Fraîchement condamné pour « injure et provocation à la haine » pour son discours tenu l’an dernier à la « Convention de la droite » [1], Éric Zemmour, tête de gondole fascisante de la chaîne CNews, a manifestement décidé de s’offrir, en cette rentrée, une nouvelle occasion de condamnation.
Compte tenu de l’impunité médiatique dont jouit ce déjà trois fois condamné pour « incitation à la haine », pourquoi devrait-il se gêner ? Comme ces derniers temps le curseur avait déjà été poussé un peu loin en matière de xénophobie ordinaire dans les médias, Éric Zemmour a déployé tout son talent ce mercredi 30 septembre pour repousser un peu plus les limites de l’immonde dans l’émission « Face à l’info ».
Alors que la journaliste Christine Kelly – ancienne membre du CSA – le lance sur le profil de l’auteur de l’attaque contre les anciens locaux de Charlie Hebdo, Éric Zemmour part en dérapage parfaitement contrôlé.
« Ce Pakistanais est l’archétype de ce qu’on appelle mineurs isolés », commence-t-il, en expliquant que la majorité des migrants mineurs fraudent en réalité sur leur âge pour ne pas être expulsés. « Les autres mineurs isolés sont la plupart des voleurs, des violeurs, des assassins », assène-t-il ensuite. Avant de poursuivre : « En face, on a des États, comme le Maroc, qui regardent ailleurs. Pourquoi ? Parce que ça les débarrasse de leurs voyous, de leurs chômeurs et puis peut-être si Allah le veut cela conquerra les terres des infidèles. »
Quelques minutes plus tard, Éric Zemmour s’indigne devant le traitement de faveur réservé aux mineurs isolés en France. « Ces gamins-là ont droit à tout ! À partir du moment où ils sont sur le sol français – je vous ai dit que cela coûtait 50 000 euros par jeune – ils sont nourris logés… […] C’est le paradis. C’est la France qui paie pour son invasion », assène-t-il. (On pourra lire ici [2], là [3] ou encore ici [4], à quoi ressemble ce « paradis ».)
Comme il tient régulièrement ce genre de discours nauséabond sur la chaîne, le polémiste décide alors de monter d’un cran et de « renverser la table ». « Il faut sortir de la fausse politique d’équilibre qui règne depuis 40 ans. […] tous les politiques de droite ou de gauche vous disent d’abord nous devons respecter nos traditions d’asile et d’humanité. Mais nous devons avoir une politique de fermeté… Quand vous entendez ça : tradition d’asile, humanité, et de l’autre côté fermeté… Vous pouvez éteindre votre poste, cela veut dire : baratin ! », explique-t-il.
Alors que Christine Kelly, la voix morne et l’œil éteint, le relance d’un timide : « Éric Zemmour, vraiment, il n’y a pas de juste milieu ? », l’auteur du Suicide français (Albin Michel) s’en donne à cœur joie. « Il n’y a pas de juste milieu. Il faut renverser la table ! Il ne faut plus qu’ils viennent ici. Ces jeunes, le reste de l’immigration, il ne faut pas qu’ils viennent ici. Ces jeunes, Christine, tous, Christine, tous […]. Je vous le répète : ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs… C’est tout ce qu’ils sont. Il faut les renvoyer, il ne faut même pas qu’ils viennent », s’enflamme celui qui clôt par ailleurs sa tirade par une nouvelle diatribe contre la Cour européenne des droits de l’homme et la convention des droits de l’enfant, « l’origine du mal », en ce qu’elles empêchent les expulsions de mineurs. En guise de conclusion, il rétorque enfin à Christine Kelly, qu’il campe curieusement en avocate des droits de l’enfant : « Vous, vous pensez à ces enfants qui sont en souffrance, moi, je pense à ces enfants qui sont violés par ces gens-là, aux femmes qui sont assassinées par ces gens-là, aux Français qui sont brutalisés et traumatisés par ces gamins-là. »
« On vous laisse la responsabilité de vos propos », se défausse Christine Kelly, sparring-partner impavide depuis un an de l’essayiste multi-condamné. La séquence est terminée et s’est déroulée sans la moindre protestation des autres invités présents sur le plateau, visiblement anesthésiés face à ce déversement de haine.
Comme au lendemain de l’appel à la guerre civile qu’il avait lancé en direct sur LCI, aux côtés des amis de Marion Maréchal lors de la « Convention de la droite », le parquet de Paris a ouvert jeudi une enquête pour « provocation à la haine raciale » et « injures publiques à caractère raciste ». Nul doute qu’Éric Zemmour sera une nouvelle fois condamné. Et nul doute qu’il accrochera cette nouvelle condamnation à sa boutonnière, à la manière de Dieudonné ou de Soral, en signe de résistance au « camp du bien ».
À la différence près que Dieudonné et Alain Soral, dont l’antisémitisme viscéral a été maintes fois condamné, sont persona non grata depuis des années dans les médias quand CNews, la chaîne de Vincent Bolloré, a construit sa grille de rentrée en fonction de la « locomotive » Zemmour…
Dans un communiqué publié jeudi, les journalistes de la chaîne, qui avaient déjà protesté il y a un an contre la venue de l’essayiste sur leur antenne, ont tenté de se désolidariser de cette nouvelle sortie. « Nous condamnons avec la plus grande fermeté les propos tenus sur notre antenne », a indiqué la société des journalistes (SDJ) de CNews dans un communiqué. Une posture de plus en plus délicate à assumer dans une chaîne où Éric Zemmour est en roue libre cinq heures par semaine. Une chaîne devenue depuis le rachat d’Itélé par Vincent Bolloré la Fox News à la française qu’attendait depuis des années l’extrême droite (lire ici [5]).
Comme le révèlent aujourd’hui Les Jours, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), aux abonnés absents depuis des années sur la banalisation de la parole raciste et xénophobe, a cette fois déclenché un « article 40 », qui impose à toute autorité publique de signaler un délit dont elle a connaissance au procureur de la République.
Il y a un an, comme le rappelait voilà quelques jours sur France Inter Roch-Olivier Maistre [6] interrogé par Sonia Devillers, le CSA avait déjà saisi le procureur au lendemain de la « Convention de la droite ». Après la diffusion en direct du discours de Zemmour sur LCI, la chaîne n’avait écopé que d’un « rappel à l’ordre ». Après les propos d’Éric Zemmour sur le général Bugeaud (« Quand le général Bugeaud arrive en Algérie, il commence à massacrer les musulmans, et même certains juifs. Eh bien, moi, je suis aujourd’hui du côté du général Bugeaud. C’est ça être français ! », avait-il déclaré le 23 octobre 2019 sur CNews), le CSA avait mis en demeure CNews, qui diffuse dorénavant l’émission du polémiste en léger différé pour pouvoir couper les passages délictueux. La responsabilité de la direction de la chaîne pourra cette fois être engagée. Mais le choix de CNews de garder cette séquence abjecte sur les « mineurs isolés » ne montre que trop bien à quel point la chaîne de Vincent Bolloré se moque éperdument des éventuelles condamnations à venir.
Éric Zemmour assure de bien belles audiences à la chaîne. « Face à l’info » a par exemple rassemblé près de 500 000 téléspectateurs le 2 septembre, devançant sur cette case l’émission de Cyril Hanouna.
Quand on a fait du racisme, de la xénophobie, de l’islamophobie ses principaux produits d’appel, on ne craint pas – de toute évidence – les condamnations et les amendes. Elles font partie du business model.
Lucie Delaporte