L’Amazonie menacée
Le plus grand nombre d’incendies en Amazonie au cours des treize dernières années a été enregistré en juin 2020. Selon l’Instituto Nacional de Pesquisas Espaciais (INPE), 2248 foyers d’incendie ont été détectés. Cela signifie une augmentation de 19,57 % par rapport à juin 2019, l’année au cours de laquelle tout le monde avait pensé que les incendies, avec ses 1880 foyers de feu, avaient atteint un record et avaient tant attiré l’attention des médias pour avoir couvert le ciel de São Paulo avec de la suie provenant de la région amazonienne.
En marquant une fausse rupture avec le passé (et non un passé très lointain), on accuse aujourd’hui les Brésiliens et surtout son président d’extrême droite Jair Bolsonaro d’être les seuls responsables de ces tragédies. Cette explication partielle et simpliste oublie notamment un peu facilement le rôle joué par les intérêts économiques des pays du Nord. Généralement, on ne dit pas que l’Amazonie brûle depuis plusieurs décennies et, surtout, quelle est la raison principale pour laquelle elle brûle.
Il existe une fausse croyance selon laquelle l’Amazonie est détruite principalement pour satisfaire nos besoins en viande et en produits laitiers, une fois qu’une bonne partie de sa déforestation a lieu pour créer des pâturages ou pour faire pousser du soja transgénique. Les deux secteurs sont tournés vers la consommation interne et vers l’exportation, notamment pour nourrir des animaux d’élevage au Brésil et, notamment européens [1]. Cette thèse, quand elle est poussée à l’extrême justifie, par exemple, l’action de combat des végétariens et véganes. Mais elle n’explique pas tout.
Il est aussi curieux d’observer que l’Amazonie n’est pas seulement médiatisée par le fait qu’elle est un important réservoir de biodiversité, par son abondance de matières premières, ou même par son pouvoir de stocker une quantité importante de carbone, lequel est l’un des contributeurs de l’effet de serre – le danger étant que l’Amazonie cesse d’être un réservoir et devienne plutôt un émetteur de carbone, en raison précisément des incendies fréquents qui se produisent là-bas. Elle est également médiatisée parce qu’elle est la cible de projets publics d’environnement et de durabilité, avec lesquels de nombreux politiciens de l’ordre national et international, et des organisations parallèles, prennent les devants sans obtenir cependant aucun résultat conséquent, en raison de la nature stérile de ces projets.
Sans un projet de transformation du monde clair et décisif, comme nous allons le défendre plus loin, faire des manifestations en défense de l’Amazonie pour chercher à interdire les projets néolibéraux est presque aussi inoffensif que les pétitions collectives du genre « Pray for Amazon ». Sans parler de l’existence des « partis verts » (principalement européens) et de leur fonction de médiation hypocrite dans la réalisation des intérêts des entreprises des pays centraux. La tentative de minimiser les impacts négatifs sur l’environnement par une conception écologique conservatrice (c’est-à-dire basée sur l’existence de l’État, comme nous le verrons plus tard) est vouée à l’échec.
Rappelons d’abord que l’Amazonie est la plus grande forêt tropicale du monde, ou encore, qu’elle est le plus grand biome (ensemble d’écosystèmes) enregistré sur la planète. Elle compte environ cinq millions et demi de kilomètres carrés et comprend des territoires au Brésil, au Pérou, en Équateur, à Venezuela, en Colombie, en Guyane, au Suriname et en Guyane française (département d’Outre-Mer français). Comme l’explique le chercheur de l’INPE Alberto Setzer, ou même le chercheur Ted Feldpausch, de l’Université d’Exeter, au Royaume-Uni, et bien d’autres, il y a le fait que le climat plus sec et le plus chaud de ces dernières années déclenche des incendies (comme c’est le cas, par exemple, en Europe ou en Australie), mais ce n’est pas la principale cause des origines des feux en Amazonie, qui vient plutôt de l’activité humaine effectuée dans cette région (sauf les activités des Indiens et des ribeirinhos [2] qui ne contribuent pas à cette destruction).
Par conséquent, les incendies en Amazonie ne sont pas simplement un résultat du réchauffement de la planète lié surtout au taux élevé de pollution. Les incendies en Amazonie proviennent principalement de l’ampleur de la déforestation effectuée par des incendies criminels [3] et d’actes de dégradation dans la forêt, car les bûcherons et les mineurs cherchent à satisfaire les demandes de bois et d’or des grandes multinationales, les éleveurs de bovins ont besoin de grands hectares de terres pour leurs pâturages, les responsables de la production de soja transgénique de l’agro-industrie ont besoin d’exporter. Et bien sûr, nous ne devons pas oublier la fondation même (en 2016) du barrage hydroélectrique de Belo Monte dans le bassin de la rivière Xingu, crime qui augmente le déséquilibre environnemental, commis sous le gouvernement de Dilma Rousseff du PT, et qui a causé tant de morts et de misère dans la région.
Nous soutenons ici qu’il est illusoire de croire que la dégradation de la forêt amazonienne est liée au manque de volonté politique. Il est sans aucun doute épouvantable de savoir que les pouvoirs de l’État (législatif, exécutif et judiciaire) travaillent sans relâche pour accroître la déforestation et la dégradation de l’Amazonie. Ces institutions étatiques agissent par le biais, par exemple, de décrets et de projets de loi, ou encore, à travers du démantèlement de l’IBAMA et de la FUNAI [4], puisque l’objectif est d’augmenter le profit de l’élite brésilienne et des multinationales. Toutefois, pour ne pas tomber dans ce piège conceptuel, celui de la « volonté politique », il est important de savoir quelle est l’essence de l’État et sa fonction, au-delà de l’aspect que ce phénomène de dégradation des forêts – et la nature en général – ne se limite pas au Brésil. Cela se produit dans diverses parties du monde.
L’Amazonie est sans aucun doute menacée, systématiquement dévastée, et cela dénote, comme nous le défendrons ici, la dimension matérielle terrifiante de la logique irrationnelle et inhumaine du développement du capital et son actuelle crise structurelle.
Crise environnementale et reproduction destructrice du capital
C’est avec l’actuelle « crise structurelle du capital » (Mészáros, 2002) que l’approfondissement de la crise environnementale a atteint sa forme la plus destructrice. Le caractère irrationnel et dépensier du système du capital est propre à son abondance provenant de la destruction inarrêtable de la nature et de la surexploitation chaque fois plus intense de la force de travail.
Le capital subordonne la valeur d’usage à la valeur d’échange. Lorsque le capitalisme est devenu un mode de production prédominant, le développement des moyens de production n’est plus totalement interconnecté, ou subordonné, au développement des besoins humains. Dans la mesure où les moyens de production sont une partie organique du capital, ils ont même tendance, d’une part, à repousser les besoins humains et, d’autre part, à être de plus en plus l’expression de « besoins de la production ». La dynamique fondamentale est de sauvegarder l’expansion du capital. Ce n’est que de cette façon que nous pouvons comprendre pourquoi les progrès techno-scientifiques, liés aux moyens de production, réagissent négativement à la satiété des besoins humains ; lorsque parfois cette réponse est positive, c’est seulement parce qu’une telle réponse correspond à la logique intrinsèque de l’expansion du capital.
Bref : puisque les universités et les centres de recherche en général sont l’épicentre du développement techno-scientifique, ce n’est pas par hasard que dans le cas brésilien, un pays de capitalisme dépendant et tardif, il existe des accords entre de grands centres universitaires et des multinationales. Un cas typique est celui de l’Université de São Paulo (USP) et de l’Université d’État de Campinas (UNICAMP) avec Monsanto et Cargill, des entreprises néo-impérialistes intéressées par l’agro-industrie brésilienne. Le premier est le leader mondial dans la production de l’herbicide glyphosate, un pesticide dont l’effet cancérigène est prouvé et qui est utilisé sans discrimination au Brésil. Le second est responsable de la transformation des aliments, la fabrication et la vente d’aliments pour animaux, la distribution de céréales et d’autres produits agricoles, entre autres activités.
C’est en raison de cette prédominance des « besoins de la production » que la frontière de la consommation humaine réelle a toujours été violée, soit par une grande masse de produits jetables, soit par la consommation de produits de luxe. Ces deux types, cependant, visaient la consommation d’une partie de plus en plus concentrée de la population mondiale – car nous devons considérer qu’après la grande crise des capitaux des années 1965-1970 et les restructurations productives successives, une production n’a plus été réalisée visant à servir une masse mondiale de consommateurs. Le mouvement de la valeur d’échange elle-même commence alors à engendrer à la fois les besoins de consommation artificielle pour un « public spécifique » et la production inutile et l’intensification du processus d’obsolescence programmée, mettant ainsi en place l’épuisement des ressources naturelles non renouvelables et la production d’une quantité monumentale d’ordures qui subventionnent le processus de dévastation non seulement des forêts mais aussi de la planète.
En d’autres termes, la croissance démographique (qui ralentit actuellement) n’est pas la cause de l’élargissement de l’exploitation de la nature par l’homme. Il est indéniable que les « pays centraux » sont les plus grands consommateurs de ressources naturelles et de richesses sociales. En ce sens, l’expansion de la consommation se produit de manière inégale dans le monde, puisque la plus grande partie de la population mondiale, formée par les pays dits périphériques, a une consommation totale d’énergie et une production industrielle minimales si on les compare, par exemple, à celles des États-Unis. Pour donner une idée, les États-Unis, qui ne comptent que 5 % de la population mondiale, consomment 25 % de toute l’énergie produite dans le monde [5] et utilisent un quart de toutes les ressources de la planète. Ils sont également l’un des pays responsables d’une grande partie des émissions de dioxyde de carbone provenant de la combustion de combustibles fossiles – des ressources naturelles qui ne sont pas renouvelables au fil du temps humain, mais à l’échelle de temps géologique, comme le signale le Global Footprint Network.
Il est alors possible de réaliser que le facteur de productivité est viscéralement lié au facteur destructeur dans le circuit d’accumulation accélérée du capital et son expansion. C’est aussi cela la clé, comme l’explique Mészáros (2002), pour pouvoir comprendre pourquoi le complexe militaro-industriel est fondamental dans le processus d’expansion monumentale du système productif et d’accumulation de grands capitaux et, consécutivement, de destruction rapide des richesses sociales. La surproduction de ce complexe n’est pas un obstacle à la chaîne d’absorption de ces biens, puisqu’ils n’ont pas nécessairement besoin d’être consommés.
Dans la ligne de raisonnement de Mészáros, Lessa explique (2012, p. 63) :
« … Les États-Unis ont produit suffisamment de bombes atomiques pour détruire le monde 66 fois ; l’ex-URSS, pour détruire le monde encore 33 fois. D’un point de vue militaire, c’est un non-sens. Comme la victoire militaire doit être obtenue au coût le plus bas possible, il ne sert à rien de produire suffisamment de bombes pour détruire la planète 99 fois. Il suffit de le détruire une fois. L’arsenal nucléaire n’a pas été produit pour être utilisé dans une guerre ; au contraire, il a été construit parce qu’il était une source presque parfaite de profits : l’État était l’acheteur sûr (parce qu’il est dominé par les mêmes forces économiques qui contrôlent également les industries de l’armement), et le profit a été réalisé au moment de la vente ; les armes n’ont même pas besoin d’être consommées par l’État pour générer des profits. »
L’impulsion à la consommation rapide est typique de cette « reproduction élargie du capital », ou même de cet engrenage du système de production, intrinsèque au XXe siècle et jusqu’à nos jours, et de sa course débridée visant une large accumulation – sans laquelle cet engrenage n’est pas perpétué. Cela couvre tous les secteurs de l’économie et de ses produits : viande, acier, papier, bois, soja, médicaments, voitures, vêtements, etc. Cela signifie qu’il ne manque pas de consommer un produit x ou z qu’un groupe d’individus inversera cette tendance d’expansion et d’autoreproduction du capital et, par conséquent, la destruction de l’Amazonie et de plusieurs autres forêts importantes qui restent sur la planète. Ce qu’il faut faire, donc, c’est démolir le capital !
Ce cercle vicieux entraîne également l’augmentation du chômage, dans la mesure où l’extraction de la plus-value demande des instruments technologiques qui réduisent le besoin d’une grande quantité de main-d’œuvre. Ainsi, la production destructrice, par le biais du chômage, est aussi celle de la destruction des personnes. En d’autres termes, la production destructrice du capital implique forcément l’anéantissement des produits et de leurs producteurs. Et, par extension, la destruction de l’équilibre écologique de la planète.
Tom Thomas nous explique à cet égard dans son dernier livre Ville et capital (2019, p. 72) :
« Déjà en son temps Marx parlait des prolétaires comme étant « une classe expulsée de la société » lorsqu’il s’agit de jouir « des avantages » que, pourtant, ils ont contribué au premier chef à créer. Aujourd’hui l’expulsion va au-delà. Une quantité de plus en plus importante d’individus sont devenus carrément inutiles au capital, n’existent plus à ses yeux que comme poids morts, et comme danger. Autrefois les chômeurs formaient pour le capital une « armée de réserve » : ils étaient utilisés dans les périodes d’expansion. Mais avec la sénilité du capital arrive aussi l’époque où le chômage devient permanent pour beaucoup qui, dès lors, par centaines de millions dans le monde, ne sont pas même « en réserve », mais « en trop ». »
Si le processus d’accumulation du capital a lieu aujourd’hui à travers une guerre sanglante de capture des ressources naturelles, par le biais d’une course effrénée pour l’appropriation de toutes les plus-values (absolues et relatives) produites par la planète, ce même processus déclenche également l’anéantissement d’une quantité monumentale de ressources humaines et matérielles. Il n’y a donc pas de rationalité fondée sur des intérêts sociaux et écologiques, bien au contraire ! Ce n’est qu’en comprenant cette dynamique de reproduction destructrice du capital que nous pouvons tracer ce qu’est le « vrai » intérêt pour l’Amazonie et pourquoi elle est sans cesse brûlée.
Quant à l’annihilation des ressources humaines, nous attirons également l’attention sur le fait que le Brésil est l’un des pays fondamentaux dans la structure du capital mondial – c’est ce qui lui a donné le titre de « pays émergent ». Cela est dû à trois aspects. Tout d’abord, il est doté d’une nature vierge (l’Amazonie et d’autres réserves naturelles) prête à être transformée en plus-value. Deuxièmement, ce pays-continent offre une main-d’œuvre à bon marché et docile, étroitement contrôlée par l’État (et ses syndicats paillassons). Ce n’est pas un hasard si les travailleurs brésiliens n’ont pratiquement pas eu droit au confinement dans la pandémie actuelle du Covid-19, puisqu’ils ont été poussés à travailler pour pouvoir manger. Une grande partie de la population n’a même pas bénéficié des miettes de la soi-disant « aide d’urgence » [6]. Troisièmement, la classe dirigeante brésilienne est pleinement constituée et subordonnée au système de capitaux mondiaux, c’est-à-dire qu’elle est un des partenaires minoritaires du capital international. C’était à cette élite – celle qui a hurlé avec son président néofasciste « que meurent ceux qui doivent mourir » – d’inciter le prolétariat à travailler dans la crise sanitaire actuelle pour bien servir les pays capitalistes centraux et ainsi se préserver en tant que classe dominante de la périphérie. Il était également essentiel que les pays à la périphérie des capitaux mondialisés (y compris le Brésil) ne cessent pas la production afin que des pays comme les États-Unis, la Chine et les plus riches d’Europe puissent minimiser leurs pertes économiques et leurs décès. S’ils ne pouvaient pas accumuler in locus pendant une brève période, cela devrait se faire encore à la périphérie du capital.
Le sophisme de la thèse de la « volonté politique »
En rappelant une fois de plus les enseignements de Marx dans Le Capital, on peut dire que la capacité tendancielle de la production à être supérieure à celle de la consommation et, consécutivement, le déclenchement de la baisse des prix, entraînent la baisse du taux des profits et qu’alors la crise s’installe. Pour remédier à ce cercle vicieux, il faut baisser la valeur de la main-d’œuvre et augmenter la technologie, ainsi le chômage croît, la capacité de consommation est alors compromise et la contradiction s’aggrave…
C’est cette dynamique sociale, qui n’est pas basée sur la satisfaction des besoins humains, mais plutôt sur la réalisation perpétuelle de l’intérêt du capital, qui fait que, selon l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano (1940-2015), « si la nature était une banque, elle aurait été sauvée ».
Si, dans le passé, le pouvoir politique (l’État moderne) ne se limitait qu’à certaines fonctions fondamentales de garantie de l’ordre et de la propriété, de légitimité idéologique et de soutien juridique, cette même institution a été convoquée, à partir de Keynes, à partir du New Deal, en passant par l’expérience du Welfare State, jusqu’à nos jours (Mészáros, 2002, p. 675-700), à agir directement dans l’opposition de cette tendance à la baisse du taux de profit.
En outre, l’État est lui-même le gérant des contradictions sociales, dans le sens des intérêts de la classe dirigeante. L’État assume ainsi, et ce n’est pas une nouveauté, des programmes politico-économiques soi-disant « néolibéraux », d’une manière de plus en plus répressive. Dans l’ère actuelle d’aggravation de la crise systémique, il transfère une partie de l’excédent de capital sous forme d’impôts aux capitalistes, qui utilisent les fonds publics pour faire leurs investissements, garder leurs entreprises debout et, par conséquent, leurs bénéfices. Ainsi, il y a un changement dans les dépenses de l’État (jamais aussi élevés que depuis les années 1980) qui migreront des dépenses sociales aux dépenses militaires, des subventions à l’initiative privée, du soutien aux institutions financières (le sauvetage des banques).
Nous pouvons alors affirmer que la logique génocidaire et destructrice de l’environnement de Bolsonaro est la même logique génocidaire et destructrice de l’environnement que celle du capital. Nous devons aussi considérer, au vu du déroulement de la crise structurelle du capital, qu’au niveau national, celui d’une certaine « autonomie relative », l’économie brésilienne a déjà connu un épuisement avec l’économie politique « néo-keynésienne » des gouvernements PT (c’est-à-dire accroître l’économie du pays à travers l’endettement et la privatisation des entreprises d’État). C’était alors à Bolsonaro de livrer c’est qui restait à livrer, c’est-à-dire le reste de Petrobas (Pré-sal) et de l’Embraer, aux États-Unis et de prolonger la privatisation, en particulier de la santé et de l’éducation. Il lui revient également de faciliter davantage la spoliation continue des ressources naturelles à la fois demandée par l’agrobusiness local et les multinationales. Il n’y a pas d’espoir pour l’avenir proche. Le Brésil n’a pratiquement pas de croissance du PIB aujourd’hui, en raison de la récession économique dans laquelle il est plongé et une hécatombe de victimes du Covid-19 et de faim y est en cours.
C’est une illusion de croire, comme le soutiennent de nombreux militants de gauche (ou libéraux de gauche), qu’en maintenant l’État, la propriété privée et le capital, on peut, par « bonne volonté politique », changer le cours de la destruction de l’Amazonie et de l’environnement en général. L’État, à travers sa propre structure, sa constitution interne et ses politiques publiques, a toujours agi de manière décisive pour maintenir le statu quo ; cette institution rentre dans la nouvelle ère de l’accumulation à l’échelle mondiale en tant qu’agent des appétits insatiables du capital. Aucun État, pas même ceux qui ont composé et composent le bloc des pays « socialistes », n’avait la capacité de prendre une autre voie.
Si l’on regarde de près, c’est à partir des années 1980, dans les pays centraux, et dans les années 1990, dans les pays périphériques, que l’État a commencé à promouvoir l’ouverture des marchés et à libérer l’accès des capitaux privés aux activités qui étaient auparavant largement déléguées à l’État (éducation, santé, fonds de pension, retraites, etc.). L’État brésilien ne fait certainement pas exception.
L’État et son appareil, en particulier répressif, ont toujours été essentiels au processus d’accumulation et d’expansion du capital. Comme cette sphère n’est pas autonome (c’est-à-dire que l’État n’est pas séparé de l’économie), il est incapable, même en ayant élargi ses fonctions, de faire face aux crises cycliques, et maintenant structurelles, du capital. Cette croyance qu’il y a une séparation entre l’économie et l’État (ou la politique) favorise même la dissimulation de l’exploitation du travail, qui est la véritable source de richesse, par le capital. Cette conception reproduit et intensifie (mais ne surmonte pas) l’antinomie entre liberté formelle et inégalité sociale réelle.
Tous les gouvernements sans exception, en tant que « personnifications du capital », sont essentiellement soumis à l’ordre social englobant de cette entité sociale infâme qu’est le capital, voire le capital dans sa « phase sénile », pour utiliser l’expression de Tom Thomas (2017). Ils ont tendance à mettre sur le parcours politico-économique, appelé par de nombreux « néolibéraux », qui n’ont que des raisons d’exister parce qu’ils répondent aux intérêts de l’accumulation de capital. En effet, cette voie « néolibérale » n’est que la voie même du capital dans sa crise structurelle. Cette crise engendre, d’une part, un chômage structurel et, d’autre part, l’augmentation (ou déclenchement) de la précarité du travail et la baisse de la valeur réelle des salaires. Enfin, les gestions gouvernementales et toutes leurs « volontés politiques », une fois fondées sur la défense de la propriété privée et du profit (et ainsi du capital qui se base sur l’achat et la vente de la force du travail), et donc sur les forces répressives, en perdant le contrôle de la gestion du chômage, de la pauvreté et, par conséquent de la violence, non seulement intensifient l’antagonisme social, mais appellent à juste titre à l’élimination de la « classe subalterne » (en utilisant une expression de Gramsci, 2004). Ce n’est qu’en comprenant cet aspect de la réalité qu’on peut comprendre, par exemple, les pratiques cyniques du gouvernement suédois envers ses personnes âgées dans la pandémie du Covid-19.
La profonde crise structurelle dans laquelle nous sommes tous submergés, avec ses dangers pour la survie de l’humanité, exprime avec acuité son caractère incontrôlable et cette incontrôlabilité ne doit pas simplement être taxée de « néolibérale » : elle est propre au cours irrationnel et dévastateur du « capital automate » (Thomas, 2017). Ce n’est pas l’État élargi (qui serait pour certains « anti-néolibéral ») qui est un antidote à la crise structurelle dans laquelle nous vivons, puisqu’il fait partie de l’engrenage du capital. Il est donc indispensable de critiquer radicalement l’État, qu’il soit démocratique (privilège des pays riches, mais qui ne remplit plus pleinement sa fonction en raison de ses pertes de droit constantes et croissantes) ou dictatorial (en particulier ceux de la périphérie du système). Lutter pour l’émancipation humaine, l’émancipation du travail, et donc lutter en faveur d’un besoin urgent de constituer un nouveau métabolisme social basé sur le travail associé [7], suppose que l’État doit devenir une institution du passé.
Conclusion
La déforestation de l’Amazonie et, plus largement, la crise environnementale sont donc le résultat des contradictions inhérentes au mode de production capitaliste qui ne peuvent être bien comprises que si l’on considère les structures fondamentales de la sociabilité régies par le capital et le caractère indispensable de son dépassement. Le processus croissant et irrémédiable de la dévastation environnementale est inhérent à l’autoreproduction du capital et à sa crise structurelle. Tous les efforts visant à contenir le changement climatique par le biais d’investissements technologiques n’auront pas d’effets positifs si la science reste liée aux intérêts de la productivité et ne répondent pas aux besoins humains réels.
Un projet de transformation d’un monde clair et décisif, est un projet qui doit partir de la perspective de l’émancipation du travail, perspective par laquelle on peut reconstruire la relation entre l’être humain et la nature – relation qui trouve sa médiation par la façon dont l’humanité peut concevoir collectivement sa richesse et sa distribution. Seule une nouvelle société, une société authentiquement communiste de producteurs librement associés, est l’alternative à la barbarie dans laquelle nous sommes aujourd’hui soumis à l’échelle mondiale.
Tatiana Fonseca Oliveira
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