Ecosocialisme : comment les riches détruisent la planète
François Iselin
« L’Europe connaît son automne le plus chaud depuis cinq siècles » [1], « 2006, sixième année la plus chaude jamais enregistrée » [2] « Le réchauffement du climat pourrait atteindre 3 degrés, selon les experts du GIEC » [3] … Précisément, plus de 500 scientifiques constituant ce Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat viennent de conclure que « le réchauffement du système climatique – engendré par l’homme – est sans équivoques » tordant ainsi le cou aux derniers négationnistes qui le mettaient en doute et contestaient le rôle déterminant des « activités humaines » sur le bouleversement du climat de la planète [4] . Les responsables du désastre ne sont pas pour autant désignés.
Que signifient les vagues expressions « engendré par l’homme » ou par les « activités humaines » ? Ce flou ne peut que stigmatiser l’humanité dans son ensemble. Car qui détermine souverainement les activités productives depuis plus d’un siècle ? Qui prêche le développement, la croissance, le productivisme à tout crin ? Qui détermine les priorités des besoins et les ressources à exploiter ?…
Le brillant ouvrage de Hervé Kempf met le doigt sur le facteur politique responsable de crise écologique actuelle. Elle n’est nullement provoquée par les « activités humaines ». « Ce désastre est mis en œuvre par un système de pouvoir qui n’a plus pour fin que le maintien des privilèges des classes dirigeantes » ainsi, « crise écologique et crise sociale sont les deux facettes d’un même désastre » [5].
Ce système de pouvoir est assuré par une petite minorité : 300 millions de propriétaires sur une population mondiale de plus de 6 milliards. Ce sont ces 5% qui contrôlent toute la richesse produite sur la terre. Ces « riches », cette oligarchie prédatrice et cupide, cette classe oisive ou de loisir, ont toujours cherché à accaparer les richesses de la nature et du travail ; ce qui est nouveau c’est qu’ils ne pensent plus qu’à ça… sans que la gauche ne s’en soit aperçue. « La bourgeoisie du XIXe siècle, que Marx qualifiait de révolutionnaire, exploitait le prolétariat, mais avait aussi le sentiment de propager le progrès et les idéaux humanistes ». Or, la bourgeoisie actuelle « ne porte aucun projet, n’est animée d’aucun idéal, ne délivre aucune parole ».
Pour défendre ses privilèges de plus en plus contestés, elle s’est forgé un arsenal idéologique, le néolibéralisme ; « Cette représentation du monde […] sous-estime la gravité de l’empoisonnement de la biosphère […], est indifférente à la dégradation des conditions de vie de la majorité des hommes et des femmes, consent à voir dilapider les chances de survie des générations futures ».
Ces prédateurs devraient pourtant craindre d’avoir à subir le même sort que leurs congénères, tous menacés d’une catastrophe écologique. Bien au contraire : « Ils la souhaitent, ils aspirent à l’exacerbation, au désordre, ils jouissent de l’excitation que procure un comportement si évidemment asocial ». Provoquées ou subies, toutes les catastrophes leur sont bonnes à prendre. Elles leur permettront de « relancer l’économie », de « remettre les gens au travail », de faire de l’ordre dans le monde à coup de répressions et de guerres. Après avoir soutenu que rien de grave n’était à craindre, ils affirment maintenant que les risques d’une catastrophe pourraient être prévenus. Ils mettent en branle des recherches « scientifiques », des observatoires climatiques, des chantiers préventifs sans renoncer, bien au contraire, à leur débauche de ressources énergétiques et matérielles épuisables et nuisibles. Ils n’agitent le slogan de « développement durable » que pour mieux préserver leur hégémonie… et « pour évacuer le gros mot « écologie » précise Kempf.
Leurs projets les plus délirants fleurissent déjà : injection dans la stratosphère de plusieurs milliers de tonnes de souffre censés faire écran au rayonnement solaire, ensemencement des océans avec des nutriments favorisant la productivité du plancton qui piégerait ainsi davantage de gaz carbonique, envoi d’une constellation de sondes-parasols entre la Terre et le Soleil pour en atténuer le rayonnement… La « géo-ingénierie globale », cette nouvelle technologie qui cherche à refroidir la planète, sans pour autant éviter de la chauffer, est en marche ! [6]
Quant à la gauche, admiratrice candide des « progrès de la science » et promotrice de ce « développement des forces productives » aveugle qui – faute d’être contrôlées démocratiquement par les producteurs eux-mêmes – a conduit l’humanité dans une impasse, se laissera-t-elle berner une fois de plus par ces pompiers-incendiaires de la planète ? Les craintes sont permises, car elle « manifeste […] un refus caricatural de s’intéresser réellement à l’écologie » et cela parce qu’elle « reste confite dans l’idée du progrès tel que le concevait le XIXe siècle, croit encore que la science se fait comme du temps de Louis Pasteur, entonne le chant de la croissance sans la moindre trace d’esprit critique ».
Pourtant, tout espoir révolutionnaire ne serait pas perdu si « la préoccupation écologique s’articule à une analyse politique radicale des rapports actuels de domination ». Un tournant politique de dernière minute à prendre avant l’irrémédiable. L’ouvrage de Kempf nous y encourage vivement.
Notes
1. Titre d’article, Le Monde, 8.12.2006,
2. Idem, Le Monde, 4.1.2007,
3. Idem, Le Monde, 31.1.2007,
4. Le 4e rapport du GIEC paraîtra en automne 2007.
5. Toutes les citations non référencées sont tirées de l’ouvrage de Hervé Kempf.
6. Ces trois exemples sont tirés de : Stéphane Foucart, La prochaine bataille du climat, Le Monde 21.2.2007
* Paru dans le périodique suisse « solidaritéS » n°104 (14/03/2007), p. 5.
Un petit livre très tonique
« Comment les riches détruisent la planète »
Léon Taniau
Jadis collaborateur du mensuel La Recherche, Hervé Kempf travaille actuellement au quotidien français Le Monde. Outre ses articles sur la crise écologique, on lui doit notamment un ouvrage bien documenté sur les OGM (« La guerre secrète des OGM ») ainsi qu’un essai (« L’économie à l’épreuve de l’écologie »). Son dernier livre est d’une autre nature : « Comment les riches détruisent la planète » n’est ni une enquête, ni une étude, mais un pamphlet.
La « question centrale » du livre : puisque tout le monde sait qu’on va droit dans le mur, « pourquoi le système est-il si incapable de bouger ? » Bouger vraiment : selon Kempf, le « développement durable » dont les gouvernements et le patronat parlent tant « n’a pour fonction que de maintenir les profits et d’éviter le changement des habitudes en modifiant, à peine, le cap. Mais ce sont les profits et les habitudes qui nous empêchent de changer de cap. Quelle est la priorité ? Les profits, ou le bon cap ? »
L’auteur discute différentes réponses possibles à cette question et débouche sur une conclusion brutale : « Si rien ne bouge, (…) c’est parce que les puissants de ce monde le veulent ». L’argument, en substance, est le suivant : la volonté de profit et la jouissance de l’oligarchie dans son orgie d’accumulation sont la cause fondamentale d’une crise globale, de civilisation. Crise écologique et crise sociale « se répondent l’une l’autre, s’influencent mutuellement, s’aggravent corrélativement ». Ce sont « les deux facettes d’un même désastre. Et ce désastre est mis en œuvre par un système de pouvoir qui n’a plus pour fin que le maintien des privilège des classes dirigeantes ». Tout en plaidant pour un changement des habitudes, Kempf ne joue pas la carte de la culpabilisation du plus grand nombre : la classe dominante est responsable, car c’est elle qui « établit le modèle de consommation de la société ».
La conclusion stratégique en découle logiquement : le social sans l’écologie est aussi inadéquat que l’écologie sans le social. Or, c’est là que le bat blesse : « Le social reste l’impensé de l’écologie. Le social, c’est-à-dire les rapports de pouvoir et de richesse au sein des sociétés. Mais l’écologie est symétriquement l’impensée de la gauche ». « On trouve donc des écologistes niais, une gauche scotchée à 1936, et des capitalistes satisfaits. Il faut sortir de ce hiatus », conclut Kempf.
L’auteur de cette chronique intempestive diverge d’Hervé Kempf sur plusieurs questions, dont certaines (le rôle de l’Europe, par exemple) ne sont pas négligeables. La place manque pour les développer. Mais ces divergences sont relativement secondaires au regard de l’enjeu central : favoriser la renaissance de cette « envie de refaire le monde » qui, quand elle est collective, devient une force matérielle. A ce propos, je voudrais mettre les choses au point suite aux réactions de certains lecteurs, sur le forum du JDM. Cette « envie de refaire le monde » ne peut s’exprimer à travers la social-démocratie, qui est convertie à la gestion néolibérale du capitalisme. Mais comment pourrait-elle s’exprimer à travers les partis écologistes quand ceux-ci prétendent pouvoir sauver la biosphère sans mettre en cause productivisme et loi du profit ? Autrement dit, contrairement à mon rédac-chef et ami qui citait récemment une de mes bafouilles, je ne crois pas que « le fossé entre socialistes et écologistes n’a jamais été aussi grand » (1). Certes, sur le plan politicien, ça grince. Mais sur le terrain du projet de société, il y a moins de différence que jamais, tous deux campent sur le champ libéral. Du point de vue rouge-vert, au sens de Kempf et de cette chronique, c’est ça le problème : dans ce pays, il n’y a plus même l’esquisse d’une alternative de gauche électoralement crédible.
(1) JDM N° 309
* Hervé KEMPF, « Comment les riches détruisent la planète », Seuil (l’Histoire immédiate), 150pp.
* Chronique publiée en Belgique dans le Journal du Mardi du 6 mars 2007.