“Si vous regardez cette vidéo, cela signifie que j’ai été arrêté.” C’est par cette phrase choc qu’Umar Khalid a confirmé se trouver derrière les barreaux. Ladite vidéo avait été enregistrée “avant que l’ancien leader du principal syndicat étudiant de l’université Jawaharlal Nehru de Delhi”, la JNU, ne soit placé dimanche soir en garde à vue pour dix jours. Mercredi 16 septembre, elle a été diffusée sur Twitter par des proches de cet opposant à la politique nationaliste hindoue du gouvernement Modi.
Officiellement, il lui est reproché d’avoir été “l’un des instigateurs des émeutes” perpétrées contre la communauté musulmane fin février, dans le nord-est de la capitale indienne, explique Scroll. Mais Umar Khalid livre une version différente : “La police de Delhi n’arrête pas les émeutiers qui ont provoqué les violences communautaires à grande échelle […]. Elle s’en prend en réalité à ceux qui critiquent l’action du gouvernement, en particulier la récente réforme du code de la nationalité”, explique-t-il.
La réforme de la nationalité avait déclenché, juste avant l’arrivée de l’épidémie de Covid-19, des manifestations monstres dans tout le pays en raison de l’impossibilité qu’elle crée pour les musulmans du Pakistan et du Bangladesh d’accéder à la nationalité indienne. Un critère de sélection religieux interdit par la Constitution. Umar Khalid, qui se savait menacé, appelle ses concitoyens à “ne pas avoir peur” et à “donner de la voix contre l’injustice”.
Selon The Wire, le jeune homme est considéré coupable de “conspiration préméditée” et va être poursuivi pour “meurtre, incitation au meurtre et sédition”. Les enquêteurs, toujours à la recherche des auteurs des émeutes de l’hiver, qui avaient fait une cinquantaine de morts, prétendent que c’est “sa participation aux manifestations contre la réforme de la nationalité, avec le soutien de plusieurs groupes radicaux”, qui a provoqué ultérieurement les événements tragiques de Delhi. Qu’importe que son avocat affirme qu’il ne se trouvait pas à Delhi lors des faits, qui se sont déroulés du 23 au 26 février, et qu’il a “déjà été entendu à ce sujet par la police au mois de juillet”.
“Chasse aux sorcières”
Les défenseurs des droits de l’homme et des libertés individuelles dénoncent de ce fait “une chasse aux sorcières”. Umar Khalid est, selon plusieurs intellectuels et juristes, “l’une des voix les plus courageuses à s’élever pour défendre les valeurs constitutionnelles du pays”, et il n’y a “aucun doute” que l’enquête évoquée par ceux qui ont arrêté l’ancien étudiant de la JNU “ne porte pas sur les violences de février 2020 dans la capitale, mais sur les manifestations pacifiques et démocratiques” qui avaient eu lieu durant les deux mois précédents.
Alors que l’épidémie de Covid-19 est aujourd’hui hors de contrôle en Inde, avec plus de 5 millions de cas diagnostiqués positifs et plus de 80 000 morts, alors aussi que l’économie a été mise à terre par un confinement précipité et autoritaire, la répression politique se poursuit comme si de rien n’était dans le sous-continent. Ces derniers jours, rappelle The Print, “plusieurs personnalités de premier plan ont elles aussi été inquiétées par la police en raison de leur apparition dans les manifestations” de décembre 2019 et janvier 2020.
Parmi elles, le secrétaire général du Parti communiste d’Inde (marxiste), Sitaram Yechury, le défenseur des droits des paysans et ancien cofondateur du Parti de l’homme ordinaire (AAP), Yogendra Yadav, la célèbre économiste Jayati Ghosh, le cinéaste Rahul Roy et le commentateur politique Apoorvanand.
Guillaume Delacroix
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