La rue nigériane ne lâche rien. “Les manifestants sont catégoriques”, écrit le quotidien The Nation mercredi 14 octobre au matin. Depuis dix jours, les grandes villes du pays ne cessent de se remplir de manifestants. Rien ne semble calmer la colère des jeunes, pas même “le fait que le gouvernement ait accédé à leurs revendications”, constate le quotidien nigérian.
Face à l’ampleur de la colère, le président a en effet annoncé la dissolution immédiate de la Sars, la brigade antibraquage, plus connue pour ses débordements que pour sa lutte contre le crime organisé. Mais désormais, les manifestants disent à Muhammadu Buhari : “Nous voulons la fin des violences policières”, poursuit The Nation. À la manière de Black Lives Matter aux États-Unis, le mouvement sans leader identifié ne cesse d’enfler. Du jamais-vu “depuis plus de dix ans au Nigeria”, constate le site d’information Quartz, qui décrypte la naissance de cette révolte passée des réseaux sociaux à la rue.
Quelque 28 millions de tweets en un week-end
Tout commence le 3 octobre avec un hashtag #EndSARS (en finir avec la Sars), et la vidéo d’une scène violente diffusée sur Twitter.. Des membres de cette brigade controversée laissent un jeune homme pour mort, dans le sud du pays. L’indignation se répand alors très vite sur les réseaux sociaux, car “beaucoup de jeunes Nigérians ont eu des démêlés avec la Sars”, tant ses agents se croient tout permis, explique Quartz, qui décrit :
“Les officiers de la Sars ciblent des jeunes et les accusent d’être des voleurs, uniquement parce qu’ils ont sur eux un ordinateur portable ou un smartphone, puis ils demandent des cautions exorbitantes en échange de leur libération. Dans certains cas encore plus extrêmes, ils les obligent même à retirer de l’argent à un distributeur, sous la menace d’armes.”
En seulement un week-end, vingt-huit millions de tweets sont partagés sous le hashtag #EndSARS. Le mouvement de colère est né, mais il ne s’exprime encore que sur un espace virtuel.
Les réseaux sociaux sont alors devenus “un élément clé” pour convoquer les manifestations, et faire passer le mouvement “du monde virtuel au monde réel”, poursuit Quartz, rappelant que le géant ouest-africain compte tant de personnes connectées qu’on estime que, d’ici à 2025, il représentera plus d’un cinquième des “475 millions d’utilisateurs d’Internet mobile d’Afrique subsaharienne”.
Attirer l’attention des stars et des médias internationaux
Sur Twitter et Whatsapp, les jeunes lancent des mots d’ordre et appellent au ralliement. “Par exemple, quelques dizaines de personnes convergent en un lieu pour manifester puis ils partagent leur localisation sur Twitter en appelant des ‘renforts’ – ce qui a permis de voir des foules importantes se former en seulement quelques heures.”
Cette présence sur les réseaux sociaux a également permis de lever des fonds et de rendre la révolte visible aux “grands médias comme la BBC, CNN, Al-Jazeera”, poursuit Quartz, et aux célébrités locales comme internationales. Les superstars de la chanson nigériane comme Wizkid et Burna Boy se sont ainsi fait les porte-voix de la colère des jeunes.
This is just the beginning !! We won our fight to #ENDSARS .. now Reform the Nigerian police !! #Endpolice brutality ! We deserve good governance ! #Endpolicebrutality
— Wizkid (@wizkidayo) October 11, 2020
Puis “des célébrités comme des footballeurs de Premier League en Angleterre ou des stars américaines du hip-hop comme Kanye West et P. Diddy ont aussi partagé le hashtag et manifesté leur soutien” aux Nigérians, poursuit Quartz.
Alors que plusieurs générations ont été traumatisées par les dictatures militaires des années 1970 et 1980, le mouvement est né au sein d’une jeunesse qui n’a pas connu cette époque et n’a plus peur de sortir dans la rue, souligne le site d’information. Prenant les autorités plus que jamais au dépourvu.
Anna Sylvestre-Treiner
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