Pékin de notre correspondante
Une star est née. Chignon choucroute et talons aiguilles, Wu Ping, 49 ans vitupère au pied de son royaume assiégé par les pelleteuses. Ce peti immeuble de briques de deux étages, qui trône depuis des mois sur u monticule de terre d’une dizaine de mètres de haut, est devenu e quelques jours un symbole, et sa propriétaire une icône. Entouré par le nouvelles tours de Chongqing, la mégapole chinoise au bord du Yang-Tsé, l pauvre palais de Mme Wu est tout ce qui reste d’un quartier populaire ras par un promoteur qui veut en faire un centre commercial et des résidence de luxe. Mercredi dernier, Yang Wu, le mari de Ping, ancien champion d’art martiaux, a planté la bannière étoilée nationale sur le toit et déplié un banderole « Pas de violation de la propriété privée ». Une semaine après le vote d’une loi historique par le Parlement, qui accorde à chaque Chinois le droit de devenir propriétaire, le slogan a fait mouche.
Des millions de gens expropriés chaque année en Chine y ont vu sinon un espoir, du moins une revanche. La plupart du temps, le combat est perdu d’avance et les manifestations, souvent déclenchées par les expropriations, sont réprimées par la police. Ceux qui, écœurés par la collusion manifeste des autorités locales avec les promoteurs privés, espèrent en la justice, sont toujours déboutés par les tribunaux provinciaux après des mois de procédure. Certains tentent leur chance en partant à Pékin, un cahier de doléances sous le bras, plaider leur cause devant le pouvoir central, qui ne donne jamais suite. D’autres se suicident, seuls et ruinés. La plupart s’exilent à la périphérie des villes. C’est pourquoi le drapeau de Chongqing est devenu célèbre en quelques jours.
L’affaire pourtant ne date pas de la semaine dernière. En septembre 2004, lorsque la société immobilière Nanlong a démarré le chantier, 280 maisons ont été évacuées sans bruit. Les Wu, installés là depuis les années 80, ont résisté, même quand l’eau et l’électricité ont été coupées, puis ont fait monter les enchères. Le couple a exigé un appartement de la même surface que le restaurant, quelque 200 m2, dans l’une des futures résidences de luxe. Après le refus de la société, ils ont porté l’affaire devant le tribunal de la ville. Mais, avant que les juges se prononcent, les pelleteuses sont entrées en action.
Reste un mystère, qui passionne les juristes. Comment Mme Wu a-t-elle pu résister si longtemps ? Le phénomène médiatique, inédit jusque-là en Chine, a sûrement compté. La photo de la « maison clou » de Chongqing a d’abord été diffusée sur Internet et a déclenché des dizaines de milliers de réactions. Les médias officiels, jusqu’aux plus noyautés par le pouvoir comme le China Daily, voix de la Chine en anglais, ont ensuite répercuté l’histoire. Elle a fait le tour du pays la semaine dernière, jusqu’à ce que le gouvernement central impose le silence. Depuis samedi, plus un journal ni une chaîne de télévision n’évoquent l’affaire de Chongqing.