L’époque où le Canada faisait figure de société d’accueil modèle semble bien lointaine. Si, en 1986, le pays recevait des Nations unies la médaille Nansen pour sa contribution à cette cause, il est maintenant taxé de racisme systémique et dénoncé comme un système inégalitaire. Au Québec, qui accueille en moyenne 1400 réfugiés légaux chaque année, ainsi qu’un quota variable de travailleurs étrangers temporaires et de migrants au statut précaire, la situation est similaire.
Un constat alarmant
Pourtant, ces nouveaux venus sont actifs. « On les retrouve souvent dans des travaux difficiles et mal rémunérés dont personne ne veut ici », indique Noémie Beauvais, organisatrice communautaire du Centre des travailleurs et travailleuses immigrants. L’agriculture, la machinerie, le camionnage, la domesticité, la santé, l’entreposage et la transformation alimentaire sont les principaux secteurs qui emploient cette main-d’œuvre sous une forme essentiellement temporaire, ce qui lui bloque l’accès à une couverture médicale et sociale. Qui plus est, des programmes gouvernementaux complexes et des contrats de travail rigides plongent les travailleurs étrangers dans une situation de dépendance qui les précarise encore plus.
« Il s’agit d’une double, voire d’une triple injustice migratoire dans certains cas, explique Laura Vergara, chargée des programmes en éducation à la citoyenneté mondiale pour le CREDIL, un organisme d’accueil des migrants de la région lanaudoise. Il faut savoir que ces travailleurs ne viennent pas d’une immigration choisie, mais subie. Elle peut être liée à un climat de violence politique, raciale et religieuse, ou à une pauvreté, auxquels contribuent, directement ou non, les sociétés d’accueil. Or, ces mêmes sociétés contingentent la venue des migrants et leur imposent en plus des conditions de travail et de vie qui restreignent leurs droits les plus élémentaires. »
Abus normalisés
Même si, depuis le début de la pandémie, le gouvernement canadien a investi des fonds pour assurer aux travailleurs étrangers temporaires une meilleure sécurité, les conditions de vie de ces personnes, surtout dans le secteur agricole, demeurent lamentables. « Les logements qui les accueillent sont souvent insalubres ou surpeuplés. Ils se voient aussi imposer un nombre important d’heures de travail, même s’ils sont malades. Et ils ont tellement peur d’être renvoyés chez eux, ce qui réduirait à néant toute nouvelle tentative d’obtenir un permis de travail, qu’ils acceptent ce traitement sans se plaindre », explique Mme Beauvais, qui voit défiler dans son bureau des dizaines de cas d’abus chaque année.
L’intervenante souligne aussi le rôle fallacieux des agences de placement, qui plongent les travailleurs étrangers dans une relation triangulaire malsaine. « Il leur est non seulement impossible d’obtenir une certaine stabilité, mais ils ne savent pas non plus qui est leur patron et, jusqu’à récemment, ils n’étaient pas toujours payés lorsque l’agence disparaissait du jour au lendemain avec l’argent de ses clients. »
Changer la donne
Comment transformer un système bâti sur des inégalités et régi par des lois pour la plupart vieilles de 40 ans et inadaptées à la nouvelle réalité migratoire ? Selon Mme Beauvais, le changement doit passer par une plus grande souplesse des programmes et des permis de travail. « Mais il faut aussi régulariser les travailleurs sans statut déjà intégrés dans des emplois. Ils ne volent de job à personne, après tout », soutient-elle.
Un avis partagé par le CREDIL, qui accueille en moyenne 70 familles de réfugiés par an dans Lanaudière. « Toutes ces personnes sont, à des degrés divers, dysfonctionnelles et ont besoin de soutien », explique le chargé des programmes en immigration Sylvain Thibault. L’organisme les accompagne donc dans toutes leurs démarches professionnelles et personnelles, en plus d’organiser des formations, des animations et des voyages pour changer la perception de notre communauté sur ces nouveaux venus. « Comme notre devise le dit, conclut-il : “Il faut comprendre ailleurs pour agir ici”. Et faire changer de l’intérieur les mentalités. » Un vaste défi.
Sophie Ginoux
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