La progression du vote indépendantiste dans des communes qui ne l’étaient pas se confirme (nous y reviendrons plus en détail dans un prochain billet), tout comme semble-t-il la forte participation des jeunes et des nouveaux inscrits. Aujourd’hui, sans les résultats précis en terme de voix par commune, il est difficile de dire si les voix en plus proviennent essentiellement des nouveaux inscrits (ceux qui ont eu 18 ans depuis le dernier référendum, environ 5 000) ou bien des abstentionnistes qui ont retrouvé le chemin des urnes. Sans doute une combinaison des deux.
Si je reprends l’exemple pris pour le référendum de 2018 : Bourail. J’écrivais alors à la suite des résultats : ville très fortement anti-indépendantiste pendant les Événements de 1984-88, où des drapeaux bleu-blanc-rouge flottaient sur la plupart des maisons, comme si nous avions à chaque coin de rue ou de colline des mairies. Et bien, Bourail a voté en 2018 oui à 30,9 % avec une participation de 88,6 %, soit une progression de 10 points pour l’indépendance par rapport aux scrutins provinciaux. C’était déjà une grande victoire. En 2020, celle-ci se conforte puisqu’on enregistre 32,7 % pour le oui avec une participation de 91%.
Autre progression très notable : celle de Nouméa. Avec une participation de 84,8 % (soit 4,5 points de plus), le oui passe à 23,3 % (soit 4 points de plus). Sans doute l’une des hausses les plus notables du territoire, fief anti-indépendantiste s’il en est, puisque la hausse de la participation profite beaucoup plus aux indépendantistes : si 1 115 électeurs de plus ont voté pour le non, 2 336, soit plus du double, l’ont fait pour le oui ! Signe que les idées indépendantistes progressent de façon indéniable et continuent de convaincre de plus en plus d’électeurs parmi les nouveaux inscrits ou parmi les abstentionnistes d’il y a deux ans. Et contrairement à ce que ne cesse de répéter d’aucun, ce vote n’est pas seulement ethnique puisque dans certaines communes, comme nous l’avons déjà écris en 2018, le oui dépasse la proportion de population kanak… Et cette année, 49,5 % des électeurs inscrits sur la liste de consultation étaient kanak… on n’a pas eu 49,5 % de oui, sans compter que tous les Kanak ne votent pas forcément oui ! Cette analyse est réductrice et peut viser à décourager les non-Kanak à voter oui. De même, le référendum n’est pas une impasse comme il a été dit en conclusion de la soirée électorale sur NC1ère par ce docteur en « géographie électorale » (sic)… Tout cela n’est pas très objectif ni scientifique !
Ce résultat global conforte donc le projet d’indépendance et l’absence de projet ou de propositions nouvelles des anti-indépendantistes, comme nous l’avons mentionné dans notre dernier billet.
À nouveau, les gens du pays, en votant ainsi, ont pris la parole pour dire massivement quelque chose comme « on veut vivre ensemble, il faut y arriver, on est prêt à construire un avenir pour notre pays ». Et, une partie des Calédoniens qui ne sont pas indépendantistes a voté Oui, par solidarité avec les Kanak, pour marquer leur ras-le-bol de ces discours passéistes et pour envoyer un message fort qu’il faut trouver une solution ensemble. Ils ont sans doute été rejoints en 2020 par une part de l’électorat wallisien et futunien.
Une fois de plus, le projet d’indépendance n’est pas évacué, même si les tenants du non voudraient supprimer le troisième référendum en arguant que cela ne changera rien. Ils l’avaient déjà claironné en 2018 : à l’époque, l’argumentaire d’un Brial et d’un Michel par exemple sur la non-nécessité d’un deuxième ou troisième référendum car ce sera du pareil au même était déjà totalement faux car, écrivions-nous, les abstentionnistes peuvent changer d’avis, d’ici deux ans, d’autres nouvelles générations auront la majorité et pourront voter. Et puis, sur les îles Loyauté, il reste une grande marge de gens à convaincre et qui n’avaient pas voté en 2018. Que ce soit pour suivre le mot d’ordre du PT (mais je n’y crois pas forcément et cela n’est pas démontrable de toutes les façons) ou bien parce qu’ils ont beaucoup plus cru dans ici qu’ailleurs aux arguments frauduleux des anti-indépendantistes visant à faire peur sur l’avenir des retraites, de l’accès à la santé ou autre… Ou encore parce que certains n’ont pas été suffisamment convaincus par le programme de pays Kanaky Nouvelle-Calédonie et que donc, pour ne pas voter non, ils n’ont pas voté oui !
Tout cela faisait que le oui pouvait grandir et c’est ce qui s’est passé. Certes la barre des 50 % n’est pas encore atteinte, mais à ce rythme de progression, tout est faisable en 2022. Donc l’espoir est encore plus grand ce soir pour que Kanaky Nouvelle-Calédonie arrive un jour en État indépendant et souverain.
En tant qu’anti-colonialiste ayant soutenu le droit à l’indépendance du peuple kanak depuis près de quarante ans, je suis ce soir très émue et heureuse de voir le vote oui grandir, ce qui rend hommage ainsi aux anciens, aux morts… pour cet idéal de liberté : sortir enfin du colonialisme.
Nous reviendrons sous peu plus longuement sur ces résultats.
À suivre donc
Merci de nous avoir lu
Isabelle Leblic, 4 octobre 2020
• Mediapart. Le blog de Aisdpk Kanaky. 4 oct. 2020 Par Blog :
https://blogs.mediapart.fr/aisdpk-kanaky/blog/041020/la-progression-du-vote-independantiste-se-confirme-au-referendum-du-4-octobre-2020
Référendum du 4 octobre 2020 : Des enseignements de ce scrutin
Une participation record, une progression du oui impressionnante, un tassement très net du non qui ne semble plus avoir de marge de progression très grande. Un pari gagné par les indépendantistes.
Avec la défaite victorieuse du 4 novembre 2018, où les résultats pour le oui ont fait mentir tous les pronostics, le pari pour ce second scrutin était grand pour chaque camp. Une fois encore, même si le oui ne l’emporte pas, nous pouvons dire que les indépendantistes ont remporté cette deuxième manche. Sur l’ensemble du territoire, le oui a gagné 11 334 voix quand le non n’en a gagné que 2 769. C’est donc à nouveau une grande victoire pour les indépendantistes dont le poids progresse de façon considérable.
Les indépendantistes s’étaient fixés comme objectif de mobiliser les abstentionnistes dont l’un des plus forts réservoirs étaient les îles et de gagner des point sur Nouméa et le Grand Nouméa. On peut dire que ces objectifs ont été atteints. Nous allons revenir en plusieurs billets successifs sur ces résultats et ce qu’ils nous disent de la progression indépendantiste. Aujourd’hui, je vais vous parler des Loyautés et du Grand Nouméa.
En effet, si l’on regarde plus en détail, on s’aperçoit que, même dans le Grand Nouméa, les indépendantistes progressent presque deux fois plus que les Loyalistes : + 4 622 oui contre + 2 616 non. Les oui en plus du Grand Nouméa représentent 40,8 % de ces nouveaux oui : sur les 11 334 oui de plus sur ce dernier scrutin, 4 622 proviennent en effet des électeurs du grand Nouméa. Et les non en plus avoisinent pour ce secteur 94,5 % des nouveaux non (2 616 sur 2 769), signe que les Loyalistes ne convainquent pas du tout en dehors de leur fief traditionnel. À Dumbéa, le oui est passé de 2 930 à 4 012, soit + 1 082 voix alors que le non n’en a gagné que 714, et il y avait 1 213 nouveaux inscrits. À Mont-Dore, le oui a 646 voix de plus, le non 339, avec 530 nouveaux inscrits. À Païta, l’écart est plus faible puisque le oui prend 558 voix de plus et le non 448, avec 866 nouveaux inscrits.
Si on pousse plus loin l’analyse et que l’on regarde cette fois-ci en terme de communes indépendantistes ou non, on s’aperçoit que les communes indépendantistes ont enregistré entre les deux scrutins 1 988 électeurs de plus, que le taux de participation est passé de 77,51 % à 84 % et donc a progressé de près de 6 points, que le oui a gagné 6 181 voix alors que le non en a perdu 175. Partout, l’augmentation du nombre de suffrages exprimés dépasse grandement celui des nouveaux inscrits, preuve que les abstentionnistes de 2018 se sont mobilisés en partie. C’est donc le signe que parmi ceux-ci, des électeurs ont été convaincus par les uns ou les autres, et au regard des chiffres, plus par les indépendantistes, d’aller voter. Aux îles Loyauté, cette mobilisation est spectaculaire (voir tableau 1).
Tableau 1. Évolution du nombre d’inscrits, de votants et de votes pour le oui ou le non entre les deux référendums (2018/2020) aux îles Loyautés
© Isabelle Leblic
Cela nous permet de voir que les nouveaux votants ont plus profité au oui à Lifou qu’à Ouvéa et surtout qu’à Maré, qui est le fief historique (notamment Guahma) du défunt grand chef Naisseline, fondateur du LKS, le parti Dynamique autochtone LKS [2] avait appelé pour 2020 à voter non. Cela a sans doute aussi pesé à Ouvéa dans le résultat. Cela montre aussi que le oui a progressé à Lifou au-delà des nouveaux votants puisque la progression du oui dépasse de 197 voix l’augmentation des suffrages exprimés. Dans cette île, la campagne indépendantiste a donc rallié aussi des électeurs qui avaient voté non en 2018.
Lifou est en effet la commune indépendantiste où le oui a le plus progressé en valeur absolue. Rapporté au nombre de suffrages exprimés de la commune (8 255), cela représente 23,44 % de l’électorat. Lifou est d’ailleurs en terme d’inscrits la première commune indépendantiste. Vient ensuite Maré avec 6 858 inscrits, Ouvéa avec 4 418, Koné avec 4 412 et Poindimié avec 4 146. Puis dans les 3 000 inscrits, nous avons Houaïlou (3 688) et Canala (3 498). Dans les 2 000 et quelques se trouvent Pouébo (2 392), Ponérihouen (2 671), Hienghène (2 469), Poya (2 365), Voh (2 355), Thio (2 177) et Ouégoa (2 174). Les huit autres communes oscillent entre 510 inscrits pour la plus petite qu’est Sarraméa et 1 933 pour Touho.
Du côté des communes non indépendantistes, nous avons 4 646 nouveaux inscrits, un taux de participation qui passe de 83,03 % à 86,57 %, soit 3,5 de plus et que le non a gagné 2 944 voix alors que le oui a quant à lui gagné 5 153 voix, soit près du double. Partout, sauf à Farino, le nombre de suffrages exprimés supplémentaires pour ce scrutin par rapport à celui de 2018 dépasse le nombre de nouveaux inscrits, démontrant la mobilisation des abstentionnistes de 2018.
Merci de nous avoir lu.
À suivre…
Isabelle Leblic
• Mediapart. Le blog de Aisdpk Kanaky. 6 oct. 2020 Par Blog :
https://blogs.mediapart.fr/aisdpk-kanaky/blog/061020/referendum-du-4-octobre-2020-des-enseignements-de-ce-scrutin
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Pour en savoir plus, voir notamment le dossier très complet (plus de 300 pages) du Journal de la Société des Océanistes 147 : 2018. La Kanaky Nouvelle-Calédonie a rendez-vous avec l’histoire, Isabelle Leblic et Umberto Cugola éds, https://doi.org/10.4000/jso.9034 préparé autour du référendum de 2018 qui est toujours d’actualité et apporte des éclairages importants.
Couverture du JSO 147 sur Kanaky Nouvelle-Calédonie 2018 © I. Leblic