“Le nouveau protocole va permettre d’avoir moins de classes fermées”. C’est ce qu’a déclaré le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer ce lundi 21 septembre. En effet, dès mardi, les règles tentant d’empêcher la propagation du coronavirus à l’intérieur des écoles vont changer.
Cet assouplissement du protocole sanitaire contient un point majeur. Il faudra trois cas de Covid-19 dans une classe pour que les élèves soient considérés comme cas contacts (entraînant leur isolement et donc la fermeture de la classe). Si un élève est positif, tous ses camarades ne sont pas contacts à risque par défaut. Et ce dès la maternelle au lycée.
Une bonne chose pour l’éducation des enfants, rappelle le député LREM Bruno Studer. Mais le député FI Bastien Lachaud s’interroge : ce protocole sanitaire sert-il donc ”à éviter à tout prix des fermetures de classe” plutôt qu’à ’“protéger et rassurer” ceux qui fréquentent ces établissements ? Jean-Michel Blanquer explique que son ministère a pris cette décision d’assouplir le protocole suite à un avis du Haut conseil de la santé publique rendu le 17 septembre, qui cite la littérature scientifique actuelle.
Certes, mais si les chercheurs commencent à mieux comprendre le coronavirus, le consensus n’est pas encore totalement clair sur le risque de propagation de l’épidémie de Covid-19 dans les écoles [1]. S’il semble moins élevé que dans d’autres lieux, le rôle des enfants en cas de circulation importante du virus fait débat.
Moins malades, moins contaminants ?
Le rapport entre enfants et coronavirus a longtemps été un mystère pour les scientifiques [2]. Et le reste toujours sur de nombreux points. Ce que l’on sait, avec quasi certitude, c’est que les jeunes développent majoritairement des formes très légères du Covid-19, voire asymptomatiques pour les plus jeunes (moins de 10 ans, pour faire simple). Cela a été décelé tôt et a été confirmé par diverses études et analyses.
Mais la vraie question est ailleurs : les enfants jouent-ils un rôle dans la propagation de l’épidémie ? Cette question est toute simple en apparence, mais sa réponse l’est beaucoup moins. Pour y répondre, il faut savoir si les enfants sont véritablement moins touchés, ou simplement asymptomatiques. S’ils transmettent autant ou moins le coronavirus quand ils sont infectés. Et enfin, concernant les écoles, si la promiscuité contrebalance ces possibles avantages.
Des centaines de chercheurs travaillent sur ces questions depuis des mois et un schéma global semble se dessiner. C’est celui qui a guidé le Haut conseil de santé publique pour décider d’assouplir le protocole sanitaire. La question étant de savoir si les données recueillies jusque-là ne sont pas biaisées et si elles seront toujours justes en cas de regain épidémique important du coronavirus.
Différence entre jeunes et moins jeunes
Deux études [3] notamment, réalisées en France par l’Institut Pasteur, ont donné quelques indices, grâce à des tests sérologiques pour savoir, après coup, quel pourcentage de la population a été infecté par le Covid-19. Dans un lycée de Crépy-en-Valois au cœur de la première vague dans l’Oise, le taux de contamination était important pour les élèves (38%), bien qu’un peu plus faible que pour les adultes. En revanche, pour les écoles élémentaires testées, seuls trois enfants ont été contaminés alors qu’ils étaient encore à l’école en février. Et ces enfants n’ont, semble-t-il, pas propagé le coronavirus à l’école.
En clair, les plus jeunes se contamineraient moins entre eux. D’autres travaux [4] ont montré que souvent, les cas découverts à l’école proviennent d’ailleurs. Pour autant, des études ont également prouvé que, quand ils ont des symptômes, les enfants ont autant voire plus de virus dans leurs gouttelettes que les adultes. Malgré cela, les jeunes enfants étant bien plus souvent asymptomatiques, peut-être transmettent-ils moins le virus. Une étude de 3410 cas contacts en Chine [5] a montré que les personnes sans symptômes propageaient beaucoup moins le coronavirus que celles avec symptômes (10 à 20 fois moins).
Trois pédiatres américains expliquent, dans un article tentant de résumer l’état des connaissances scientifiques [6], que “les jeunes enfants en particulier ont environ deux fois moins de risque que les adultes d’être infectés”. Si leur capacité à contaminer quelqu’un est moins claire, “des études de clusters familiaux ont montré que les enfants sont moins souvent le cas à l’origine du foyer”, rappellent-ils.
On comprend mieux, au vu de ces éléments, la décision du ministère de l’Éducation nationale. Les élèves de 11 ans et plus doivent avoir un masque, car ils ont plus de risque d’attraper et de propager le virus que les plus jeunes. Et, en parallèle, il faut plus d’un cas pour fermer une école, car il est possible qu’un élève contagieux n’en infecte pas d’autres (car il porte un masque au collègue et lycée ou, car il est peu susceptible d’infecter ses camarades en primaire et maternelle).
Illusion d’optique ?
Mais il existe des biais possibles dans ces différentes études. Les enfants sont moins symptomatiques, donc moins testés. La fermeture des écoles a fait partie des premières mesures mises en place lors de la première vague dans la plupart des pays (et ceux ayant choisi de faire différemment n’ont pas bien analysé la situation [7]), diminuant logiquement la part des enfants dans l’épidémie.
C’est ce que redoute par exemple l’épidémiologiste Zoë Hyde. Elle alerte notamment sur le fait que certaines études montrent que la différence entre adultes et enfants est parfois plus faible [8]. Elle rappelle également que de nombreux travaux ont été réalisés alors que des confinements étaient en cours dans divers pays ou encore pendant l’été. Bref, quand les écoles étaient fermées.
“Je soupçonne que les enfants et les adultes sont pareillement sensibles, et que les différences dans les études sont dues à des facteurs circonstanciels”, explique-t-elle au HuffPost. Elle en tire deux conclusions. D’abord, les risques liés à l’école sont “probablement modestes” uniquement quand la circulation du coronavirus est faible dans la société. Ensuite, il est possible que de nombreux cas soient passés entre les mailles du filet à cause du manque de dépistage chez les plus jeunes.
Et même s’ils transmettent un peu moins le virus, “ils le transmettent suffisamment pour jouer un rôle signifiant dans la transmission” du Covid-19. C’est pour cela que Zoë Hyde estime que les écoles ne peuvent rouvrir qu’avec des mesures de distanciation fortes (dont le port du masque pour les 6 ans et plus) et uniquement si la circulation du virus est suffisamment faible “pour que le traçage de contacts fonctionne efficacement”.
Clusters difficiles à tracer
Et le risque, c’est que la rentrée permette l’apparition d’épisodes de super-contamination, où un seul cas positif en infecte des dizaines. Depuis les diverses réouvertures, plusieurs clusters d’une taille conséquente sont apparus dans les écoles dans divers pays. Israël [9], Belgique [10], Danemark [11]... les exemples, recensés par Zoë Hyde, se multiplient. En France, si peu de données existent, on a notamment vu de nombreux clusters émerger dans les universités et grandes écoles.
Mais pour beaucoup, on a pu lier l’origine du foyer à une soirée étudiante, [12] dans laquelle les mesures barrières promues par le ministère de l’Éducation nationale ont bien moins de chance d’être suivies. Surtout, ces cas ont encore peu été analysés en détail par la communauté scientifique. Suite au cluster en Israël évoqué plus haut, des chercheurs chinois ont ainsi tenu à rappeler qu’à Hong Kong [13], le suivi de 20 élèves positifs ayant été à l’école a montré qu’aucun de leurs camarades n’a été contaminé. Il faut dire que la région a mis en place des règles strictes : masque obligatoire, demi-journée de cours sans pause déjeuner, etc.
En clair, les données actuelles à notre disposition semblent dire que les écoles ne sont pas le pire lieu permettant la propagation du coronavirus. Mais avec la rentrée et le regain de l’épidémie en Europe, il n’est pas impossible que l’on se rende compte que l’équation n’est pas si simple. Espérons que ce ne sera pas le cas et que sinon, les résultats seront clairs suffisamment tôt pour changer le protocole sanitaire avant qu’il ne soit trop tard.
Grégory Rozières