Alors que se sont multipliés depuis le 9 août les témoignages sur les méthodes de répression particulièrement violente du pouvoir biélorusse à l’égard des manifestants arrêtés et placés en détention, l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et le Conseil des droits de l’homme des Nations unies (CDH) se saisissent du dossier.
Comme le rapporte le correspondant à Minsk du quotidien russe Nezavissimaïa Gazeta, le secrétaire général de l’OMCT, Gerald Staberock, a organisé le 16 septembre une conférence de presse (en visioconférence) au cours de laquelle il a qualifié ce qui se passe actuellement en Biélorussie de “crime contre l’humanité”. “Depuis les élections, a-t-il déclaré, nous avons assisté à une politique de cruauté délibérée, planifiée et organisée, où la torture et les comportements inhumains étaient intentionnels.”
Les experts de l’ONU ont documenté 450 cas de torture et de violence par les forces de l’ordre biélorusses à l’égard des manifestants depuis le 9 août, premier jour de la contestation contre la victoire annoncée d’Alexandre Loukachenko à la présidentielle. Que la torture et la violence se poursuivent aujourd’hui et que les autorités “n’aient pas l’intention de régler cette situation” atteste du “fait de crime contre l’humanité”, a-t-il poursuivi.
Le secrétaire général de l’OMCT a informé qu’il prendrait part le 18 septembre à la session du CDH au cours de laquelle son organisation et l’ONG biélorusse de défense des droits humains Viasna déposeront un rapport “sur la torture comme politique d’État en Biélorussie”. Il y demandera l’adoption d’une résolution sur l’arrêt immédiat des atteintes aux droits de l’homme et le lancement du recueil systématique de preuves des infractions, comme cela est fait dans d’autres pays.
Selon Viasna, du 6 mai au 8 août 2020, soit durant la période préélectorale, pas moins de 1 500 personnes ont été arrêtées, et 27 procédures judiciaires ont été déclenchées contre des candidats potentiels à l’élection présidentielle et les membres de leurs équipes. Depuis le 9 août, trois personnes sont décédées des suites de violences policières, et aucune enquête n’ayant lieu, le nombre de décès exact est inconnu.
Par ailleurs, plus de 7 000 personnes ont été arrêtées et ont subi des violences physiques et morales durant leur détention : humiliations, coups de matraque, torture à l’électricité, tirs de balle en caoutchouc, maintien à genoux et dénudé pendant plusieurs heures, menaces de mort et de viol, privation de sommeil, de nourriture et d’eau, d’hygiène, de soins médicaux et de médicaments.
L’ONG rappelle également que six membres du Comité de coordination de l’opposition sur sept ont été arrêtés ou forcés à l’exil. Seule la Prix Nobel de littérature Svetlana Alexievitch a échappé à un tel sort grâce à l’aide de diplomates européens qui se sont relayés chez elle plusieurs jours pour empêcher qu’on vienne l’arrêter.
Pour Loukachenko, la contestation est terminée
Depuis son retour de Sotchi, où le dictateur biélorusse a arraché le 14 septembre à Vladimir Poutine un prêt de plus de 1 milliard d’euros pour soulager le budget biélorusse, Alexandre Loukachenko affirme que la situation dans le pays s’est normalisée et que “le temps des meetings et des barricades est terminé”.
Ce avec quoi les observateurs ne peuvent être d’accord, quelques jours après la “Marche des héros” du 13 septembre, qui a encore rassemblé entre 150 000 et 200 000 personnes à Minsk, malgré le déploiement de milliers de membres des forces spéciales.
“À Minsk et dans deux ou trois autres villes, des groupes d’individus éternellement mécontents ont essayé de dynamiter la situation politique et de détruire notre stabilité sociale, symbole principal de notre pays”, a déclaré Loukachenko. Mais le Batka (“petit père”) a élucidé “où et avec qui le pouvoir n’a pas bien travaillé” et promis de corriger au plus vite ces “insuffisances”, afin de “clore les questions concernant le front de la politique intérieure”.
De l’avis du politologue biélorusse Valeri Karbalevitch, interrogé par la Nezavissimaïa Gazeta, “les déclarations de Loukachenko ne laissent aucun doute sur la poursuite d’un nettoyage total selon le principe ‘celui qui n’est pas d’accord aura affaire à nous’”.
Nezavissimaïa Gazeta
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