Tout autant que les moyens déployés, engins blindés, plus de 3000 policiers, le bilan de l’assaut est inédit : le doyen du village Lê Dinh Kinh, 84 ans, abattu dans sa maison et trois gradés de la police morts pendant l’assaut.
Depuis les années 80, les habitants de ce village au Sud de Hanoi contestent aux autorités locales la possession d’un terrain qu’ils cultivent depuis une quarantaine d’années et pour lequel ils disent avoir payé au gouvernement des droits et des taxes pour son utilisation.
En avril 2017, le village avait déjà fait la Une de la presse. La police était venue procéder à la saisie des terres pour un projet d’aéroport militaire. Lê Dinh Kinh, patriarche d’une famille respectée et le leader d’un mouvement de protestation local contre la corruption, membre de longue date du Parti communiste, avait eu alors les jambes brisées dans l’affrontement tandis que d’autres personnes étaient arrêtées. Les habitants retenaient alors en otages, pacifiquement, 38 policiers et fonctionnaires afin de faire libérer les paysans emprisonnés. Pour résoudre l’impasse, le président du Comité populaire de Hanoi, Nguyen Duc Chung avait, personnellement, rencontré les villageois. Ancien chef de la police de Hanoi, il avait promis qu’il n’y aurait aucune mesure de représailles et que le différend foncier serait réglé de manière pacifique.
Avril 2017, les villageois de Dông Tâm relâchent les policiers retenus pacifiquement en otages
En juillet 2017, les tribunaux de Hanoi se sont prononcés en faveur de la réclamation de l’armée et en octobre dernier, les autorités ont à nouveau ordonné aux villageois d’accepter une offre d’indemnisation dérisoire pour quitter le terrain.
Quelques temps auparavant, un autre tribunal de Hanoi avait condamné 14 fonctionnaires à de longues peines de prison pour avoir abusé de leurs obligations dans la gestion des transactions foncières de Dong Tam.
En décembre 2019, le président du Comité populaire de Hanoi a rendu une ordonnance faisant pression sur les habitants de Dong Tam pour qu’ils cèdent leurs terres à la société Vietel, le plus grand groupe de télécommunications du Vietnam, lié à l’armée.
Quelques jours avant, via les réseaux sociaux les habitants et les sympathisants à leur cause avaient alerté l’opinion publique internationale sur l’imminence d’un assaut. Selon le site AsiaTimes, une heure avant le raid de l’aube, les représentants du village ont publié une vidéo sur les réseaux sociaux affirmant qu’ils « se battraient jusqu’à la mort » pour conserver leur terre et ont appelé à l’aide d’autres communautés pour repousser « giac noi xam », qui peut être traduit par « envahisseurs » ou « agresseurs internes ». C’est un terme, selon le même média, souvent utilisé par le secrétaire général du Parti communiste Nguyen Phu Trong, pour qualifier de manière critique aussi bien les militants pro-démocratie vietnamiens que les fonctionnaires corrompus.
A 4h du matin, le 9 janvier, les forces de police au nombre de 3000 ont investi le village. Préalablement l’électricité et Internet avaient été coupés.
Les informations de la télévision vietnamienne VTV1 montreront un village plongé dans le noir éclairé par les projecteurs de la police et les éclairs des détonations de grenades lacrymogènes et assourdissantes.
Les forces anti émeutes investissent le village de Dông Tâm
Au matin, la confusion règne et il est fait état de plusieurs morts. Plus tard, la mort de Lê Dinh Kinh abattu dans sa maison sera confirmée ainsi que celle de trois policiers morts aussi pendant l’assaut. Plusieurs villageois ont été blessés et arrêtés.
Plusieurs versions sur la mort des trois officiers de police ont circulées ainsi que sur celle de Lê Dinh Kinh.
Lê Dinh Kinh et son épouse
La célérité avec laquelle les autorités ont conféré aux trois policiers, qualifiés de « sacrifiés ou martyrs », un certificat de mérite national n’a eu d’égal que la condamnation tout aussi rapide d’un utilisateur de facebook (Chung Hoang Chuong -alias Lucky Chuong- arrêté à Can Tho), à l’autre bout du pays, pour avoir écrit de nombreux articles avec « des informations erronées qui avaient faussé les faits et discrédité l’état et les forces armées »selon la formule officielle. Le 26 avril il a été condamné à 18 mois de prison.
De part le monde, de nombreux internautes qui manifestaient leur soutien aux paysans de Dong Tâm, ont reçus des messages plus ou moins grossiers ou menaçants de prétendu/es étudiant/es vietnamien/es les enjoignant de ne pas s’immiscer dans les affaires intérieurs du Viêt Nam.
D’autre part des comptes en banque sur lesquels étaient recueillis des sommes pour venir en aide à la famille de Lê DinhKinh et aux villageois ont été fermés sur ordre des autorités qui prétendent ainsi « empêcher le financement du terrorisme ».
La disproportion entre des forces munies d’armes de guerre et de blindés contre des paysans à l’armement dérisoire (cocktails molotovs, explosif artisanal, faux et machettes) a choqué une partie de l’opinion au Viêt Nam.
« L’arsenal » des habitants de Dông Tâm : des armes artisanales, des pétards, des cocktails molotovs, des pierres
Pham Thi Loan, ancienne membre de l’assemblée nationale a dénoncé l’utilisation démesurée de la force qui contribue à ternir l’image du Viêt Nam à l’extérieur.
Le 13 janvier, jour des obsèques de Lê Kinh Dinh, l’accès au village est bloqué. La veuve de monsieur Lê, dans une vidéo diffusée sur Internet, affirme avoir été « torturée ». Le soir sur la chaine nationale VTV des habitants arrêtés apparaissent le visage tuméfié et « admettent leurs fautes et reprochent à M. Le Dinh Kinh de les avoir incité à lutter contre les officiers de police ».
Quelques jours plus tard le 20 février une vingtaine de policiers ont voulu perquisitionner la maison du défunt alors occupée seulement par sa veuve. Encore choquée par l’assaut violent de la police et sans nouvelles alors de ces enfants arrêtés, la vieille dame a eu une syncope et il a fallu que ses neveux insistent pour qu’elle reçoive des soins. Les villageois commençant à s’attrouper la police a quitté les lieux.
Vingt neuf inculpés
Le 25 juin, le parquet du peuple de Hanoi a poursuivi 29 personnes dans le cadre des évènements de Dong Tam.
Toutes les personnes poursuivies sont des résidents de la commune. Parmi eux, vingt cinq sont accusés de « meurtre » tandis que les quatre autres sont accusés d’avoir « résister aux forces de l’ordre en service ». Les peines encourues par les inculpés vont de douze ans de prison à la peine de mort.
La violence de l’attaque contre le village de Dông Tâm pose des questions. Ce genre de révolte existe depuis environ vingt cinq ans. Les expropriations sont la plupart du temps liées à des problèmes de corruption : des responsables locaux revendent les terrains plusieurs fois le prix offert aux paysans. Sans faire la longue liste des litiges qui ont mobilisés des villageois, voire des citadins, contre les expropriations, citons quelques cas. En janvier 2012, un pisciculteur de la région d’Haiphong, Doàn Van Vuon, avait résisté, avec un armement artisanal, à la police venu l’exproprier blessant sept policiers. Inculpé de tentative de meurtre sur les forces de l’ordre, avec cinq autres personnes, il avait été condamné à cinq ans d’emprisonnement. Le tribunal à cette occasion avait dénoncé « l’action inappropriée » des autorités locales. Le 24 avril de la même année à Van Giang, dans la banlieue de Hanoi, deux milles ruraux affrontaient des centaines de policiers anti-émeute. Ils protestaient contre leur expulsion, au profit de la construction d’une ville nouvelle, et les sommes dérisoires qui leur étaient proposés. Des scènes dignes de Notre Dame des Landes avaient fait le tour des réseaux sociaux.
Souvent les expropriés n’ont pas à faire à l’Etat, mais à des sociétés privées, dont les hommes de main n’hésitent pas à faire usage de la plus féroce des violences.
Pourquoi cet emploi disproportionnée de la force à cette occasion ? La volonté de régler rapidement cette contestation qui durait depuis des années, quelque en soit le prix ? Le fait que la société Vietel, le plus grand groupe de télécommunications du Vietnam soit lié à l’armée a-t-il pesé pour que la manière forte prime ? Volonté de la part de certains secteurs de l’état de faire un exemple après des années de contestation sociale tout azimut (contre les expropriations mais aussi contre la pollution, pour l’environnement, contre les prétentions chinoises dans la mer de Chine, l’agitation ouvrière etc…) ? L’opacité de la politique vietnamienne ne permet pas pour l’instant d’avoir des réponses. La date du procès n’est pas encore annoncée.
Un certain nombre d’associations internationales des droits de l’homme dont l’ACAT et RSF en France [1] ont réclamé l’ouverture d’une enquête indépendante du Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Sans succès.
Le 21 janvier une trentaine d’intellectuels dénonçaient officiellement « le meurtre commis par la police ». Une délégation a déposé une notification à l’attention des autorités en la remettant au Parquet populaire suprême du Vietnam ainsi qu’au département de police de Hanoi.
Ils appelaient également à une enquête transparente sur le meurtre de de Lê Dinh Kinh.
Nguyen Quang A, un des membres de la délégation a déclaré au service vietnamien de Radio Free Asia que les gens doivent exiger des comptes de leur gouvernement.
« Je pense que le peuple vietnamien doit faire part de ses inquiétudes à propos de Dông Tâm, et exiger des informations transparentes du gouvernement ». Il a ajouté que « le gouvernement doit coopérer avec une enquête indépendante sous la surveillance de la presse, des organisations sociales et des citoyens vietnamiens ». « Nous savons que le combat pour la justice pour Dong Tam sera long et long, mais nous sommes déterminés à le mener à bien », a-t-il conclu.
Depuis le début de l’année les arrestations de bloggeurs et bloggeuses, journalistes indépendants et lanceurs d’alerte se sont multipliés ainsi que la fermeture de nombreuses pages Facebook. ».
Une nouvelle loi, adoptée en 2018, oblige les plateformes du web à retirer sous 24 heures tous les commentaires considérés par les autorités comme une menace à la « sécurité nationale », et à stocker les informations personnelles et données des utilisateurs, afin de les transmettre aux autorités dès que nécessaire. Amnesty International a dénoncé Facebook pour sa « complicité » avec la censure mise en place par le Vietnam.
La chasse aux fausses informations lors de la crise du Covid 19 a été l’occasion de scruter les réseaux sociaux. Selon un article de Radio Free Asia, « la police a signalé que plus de 600 Facebookers avaient été convoqués pour être interrogés sur des publications liées à COVID-19 sur la plate-forme de médias sociaux. Beaucoup ont été condamnés à des amendes pouvant atteindre des dizaines de millions de dongs (plus de 1000 €) Il est bien évident que ce durcissement au niveau de la diffusion de l’information a des répercussions dans l’affaire de Dông Tâm.
Une chose est certaine c’est, qu’au Viêt Nam comme ailleurs, la nouvelle période, ouverte par la crise du Covid 19, bouleversera des secteurs économiques entiers. Selon la Banque Mondiale 70 à 100 millions de personnes pourrait basculer dans l’extrême pauvreté et l’OIT estime que 10 % des jeunes perdront leur emploi en 2020 au Viêt Nam. Si, au début de l’année, la gestion de la pandémie avait permis, à juste titre, de citer le Viêt Nam en exemple pour avoir maitriser la propagation du virus, rien ne prouve que la seconde vague, qui se poursuit depuis l’été, sera stoppée avec le même succès.
Coup de théâtre
A une semaine de l’ouverture du procès, le président du Comité populaire de Hanoi, Nguyen Duc Chung qui a été au centre de l’affaire vient d’être arrêté pour « d’appropriation de documents contenant des secrets d’État ».
Même si, à priori, le motif de son arrestation n’a rien à voir avec les évènements de Dông Tâm on peut légitimement se demander si cela va jouer un rôle dans le procès à venir.
Dominique Foulon