“Neveh Daniel est une communauté rurale”, peut-on lire dans un manuel scolaire sur la société israélienne “racontée” par Shulamit, une fillette de 9 ans. “La communauté se situe dans le district de Judée et Samarie [Cisjordanie] et fait partie du conseil régional du Gush Etzion. La région était déjà peuplée de Juifs à l’époque biblique, et l’Ancien Testament rapporte plusieurs événements qui s’y sont produits. C’est par exemple ici qu’ont été enterrés les quatre Patriarches et les quatre Matriarches et que se sont déroulées les histoires du roi David et du Livre de Ruth.”
Le manuel de quarante pages destinés aux enfants de CM1 est censé leur donner un aperçu des diverses communautés composant la société israélienne. Il y a pourtant un détail qui n’est pas mentionné : les voisins palestiniens de Shulamit n’ont pas les mêmes droits qu’elle et sa famille. Le fait est résumé en cinq mots à la fin d’une phrase : entre 1,7 million et 2,9 millions de Palestiniens vivent dans “la région appelée ‘Judée et Samarie’”, dit le livre, mais ils “ne sont pas citoyens israéliens”.
Ce manuel ne dit nulle part que le pouvoir israélien contrôle la vie de plusieurs millions de Palestiniens. En fait, explique Avner Ben-Amos, professeur à l’université de Tel-Aviv, la question de l’occupation israélienne est rarement évoquée à l’école. Alors que le gouvernement israélien envisage d’annexer de nouveaux territoires en Cisjordanie, les écoles du pays continuent d’utiliser des livres comme celui de Shulamit et des cartes où ne figure pas la ligne verte [marquant les lignes officielles d’armistices de 1949 entre Israël et ses voisins arabes].
Ben-Amos a étudié comment l’occupation des Territoires [palestiniens] était abordée dans les manuels scolaires du primaire et du secondaire. Dans la plupart des ouvrages, “la domination des Juifs et le statut inférieur des Palestiniens sont présentés comme des faits naturels, une situation évidente à laquelle il n’est pas besoin de réfléchir”, écrit-il.
“Tentative de dissimulation et de censure”
Ben-Amos a examiné la façon dont sont présentées les ramifications de la guerre des Six Jours [juin 1967] dans les ouvrages scolaires utilisés dans les écoles publiques et les écoles religieuses publiques du primaire et du secondaire. Il s’est penché sur les livres d’histoire, de géographie et d’éducation civique, ainsi que sur les contenus informels, comme les ateliers et les sorties réservées aux lycéens.
Les ouvrages scolaires doivent recevoir l’approbation du ministère de l’Éducation qui, sous l’égide de Limor Livnat [ex-ministre de l’Éducation, membre du Likoud], s’est opposé entre 2001 et 2006 à plusieurs parutions présentant le point de vue palestinien sur ces questions.
Ben-Amos estime que les ouvrages scolaires publiés durant les trente années suivant la guerre de 1967 se caractérisent par un ton général “d’autosatisfaction et de fierté sans limite”, explique-t-il. Seule exception, un livre de Ruth Kleinberger, qui consacre quatre pages au débat entre la gauche et la droite sur l’avenir de la Cisjordanie et décrit les racines théologiques et idéologiques de la colonisation.
On a accordé très peu de place à la reconnaissance de la colonisation [juive en Cisjordanie] ces vingt dernières années, et encore moins à ses répercussions, poursuit Ben-Amos, qui y voit une manœuvre délibérée : il s’agit d’une “tentative de dissimulation et de censure”. Certains livres d’histoire s’interrompent en 1970, ce qui suggère “une volonté d’éviter de traiter d’un passé potentiellement controversé”, analyse Ben-Amos. Un ou deux ouvrages présentant une vision plus complexe de l’histoire, ont été revus et corrigés par le ministère de l’Éducation.
Ainsi que le rapportait Ha’Aretz en 2009, un de ces ouvrages reproduisait un extrait du livre d’un historien palestinien affirmant que la jeune armée israélienne s’était rendue coupable de nettoyage ethnique durant la guerre de 1948. D’abord autorisé par le ministère de l’Éducation, cet ouvrage a rapidement été rappelé et n’est retourné dans les écoles qu’après avoir été expurgé et en partie réécrit.
Dans un manuel destiné aux écoles publiques religieuses, la justification de la colonisation tient en quelques lignes, et la guerre de 1967 est décrite comme un acte de “libération” ayant permis le “retour de la Judée et Samarie, terres où ont vécu nos patriarches et matriarches, où a été fondé le royaume de David et Salomon, et berceau du peuple juif”.
Et si une poignée de livres scolaires portent encore un regard critique sur l’occupation israélienne en Cisjordanie, les travaux de Ben-Amos montrent qu’entre 2010 et 2019 aucune question sur les conséquences à long terme de la guerre ne figurait dans les examens équivalents au baccalauréat. Certains comportaient des questions sur “l’influence de la guerre des Six Jours pour Israël”, mais les bonnes réponses faisaient référence aux conséquences immédiates du conflit telles que l’expansion du territoire national et l’accès à certains sites sacrés.
Lorsqu’il s’agit du point de vue des Israéliens, il se limite généralement aux Juifs. “Il n’est pas question des conditions de vie des Palestiniens, explique un professeur d’une région du centre d’Israël. Les Palestiniens n’intéressent personne. Ils sont invisibles. C’est très commode pour le gouvernement.”
Dans les examens du baccalauréat israélien des vingt dernières années, aucune question n’a été posée sur les restrictions des droits des Palestiniens ou leurs relations avec l’État et les colons juifs. “C’est une sorte de tabou, reconnaît un professeur d’histoire du sud du pays.
“On ne parle pas des Palestiniens vivant sous un régime militaire, et les professeurs qui s’y risquent sont mal vus.”
Une région unifiée de la Méditerranée au Jourdain
En matière de géographie, Ben-Amos a découvert que, si les manuels ne faisaient pas l’impasse sur les tensions entre Israéliens et Palestiniens à propos du tracé des frontières, le contrôle par Israël des territoires de Cisjordanie était présenté “de manière à atténuer la violence [que l’occupation] implique”.
Dans le même temps, les références à la Bible sont nombreuses. On affirme que les “racines du peuple et de la culture juifs” se trouvent en “Judée et Samarie” [Cisjordanie] et l’on cite des passages de la Genèse et du livre de Josué évoquant la présence des Juifs dans la région. Dans les manuels de géographie, toute la région qui s’étend de la mer Méditerranée jusqu’au Jourdain est présentée comme un espace unifié, parsemé ici et là d’enclaves sous le contrôle de l’Autorité palestinienne.
“Ce n’est pas un simple déni, c’est un déni fondé sur le fait que les responsables de l’éducation connaissent la réalité dans ces territoires mais refusent de la reconnaître”, déclare Ben-Amos. Selon lui, les manuels scolaires opèrent par autocensure. En l’absence de directives claires, personne ne veut risquer d’atterrir sur une liste noire.
Or Kashti
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