentie jusqu’à Chypre, à quelque 200 kilomètres. « L’apocalypse », titrait mercredi matin le quotidien francophone local L’Orient-Le Jour, en référence aux scènes de chaos un peu partout dans la capitale.
Un bilan non définitif de la la Croix-Rouge, mercredi matin, fait état d’au moins 113 morts et 4 000 blessés. 300 000 personnes se retrouvent sans-abri. Une journée de deuil national a été décrétée par le gouvernement.
« Le plafond de notre appartement s’est effondré sur nos têtes », raconte un habitant du quartier de Gemmayzé – à moins de deux kilomètres du port – rencontré mardi soir. « Nous attendons des nouvelles de ma tante qui a été blessée à la tête », explique-t-il, devant les urgences de l’hôpital privé Hôtel-Dieu de France.
Un étudiant en médecine a été mobilisé pour faire face à l’afflux de victimes : « Je ne sais pas combien de patients ont été admis mais ce qui est sûr est que nous avons des blessés graves et des morts. »
Pendant ce temps, les ambulances de la Croix-Rouge défilent avec à bord des sauveteurs revêtus d’équipements de protection contre l’épidémie de Covid-19, qui connaît un regain de propagation ces derniers jours dans le pays.
Assise sur une chaise, une travailleuse domestique éthiopienne avec plusieurs points de suture apparents sur le front attend. « Je n’ai pas de téléphone et je ne connais pas le numéro de mon employeur pour le prévenir », confie-t-elle, avec les yeux humides, visiblement sous le choc. Un numéro d’urgence a finalement été mis en place pour pouvoir s’enquérir des personnes disparues.
Beaucoup ont d’abord cru à simple tremblement de terre ou à un bombardement israélien. Les tensions avec le voisin du sud étaient en effet particulièrement fortes depuis plusieurs jours. L’État hébreu a cependant démenti toute implication et proposé son aide au Liban.
Selon les autorités libanaises, un incident dans un entrepôt contenant environ 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium stockées « sans précaution » depuis six ans serait en cause. D’après des informations de Reuters, le cargo Rhosus, sous pavillon moldave, avait fait escale à Beyrouth en septembre 2013 en raison de problèmes techniques alors qu’il devait relier la Géorgie au Mozambique avec 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium dans ses soutes. Après une inspection, il lui avait été interdit de repartir, et le cargo avait ensuite été abandonné par ses propriétaires. Son contenu avait été déchargé dans le hangar 12, qui a explosé mardi.
Le directeur général des douanes libanaises, Badri Daher, a déclaré à la chaîne de télévision LBCI qu’entre 2014 et 2017, ses services avaient averti à cinq reprises la justice des risques liés à la présence de nitrate d’ammonium dans le port. Une autre source proche d’un salarié du port a témoigné qu’une équipe ayant inspecté le nitrate d’ammonium il y a six mois avait mis en garde contre le risque qu’il « fasse sauter la totalité de Beyrouth » s’il n’était pas déplacé.
« Je vous promets que les responsables de cette catastrophe en paieront le prix », a assuré le premier ministre Hassan Diab mardi lors d’une allocution télévisée. Une enquête est en cours pour déterminer ce qui a provoqué l’explosion du stock.
Plusieurs pays, dont la France, ont exprimé leur soutien au Liban. « Des secours et des moyens français sont en cours d’acheminement sur place […] La France se tient aux côtés du Liban toujours », a notamment déclaré sur Twitter le président de la République française Emmanuel Macron. Le ministre français des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian était d’ailleurs en visite au Liban quelques jours plus tôt.
Le ministre de la santé Hamad Hassan a pour sa part demandé l’aide de l’Organisation mondiale de la santé. Il s’est également engagé à ce que toutes les victimes soient soignées aux frais de l’État. Une promesse qui laisse certains sceptiques étant donné les retards de paiement de l’État aux hôpitaux privés, assurant une grande partie des prestations du secteur, et alors que le pays fait face depuis début octobre à sa plus grave crise économique depuis la fin de la guerre civile (1975-1990).
« Pour l’instant nous soignons tous les blessés, nous ne leur demandons que leur nom et leur numéro de téléphone », assure toutefois Michael Cherfan, directeur général de l’hôpital l’hôpital Beirut Eye and ENT Specialist. Six patients ont été opérés des yeux en milieu de soirée, en raison de blessures causées par des éclats de verre.
Le président de la République libanaise Michel Aoun a par ailleurs réclamé que des abris soient mis à disposition des familles sans toit. Beaucoup de Beyrouthins redoutent cependant le nouveau fardeau des coûts de réparation de leurs habitations, alors que le taux de chômage dépasse les 30 % de la population, qu’un Libanais sur deux vit désormais sous le seuil de pauvreté et que le prix des matériaux de construction importés a explosé.
Justine Babin