Vous nous avez posé, ainsi qu’aux autres candidats à la présidentielle, deux « question simples » que vous avez renoncé à détailler « afin de juger de [notre] connaissance du sujet » :
« Question 1 : Que comptez vous faire en matière de protection animale ?
Question 2 : Que comptez vous faire en matière d’écologie (protection des espèces et des espaces, conservation des espèces…) ? »
Ces questions sont si vastes qu’il est impossible d’y répondre de façon exhaustive. De plus, elles sont liées dans la mesure où nous parlons d’espèces sauvages et d’environnement : nous voyons mal comment répondre de façon séparée à l’une et à l’autre. L’écologie politique est en une question « transversale » qui a des implications dans tous les domaines de l’activité humaine. Nous présentons donc ici une démarche plutôt qu’un catalogue de mesures.
D’autre part, il faut insister sur le fait que des avancées sur des questions aussi fondamentales que l’écologie nécessitent une mobilisation sociale durable, en liaison avec une modification des mentalités. La LCR veut contribuer à cette évolution (y compris en intégrant elle-même mieux la dimension écologique à ses références, ses orientations et ses activités). Tout ceci va bien au-delà d’un simple programme électoral, discuté à l’occasion d’une échéance comme la présidentielle.
Que faire en matière d’écologie ?
Que faisons-nous en matière d’écologie ? Nous participons tout d’abord à de nombreuses campagnes et mobilisations collectives, qu’elles soient internationales (campagne Climat contre l’effet de serre…), européennes (contre le réacteur EPR, pour le ferroutage…), nationales (participation au réseau Sortir du nucléaire, lutte contre les OGM…) ou locales (contre la construction d’infrastructures destructrices, pour protéger les écosystèmes…). Des militants de la LCR sont aussi des naturalistes de terrain, actifs dans des associations environnementales ou de protection de la nature. L’engagement écologique est un engagement dans l’action que nous souhaitons permanent et croissant.
Nous pensons aussi qu’il ne suffit pas de multiplier les combats spécifiques. Nous sommes aujourd’hui confrontés à une crise écologique d’origine humaine et à dynamique globale. La question du réchauffement climatique illustre la nature de cette crise et sa gravité ; elle pose avec acuité la question de la gestion sociale des ressources. Cette crise se manifeste aussi sur d’autres terrains : dégradation de l’air, des sols, des eaux ; chute de la biodiversité ; famines et crises sanitaires... Il y a eu, dans l’histoire, de nombreuses crises écologiques d’origine humaine, mais elles restaient locales ou régionales. C’est la première fois qu’elles se combinent et prennent une dimension planétaire.
Il n’est pas difficile de remonter aux sources de la crise présente : l’évolution du marché mondial et du système productif (ainsi que des modèles de consommation qui l’accompagnent) à partir des années 1960 (une évolution rapide qui se manifeste dans le domaine de l’énergie, des transports, de l’agro-industrie, etc.). Il n’est pas non plus difficile de percevoir la logique profonde à l’œuvre dans cet emballement destructeur du système : la logique intime du capitalisme qui produit pour le profit quel qu’en soit le coût social et environnemental — et qui ne produit pas s’il n’espère pas réaliser un profit, même quand il s’agit de répondre à un besoin vital, comme c’est le cas pour des médicaments « non rentables ». La mondialisation capitaliste en cours ne fait qu’aggraver le problème.
Le combat écologique doit s’attaquer à la racine du mal – et notamment à la logique du profit propre au capitalisme. Il doit aussi être mené comme un combat démocratique et populaire, sous peine d’échouer. Sans cela en effet, les réformes écologiques ne seront pas acceptées et les mobilisations ne seront pas assez fortes pour faire plier les lobbies anti-écologiques si puissants dans un pays comme la France : lobbies pétrolier, nucléaire, autoroutier, agro-industriel, chimique et pharmaceutique… Il ne s’agit donc pas d’opposer l’environnemental au social, mais au contraire d’insister sur leur totale interdépendance. Les mêmes logiques productives qui épuisent la terre et bouleversent la biosphère épuisent aussi les travailleurs et imposent leur domination aux consommateurs.
Nous prônons donc une écologie qui s’attaque à la racine du mal ; une écologie démocratique, sociale et populaire. Nous sommes partie prenante du courant international écosocialiste.
La défense des écosystèmes
La disparition d’un nombre croissant d’espèces vivantes du fait des activités humaines est aujourd’hui devenue particulièrement alarmante. Il est urgent de porter un coup d’arrêt à cette spirale destructive qui met en cause la richesse de notre environnement dont notre santé dépend, mais aussi notre richesse culturelle illustrée par la variété des paysages, de la flore et de la faune.
La protection des espèces dépend avant tout de celle des écosystèmes au sein desquels elles vivent. Il est en effet illusoire de « protéger » des espèces au cas par cas si nous ne défendons pas leurs ressources et leur cadre de vie naturel. Il existe des conventions internationales comme Ramsar pour les milieux humides, des programmes européens comme Natura 2000 ou des lois nationales comme celle concernant la protection du littoral. Mais dans l’ensemble, l’arsenal législatif est à la fois très insuffisant et inadapté, traitant des espèces individuelles plus que des écosystèmes. Il est aussi souvent oublié ou détourné. Il faut donc le modifier et le renforcer pour préserver ce qui reste de milieux naturels ou semi-naturels, ainsi que les espaces ruraux riches en biodiversité (bocages, prairies de fauche, etc.), pour restaurer aussi des milieux dégradés (zones humides, etc.).
Des mesures très concrètes doivent être prises en matière d’aménagement, dans la réhabilitation des carrières, des cours d’eau, des littoraux, des estuaires et de nombreux sites abandonnés — et parfois détruits — par ignorance des collectivités locales de leur richesse patrimoniale. Les financements correspondants doivent être garantis. Des milieux naturels rares doivent être protégé d’une influence humaine perturbatrice. D’autres, comme la Crau, produit d’une longue histoire naturelle et humaine combinée, doivent être protégé de la destruction par l’agro-industrie. Mais plus généralement, une politique de protection des écosystèmes concerne la conception même de l’aménagement du territoire et de la production.
Contentons-nous ici de prendre un exemple. Le maintien et la restauration d’une agriculture « paysanne » (ce qui ne veut pas dire archaïque !) peut permettre tout à la fois de préserver la biodiversité, la diversité des paysages, une production alimentaire de qualité, les emplois ruraux, un tissu social vivant et les services publics… Ce type d’agriculture favorise les convivialités locales, les productions et les consommations régionales, et la diversité des cultivars ; il réduit aussi le volume des transports. En revanche, le modèle agro-industriel dominant conduit à l’artificialisation des milieux, l’uniformisation des paysages, l’effondrement de la biodiversité, la désertification des campagnes, l’appauvrissement de la qualité des produits et l’aggravation des crises alimentaires. L’urbanisation croissante de notre société va de pair avec l’apparition de régions immenses de cultures intensives en voie de devenir des déserts biologiques (la Beauce, la Champagne, les régions viticoles). Même les hirondelles et les moineaux des villages de ces régions voient leurs populations s’effondrer du fait de l’extrême pollution de leur environnement. Le développement de cultures intensives d’OGM, qui implique l’emploi massif obligatoire d’herbicides, est une politique que certains ont qualifiée d’« écocide ». Nous savons maintenant que les populations humaines sont elles-mêmes directement concernées par ces déséquilibres écologiques.
L’artificialisation des milieux qu’impose la mise en œuvre du modèle capitaliste industriel de production dans l’agriculture coûte cher à la population (santé et pollutions, chômage et isolement…), en même temps qu’elle nourrit la crise écologique globale d’origine humaine dont le réchauffement climatique est le symbole. Nous voulons donc mettre un terme à cette artificialisation de l’espace naturel et rural.
De même, sur le plan international, le respect de la souveraineté alimentaire de chaque pays (ou groupe de pays) peut contribuer — en plus de tout ce qui vient d’être mentionné — à la relocalisation des économies, ce qui est une exigence démocratique (les populations n’ont aucun contrôle sur les grands groupes multinationaux) et écologique, en s’attaquant au caractère irrationnel du commerce mondial capitaliste et en réduisant les échanges marchands.
Les milieux urbains et péri-urbains sont aussi concernés par une politique de défense de la biodiversité. Nous espérons, par exemple, que l’intégration de la Seine-Saint-Denis au réseau Natura 2000 permettra effectivement de s’attacher à cette question (Natura 2000, conçu pour les zones rurales, ne concerne pour l’heure que 5% du territoire français sur des zones qui ne dérangent pas grand monde : hautes montagnes, sites déjà protégés, zones humides, réserves de chasse…).
Une politique de protection des écosystèmes doit combiner des choix globaux d’orientation et un ensemble de mesures très concrètes, à différentes échelles de gestion. La fragmentation des territoires biologiques (par les voies de communication, la création de « déserts verts » par l’agro-industrie, l’urbanisation, etc.) constitue un danger particulièrement grave pour de nombreuses espèces et pour de nombreuses raisons : séparation artificielle des zones d’hivernage et de reproduction (batraciens…), impossibilité pour une espèce de recoloniser un milieu ou d’en coloniser de nouveaux, etc. Il faut donc multiplier les « corridors » naturels permettant de relier tous ces territoires locaux et régionaux. De même, à une échelle internationale cette fois, les migrateurs doivent pourvoir trouver tout au long de leur dangereux périple bi-annuel des zones favorables à leur repos, à leur alimentation et à leur sécurité.
Il n’est pas difficile de créer ces corridors pour les populations animales et végétales locales et ces « haltes » pour les migrateurs. Le réseau routier peut être aménagé en conséquence à peu de frais (micro-tunnels pour batraciens, haies protectrices pour éviter la mortalité des nocturnes tués par les voitures, micro-ponts au-dessus des routes, etc.), ainsi que le paysage rural : bosquets, haies, bandes boisées, petits canaux, aménagement des berges, bassins d’expansion des eaux, maintien et recréation de zones inondables, création de roselières, etc.
Il suffit, pour ce faire, que ces mesures fasse partie du « cahier des charges » de tout projet d’aménagement. Encore une fois, il ne s’agit pas de défendre la nature contre l’homme. La fragmentation du territoire est l’un des versants de son artificialisation dont la population paye le prix. Par exemple, les zones inondables (et la végétation qui les habitent) qui sont détruites à l’occasion de ces aménagements implantés sans précautions sont essentielles à la biodiversité, mais elles jouent aussi un rôle essentiel dans l’épuration naturelle des eaux que nous utilisons et dans la limitation des inondations destructrices. Les drainer ou les « rectifier » peut être une erreur.
Enfin, cette « micro-écologie » (création des corridors, aménagements « doux »…) est porteuse de nombreux savoir-faire et de nombreux emplois. Elle s’inscrit elle dans une politique de « relocalisation » des activités humaines, à l’encontre des logiques de désertification sociale.
D’autres mesures de protection
La protection des espèces dépend avant tout de la protection des milieux — mais elle exige aussi d’autres mesures spécifiques.
La lutte contre le commerce des animaux sauvages doit être considérablement renforcée. Ce dernier met en effet très directement en danger bon nombre d’espèces dites « exotiques ».
Face aux pressions de l’ultra-chasse (particulièrement vivaces en France), les dates européennes de chasse doivent être respectées. La notion de « dérangement » des milieux doit être intégrée à l’évaluation de l’impact des activités cynégétiques. Aucun mode de chasse « aveugle » (qui peut toucher des espèces qui ne sont pas « chassables ») ne doit être toléré — pas plus que des méthodes cruelles qui, de plus, s’attaquent souvent à des espèces protégées (pièges à rapaces). Les gardes-chasses ne doivent en rien dépendre des fédérations de chasse vu qu’ils contrôlent l’activité des leurs adhérents !
De même, les DIREN doivent avoir les moyens d’une action indépendante pour servir réellement à la protection des milieux, ce qui n’est actuellement pas le cas. La gestion des forêts par l’ONF doit assurer leur diversité faunistique et floristique (à l’inverse de ce qui a été fait à Fontainebleau, par exemple). Le statut des parcs nationaux et régionaux doit être renforcé face à la dégradation des situations (voir notamment en Camargue ou en Guyane). De véritables observatoires de la biodiversité doivent être mis en place. Les fédérations de chasse ne doivent plus bénéficier d’un pouvoir particulier dans la gestion des espaces naturels comme c’est bizarrement le cas en France. En effet, une fédération de chasse ne connaît que le gibier ; elle n’a aucune compétence naturaliste générale concernant la flore et la faune dans leur ensemble, ou concernant les interactions entre espèces et les substrats physiques dans les écosystèmes…
Des mesures plus strictes doivent être prises contre les mauvais traitements infligés aux animaux. Malgré les réglementations existantes, des méthodes très cruelles sont utilisées, sur le plan international, dans nombre d’industries, comme celle de la fourrure (ou des médias télévisuels !), ou encore à l’occasion du transport des animaux. Les moyens dont sont dotés les services chargés de faire respecter la loi en ce domaine sont très insuffisants. Les lois elles-mêmes doivent être renforcées.
Les recherches menées sur les animaux vivants ne doivent être autorisées que pour des domaines vitaux (santé) et quand il n’existe pas d’alternative. Elles ne doivent pas être autorisé dans des domaines non vitaux (cosmétiques…). Dans tous les cas, dans les laboratoires comme ailleurs, les animaux doivent vivre dans des conditions décentes.
Une politique publique
Nous ne voulions pas faire de catalogue… Nous nous arrêterons donc là. Mais on voit à quel point la protection de la nature n’est pas un domaine séparé, une « réserve législative » spécialisée. Elle concerne tous les grands domaines législatifs : politique agricole, transports, énergie, urbanisation, production… Elle opère au niveau local et régional, mais aussi européen et international. Il s’agit bien d’un élément d’une politique globale.
Il faut agir sur les consciences, contribuer à modifier les comportements individuels, engager une « révolution culturelle » dans la façon dont la nature et les animaux sont perçus. Mais une politique globale exige nécessairement une action responsable de l’Etat. Ce n’est pas le « libre marché » qui va « réguler » un développement respectueux des exigences environnementales (et sociales !). Nous avons besoin de politiques publiques.
Il ne suffira pas de supprimer les aides publiques aux activités préjudiciables aux milieux naturels et à l’environnement, ou d’agir « à la marge » sur le marché (éco-labels, etc.). L’Etat doit prendre des mesures réglementaires et, plus profondément, mener une action publique positive, pour mettre en œuvre un autre type de développement. L’aménagement du territoire (dans toutes les dimensions évoquées ici) est un service public.
Notre ambition est que les politiques publiques soient au service d’un autre projet de société. Grâce à la conscience et à la mobilisation citoyennes.