Rappelons que le premier gouvernement Prodi était « tombé » suite à un vote de défiance au Sénat portant sur la politique étrangère du ministre D’Alema (voir solidaritéS no 103 du 28 février. Sur le site d’ESSF : Quand le moindre mal flirte avec le pire...). La presse italienne avait alors stigmatisé l’abstention de deux sénateurs (Franco Turigliatto de PRC et Fernando Rossi ex-PdCI), comme la cause de la crise gouvernementale. Le gouvernement Prodi II, reconduit par le président Napolitano, a pu ainsi hausser le ton au sein de sa « majorité » parlementaire et « resserrer les boulons » d’un programme gouvernemental déjà peu conforme aux attentes populaires et aux engagements préélectoraux.
Comment en est-on arrivés là ?
Lidia Cirillo nous explique que le point de rupture institutionnel se situe bel et bien dans cette sanction délivrée par le Sénat à la politique « atlantiste » (alignée derrière l’OTAN) du gouvernement, la source réelle de la crise, il faut la chercher dans le regain de mobilisation contre l’élargissement de la base militaire de Vicenza, qui avait précédé ce vote, et qui a vu défiler plus de 100000 personnes dans les rues de cette ville du nord-est de l’Italie. Ce regain de mobilisation se combine avec le très fragile équilibre institutionnel : il n’y a en effet pas de majorité au Sénat, et il suffit d’une ou deux voix pour la faire basculer. Le sénateur Franco Turigliatto ne pouvait évidemment pas cautionner la politique d’alignement sans réserve que le ministre D’Alema cherchait à verrouiller à l’occasion du vote sur la reconduction de la mission militaire en Afghanistan.
Il est évident que la pression qui pèse sur notre sénateur – poursuit Lidia Cirillo – est énorme, et, dans ce fragile équilibre institutionnel, le chantage au retour de Berlusconi est permanent. Et il est vrai qu’il n’y a pas mieux pour terroriser notamment « le peuple de gauche » (3-4 millions d’électeurs sur les 19 qui ont voté pour la coalition gouvernementale), car la dévastation qu’on a connu en Italie pendant les deux gouvernements de Berlusconi est bien réelle. Mais tout aussi réelle est la déception générée par la politique néolibérale du gouvernement actuel. Il faut bien se rendre compte que ce gouvernement est responsable d’une augmentation du budget militaire dont l’ampleur n’a pas de précédent dans l’Italie d’après-guerre. Ce même gouvernement a augmenté les coûts de la protection sanitaire (l’équivalent de la franchise de l’assurance maladie pour nous, ndlr) et il envisage de diminuer encore les retraites dans un pays où elles ne suffisent déjà pas à survivre... La liste s’allonge et le mécontentement populaire s’élargit.
Si l’on devait aller voter aujourd’hui il ne fait pas de doute que la droite l’emporterait. C’est elle qui capitalise actuellement ce mécontentement et elle est en train de prendre racine dans les milieux populaires, au même moment où la gauche les délaisse. C’est très dangereux de laisser faire de la sorte, spécialement dans une conjoncture historique qui voit une certaine réhabilitation posthume du fascisme, l’église catholique engagée dans une offensive tous azimuts, et les idéologies les plus réactionnaires se faire une nouvelle santé à la faveur d’une concentration sans précédent des moyens de communication et d’édition...
Quelle est aujourd’hui la situation de PRC et celle de Sinistra Critica en son sein ?
Le problème de PRC ne date pas de cette dernière crise. Il date de la décision de participer au gouvernement Prodi, il y a de cela au moins 3 ans. C’est à partir de cette date qu’il a tout investi – et tout misé – sur ce projet qui consistait à « participer au gouvernement pour le rendre perméable aux luttes ». Or, non seulement ce gouvernement s’est montré très imperméable aux luttes, mais en faisant cela, Rifondazione a fini par se désengager des mouvements et des fronts de lutte. Auparavant, notre parti s’organisait sur le terrain social, ses militant-e-s étaient connus et reconnus par les instances des mouvements. Ce n’était pas un parti centré sur son appareil. Aujourd’hui, l’essentiel de ses cadres et la totalité de sa direction ont littéralement été aspirés par les institutions et les mandats électifs. Il y a un taux de roulement des militant-e-s qui est impressionnant. On peut dire que sa base militante, surtout les jeunes, se renouvelle entièrement tous les 3-4 ans. On ne sait désormais plus que faire d’eux. Alors que le mouvement populaire est en train de se réveiller, mais cette fois sans Rifondazione…
Dans ce contexte, Sinistra critica cherche à organiser celles et ceux qui ont maintenu une perspective d’opposition radicale aux politiques néolibérales d’où qu’elles viennent. Comme une partie des militante-s ont déjà quitté le parti, la gauche du parti se trouve de facto à cheval sur sa frontière. D’autant plus que, franchement, nous ne voyons pas d’issue à cette impasse. Prodi va poursuivre sa fuite « en avant », de leur côté les mobilisation sociales, bien que fragmentaires, font preuve d’une autonomie grandissante, et nos élu-e-s devraient résister à une pression humainement insupportable et politiquement dévastatrice. Il faut se faire à l’idée qu’aujourd’hui il faut recommencer le travail depuis le début, depuis la base, au niveau des luttes sectorielles, et chercher des convergences un peu dans l’esprit de « forums sociaux d’opposition ».
Nous avons deux rendez-vous décisifs dans cette perspective au début avril : un en Vénétie et l’autre à Rome, 15 jours plus tard. Nous pourrons alors mesurer le chemin qui nous restera à parcourir pour concrétiser un projet de recomposition sociale et organisationnelle.