Le 26 août 1920, le 19e amendement est intégré à la Constitution des Etats-Unis, interdisant toute restriction liée au genre dans l’accès au suffrage. Un siècle plus tard, il donne lieu à de nombreuses commémorations aux Etats-Unis, dans le contexte particulier de la campagne présidentielle.
Les événements qui ont mené à sa ratification, et ceux qui ont suivi, nous montrent cependant que l’histoire du droit de vote aux Etats-Unis n’a jamais été celle d’un progrès linéaire. Mais qu’elle est faite d’avancées et de régressions liées aux diverses mobilisations et actions pour, mais aussi contre, ce droit fondamental.
Lorsque la Constitution est adoptée, en 1787, l’organisation des élections et l’accès au suffrage sont définis comme relevant de la prérogative des Etats composant le nouveau pays. Seul le New Jersey avait choisi de donner le droit de vote aux femmes – sous condition de propriété –, une anomalie par rapport aux autres Etats qui prend fin en 1807. Dans la première moitié du XIXe siècle, le droit de vote est élargi dans tout le pays aux hommes blancs sans condition de propriété, alors que toutes les femmes et la grande majorité des hommes noirs libres sont exclus du suffrage.
Fiction raciste
C’est dans les années 1840 et 1850 que la question du droit de vote des femmes devient une revendication majeure du mouvement féministe qui s’organise. En 1848, la première convention pour les droits des femmes de Seneca Falls, dans l’Etat de New York, adopte une résolution qui définit le suffrage comme un « droit inaliénable ». Mise entre parenthèses pendant la guerre de Sécession, la mobilisation reprend juste après, avec la création, en 1869, de deux organisations suffragistes.
A partir de cette date, les femmes commencent à obtenir le droit de vote dans certains territoires et Etats, notamment de l’Ouest. Ces victoires sont le fruit d’actions militantes sophistiquées et souvent radicales – du refus de payer ses impôts dans les années 1870 jusqu’aux manifestations devant la Maison Blanche –, puis des grèves de la faim menées en prison à partir de 1917. Le 18 août 1920, le Tennessee devient le trente-sixième Etat à ratifier le 19e amendement, et garantit son adoption définitive.
Il est cependant faux de penser que toutes les Américaines peuvent voter après 1920. Si les femmes blanches accèdent à ce droit, cela n’est pas le cas d’autres groupes, et c’est une des défaites majeures du mouvement suffragiste que d’avoir nourri la fiction raciste d’un suffrage universel à partir de cette date.
Certains Etats continuent à exclure les Amérindiens et Amérindiennes des urnes jusque dans les années 1960. Et alors que le 15e amendement de la Constitution avait éliminé, en 1870, les restrictions liées à l’appartenance ethno-raciale, les Etats du Sud ont mis en place, à la fin du XIXe siècle, des mesures qui s’apparentent à un régime de terreur excluant les Noirs des urnes [les lois Jim Crow].
Pratiques restrictives
Ce n’est qu’en 1965 que le Voting Rights Act déclare illégale toute limite imposée au droit de vote et place certains Etats sous contrôle fédéral après des décennies d’un activisme dans lequel les femmes noires ont joué un rôle déterminant, à l’instar de Fannie Lou Hamer, qui organise le mouvement pour le suffrage des Noirs dans le Mississippi.
L’histoire, cependant, ne s’arrête pas là. En 2013, une partie du Voting Rights Act est invalidée par la Cour Suprême, donnant une latitude plus grande aux Etats dans l’organisation des élections et l’accès concret au droit de vote. On ne dira jamais assez que les élections de 2016 sont les premières à avoir eu lieu après cet arrêt, qui a consolidé de nombreuses pratiques restrictives dans certains Etats.
Ce phénomène, que l’on appelle aux Etats-Unis « voter suppression » (suppression des électeurs), a été brillamment analysé par l’historienne Carol Anderson : au redécoupage des circonscriptions (« gerrymandering » [1] ou charcutage électoral) s’ajoutent par exemple la purge des listes électorales et la diminution ciblée du nombre de bureaux de vote. Le droit de vote aux Etats-Unis reste au centre d’une bataille sans fin.
Les attaques récentes de l’administration Trump contre le vote par correspondance et les services postaux dans un contexte de pandémie participent de ces limitations qui empêchent certains groupes d’exercer leur droit au suffrage et placent celui-ci, comme nous le montre l’histoire du 19e amendement, sous la menace constante des gouvernements.
Hélène Quanquin
Professeure de civilisation des Etats-Unis à l’Université de Lille.