Elle a les cheveux blonds, les yeux bleus et elle guide un parti souverainiste. Mais il ne s’agit pas de Marine Le Pen. De l’autre côté des Alpes aussi une femme est en train de s’imposer comme l’un des grands leaders de l’extrême droite nationale. Il s’agit de Giorgia Meloni, romaine âgée de 43 ans, qui est en train de faire de son parti un poids lourd incontournable de la politique italienne.
Preuve en sont les derniers sondages, qui situent Fratelli d’Italia (Frères d’Italie, du nom de l’hymne national transalpin) autour de 15 % d’intentions de vote. Voilà qui en ferait le quatrième, voire le troisième parti le plus populaire du pays.
Dans un contexte où la Ligue de Matteo Salvini ne semble plus en mesure de passer la barre des 30 %, c’est peu dire que l’apport de la formation de Giorgia Meloni est indispensable pour que la coalition de droite réussisse à ravir un maximum de régions à la gauche, lors du vote des 20 et 21 septembre..
Pourtant, la politique romaine revient de loin. “Quand le parti Fratelli d’Italia est né, il y a huit ans, il semblait destiné à une courte existence, se souvient l’hebdomadaire conservateur Panorama. Lors des premières élections auquel le parti a participé, il n’a même pas atteint les 4 %.” Dans les années qui suivent, la formation de Giorgia Meloni grandit, mais lors du dernier scrutin – celui des élections européennes de 2019 – Fratelli d’Italia n’enregistre encore qu’un “modeste” 6,4 %. Aujourd’hui, pourtant, le parti est crédité de plus du double des voix. Comment expliquer cette soudaine montée en puissance ?
Un rapide coup d’œil aux sondages apporte un élément de réponse clair : un transfert consistant de voix (virtuel pour l’instant) s’est effectué de Salvini vers Meloni.
Plus prudente que Salvini
La tendance semble si évidente que le quotidien libéral Il Foglio n’hésite pas à parler de “crise salvinienne”. Une crise dont Giorgia Meloni aurait profité en réalisant “un petit chef-d’œuvre politique” consistant à alterner prise de positions fortes et modération rassurante :
“Si, lorsqu’on parle d’immigration, les prises de parole de Meloni sont parfois plus extrêmes que celles de Salvini, sur d’autres thèmes elle est capable de comprendre quand le leader de la Ligue va trop loin : par exemple, au sujet de l’euro, lorsque, contrairement à Salvini, elle affirme que la monnaie unique n’est pas du tout un problème.”
“Je suis Giorgia, je suis une femme et je suis chrétienne”
Pour le journal milanais, les alliés bruxellois de Meloni seraient d’ailleurs plus présentables que ceux de Salvini, “qui est dans le même groupe que les nouveaux fascistes de l’AfD, tandis qu’elle est alliée à des conservateurs, certes critiques envers l’Europe, mais pas au point de vouloir en sortir”. Des positions qui, à en croire Il Foglio, rassureraient également le monde des entrepreneurs transalpins, qui voient dans Fratelli d’Italia “un interlocuteur plus crédible”.
Selon Panorama, qui dresse aussi la liste des soutiens de la Romaine, même l’univers des traditionalistes catholiques aurait été séduit par la leader de Fratelli d’Italia. Celle-ci avait d’ailleurs fait le buzz en criant depuis la scène d’une manifestation en octobre 2019 :
“Je suis Giorgia, je suis une femme, je suis italienne, je suis une mère et je suis chrétienne. Vous ne me l’enlèverez pas.”
“La première femme à diriger un grand parti italien”
Un cocktail de “féminisme” et de traditionalisme qui a visiblement séduit le directeur de l’hebdomadaire conservateur, qui a consacré sa une et un édito plein de louanges à Giorgia Meloni : “La première femme à diriger un grand parti dans l’histoire italienne. Des années et des années de féminisme et de discrimination positive, et c’est elle qui a réalisé ce grand changement.”
Si la presse transalpine reconnaît globalement à la Romaine un très bon flair politique, du côté des journaux de gauche on n’oublie pas les origines politiques de Meloni : elle a en effet milité au sein d’Alleanza Nazionale (Alliance nationale), un parti de droite “dure”, qui est l’héritier du MSI (Movimento Sociale italiano, le Mouvement social italien), une formation qui s’est longtemps revendiquée comme étant néofasciste.
Reste-t-il aujourd’hui quelque chose de ce passé dans les rangs de Fratelli d’Italia ?
Le symbole du parti, une flamme tricolore, rappelle en tout cas celui du MSI, mais, selon L’Espresso, il y a plus encore. “Élections : le plein de nostalgiques dans les listes de Fratelli d’Italia”, titre ainsi l’hebdomadaire de gauche qui a épluché les CV des candidats du parti aux prochaines élections régionales pour dénicher des sympathies éventuelles pour Benito Mussolini.
Et la pêche aux infos a porté ses fruits, puisque L’Espresso a découvert que Gimmi Cangiano, l’un des candidats de Fratelli d’Italia en Campanie, a choisi pour slogan : “‘Je m’en fous’, la plus haute expression de liberté” (“je m’en fous” étant un slogan utilisé par Mussolini).
Toujours dans la région de Naples, dévoile l’hebdomadaire, Fratelli d’Italia présente dans ses listes Enzo Rivellini qui a, lui, participé en 2017 à une messe en mémoire des “martyrs” de la République sociale italienne (l’État fantoche fasciste établi par Benito Mussolini en Italie du Centre et du Nord, dans les zones contrôlées par la Wehrmacht, de 1943 à 1945).
Dîner de “nostalgiques”
Le soupçon de sympathie fasciste arrive même jusqu’aux candidats à la région, puisque “Francesco Acquaroli, candidat dans les Marches, a pris part le 28 octobre dernier à un dîner qui célébrait la marche sur Rome de 1922 [qui marque le début de la dictature]. Un dîner organisé par le secrétaire départemental du parti Fratelli d’Italia.”
Malgré “l’incident”, Francesco Acquaroli est aujourd’hui non seulement le candidat du parti de Meloni, mais de toute la coalition de droite. La région est aujourd’hui gouvernée par le Parti démocrate (centre gauche). Les conservateurs espèrent bien la conquérir, tout comme les Pouilles, où la coalition de droite a, là aussi, choisi un membre de Fratelli d’Italia pour essayer de remporter la partie.
Ainsi, sur sept régions qui voteront les 20 et 21 septembre, le parti de Meloni a réussi à imposer deux de ses candidats à sa coalition. Un signe que, dans les équilibres des conservateurs, Fratelli d’Italia pèse déjà très lourd. Et le lendemain des élections pourrait consacrer Giorgia Meloni comme leader en devenir de la droite.
Beniamino Morante
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