SCIENCE - Si Emmanuel Macron a annoncé, mercredi 14 octobre, la mise en place d’un couvre-feu dans plusieurs villes françaises, c’est parce que le gouvernement croit à son efficacité pour enrayer la progression de l’épidémie de Covid-19.
“Notre objectif, c’est de réduire les contacts privés, qui sont les plus dangereux”, a-t-il déclaré, affirmant que “les soirées festives sont des vecteurs d’accélération du coronavirus.”
Une explication qui n’a pas convaincu Jean-Luc Mélenchon, qui a écrit sur Twitter que “60% des contaminations ont lieu au travail ou à l’école ou à l’université entre 8h et 19h”. Sauf que le député de la France insoumise faisait erreur : il parlait ici des clusters repérés, qui ne représente que 8,7% des cas officiellement comptabilisés depuis la fin du confinement, selon les derniers chiffres de Santé Publique France (SPF). Une approximation relevée par le ministre de la Santé Olivier Véran qui a regretté une polémique inutile.
Mais cette erreur ne veut pour autant pas dire qu’Emmanuel Macron a forcément raison sur l’origine des contaminations au coronavirus. Car il est aujourd’hui très compliqué de savoir avec précision comment et où les Français se contaminent. Et il va falloir des mois pour répondre à cette question.
Des clusters déformés
On sait aujourd’hui quelles sont, en théorie, les situations où le coronavirus se répand le plus facilement : le pire, c’est une zone en intérieur, où il y a des interactions sociales (discussion, chant, repas, etc.), le tout sans masque, sans aération et sans distanciation physique. Mais difficile de dire, en France, quels lieux entraînent cet état de fait.
On peut se dire qu’en théorie évidemment, les bars, restaurants et autres lieux où l’on se retrouve en nombre et où l’on ne porte pas de masque en continu sont risqués. Mais avec les différentes mesures et recommandations, comment savoir exactement où les choses clochent ?
Justement, le système de traçage de contact mis en place par le gouvernement devrait permettre de faire cela, non ? Pas vraiment, et c’est justement pour cela que la comparaison de Jean-Luc Mélenchon ne tient pas. La réalité, c’est que les lieux des clusters identifiés suite à ce traçage “ne peuvent en aucun cas être considérés comme représentatifs des lieux de contamination en général”, alerte Daniel Lévy-Bruhl, épidémiologiste à Santé Publique France. SPF le rappelle, les clusters ne servent qu’à analyser le niveau de “criticité des différents secteurs”. En clair, de voir que dans un Ehpad, le risque de transmission et le risque de forme grave de Covid-19 sont plus élevés que dans les crèches.
“Il n’est pas surprenant de retrouver un nombre brut de clusters plus élevé dans les entreprises ou milieux scolaires, mais si vous le rapportez au nombre d’entreprises et d’établissements scolaires, la proportion par milieu sera beaucoup plus faible”, estime Patrick Rolland, coordonnateur interrégional chez Santé publique France, à l’origine du système de traçage des clusters développé par SPF.
Enquête sur les contaminations
De plus, le traçage de contact en général est à bout de souffle et débordé face à l’explosion des contaminations. Surtout, il n’est lui non plus pas très représentatif. On voit par exemple que seules 2,8 personnes-contacts sont identifiées par cas confirmé de Covid-19. En parallèle, 73% des personnes diagnostiquées positives par PCR n’étaient pas référencées comme cas contact. En clair, le traçage de contact passe à côté de 7 personnes sur 10.
Pourquoi ? Les cas confirmés cachent-ils les personnes qu’elles ont pu voir dans le cadre privé ? Les contaminations sont elles majoritairement intraçables, car elles proviennent d’inconnus (transports en commun, lieux publics, bars et restaurants, etc.) ? Le système est-il simplement débordé ? Ici, impossible de le savoir, parce qu’encore une fois, nous ne savons pas comment les Français se contaminent.
“Les plateformes de traçage de contact ont pour vocation de contacter les personnes identifiées et ne peuvent pas enquêter sur les circonstances fines de contamination”, explique Daniel Lévy-Bruhl. Mais justement, SPF s’est associé à l’Institut Pasteur pour essayer d’en savoir plus.
“Une étude épidémiologique va bientôt démarrer sur un échantillon important de cas où on va investiguer les circonstances de contaminations”, précise l’épidémiologiste. Si tout se passe bien, les résultats devraient être connus “dans les mois qui viennent”. À défaut de permettre de mieux gérer la deuxième vague, cela permettra peut-être de prévenir la troisième.
Grégory Rozières