Dans un entretien accordé le 28 décembre 2020 à la télévision du Haut-Karabakh, le général Vitali Balassanian, secrétaire du Conseil de sécurité de l’enclave arménienne et président du parti Équité, a annoncé un vaste programme de réformes sociétales et militaires dans la république autoproclamée plus que jamais enclavée au sein du territoire de l’Azerbaïdjan. Les 1 960 Casques bleus russes installés dans la région depuis le 10 novembre constituent l’unique protection des habitants arméniens.
Le général veut aller vite. Le Haut-Karabakh “ne compte plus sur l’Arménie, plongée dans une profonde crise politique”, observe le site russe sur l’Ukraine Ukraina.ru. Les troupes azerbaïdjanaises sont postées aux portes des villages arméniens du Karabakh depuis la signature, le 10 novembre, par l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Russie de la déclaration tripartite mettant fin à la deuxième guerre du Karabakh (27 septembre – 9 novembre 2020), perdue par les Arméniens face à l’alliance turco-azerbaïdjanaise.
Une nouvelle armée d’autodéfense
L’armée d’autodéfense de l’Artsakh (nom arménien du Karabakh) sera “placée sous la tutelle du Conseil de sécurité” et non plus du président du Haut-Karabakh, détaille le site arménien Panarmenian. “Tous les hommes doivent servir dans l’armée, contre un salaire élevé”, explique Balassanian qui promet une armée “forte, mobile et professionnelle”. “Servir dans l’armée est le devoir sacré de chacun”, a souligné le général.
Par ailleurs, la république se dotera de ses propres troupes de gardes-frontières, ainsi que de réservistes et milices populaires. “Personne n’est en droit de nous l’interdire, car il en va de notre sécurité”, prévient Balassanian. D’autant que “les terroristes [à la solde de la Turquie] venus combattre de Syrie, sont toujours à nos frontières”. Des forces de lutte antiterroristes seront donc créées.
“L’Artsakh passe sous le régime de la ‘loi martiale’”, constate le site russe Svobodnaïa Pressa. L’objectif, selon Balassanian, est de récupérer les villages et territoires occupés illégalement par l’Azerbaïdjan en décembre dans les districts d’Askeran et de Gadrout.
Facebook mis au ban pour les fonctionnaires
Pour contrer la guerre d’information qui passe essentiellement par les réseaux sociaux dont sont friands les dirigeants actuels de l’Arménie et du Haut-Karabakh, il sera interdit aux fonctionnaires et politiciens du Haut Karabakh d’avoir un compte sur Facebook.
“De Facebook, il faut revenir à la réalité”, explique Balassanian. “Tout fonctionnaire ayant utilisé Facebook [ou tout autre réseau social] pendant son temps de travail sera congédié”, a-t-il martelé selon Panarmenian. Car pour informer, “chaque organe du pouvoir possède son service de communication qui n’a qu’à faire son travail”.
Sectes, ivrognes et toxicomanes - dehors
La prolifération, ces dernières années, de sectes religieuses en tout genre en Arménie comme au Karabakh serait-elle considérée comme une des raisons de l’impréparation de la société arménienne à la guerre qui vient de se terminer ? “J’appelle tous les bureaux de tous les mouvements sectaires à fermer au plus vite leurs portes – ni moi, ni mes services ne permettrons plus leur activité en Artsakh”, a en tout cas mis en garde Balassanian, avant d’ajouter : “Nous sommes les enfants de l’Église apostolique arménienne, et il n’y en aura pas d’autres en Artsakh”.
Une discipline de fer – tel est le défi sociétal placé devant le Haut-Karabakh. Pour le relever, “la lutte contre l’ivrognerie et la toxicomanie sera renforcée”. Balassanian n’y va pas avec le dos de la cuillère : “Ceux qui consomment des drogues doivent y renoncer ou bien quitter le territoire de l’Artsakh”. Dès le 1er janvier 2021, des patrouilles des forces de l’ordre veilleront au respect de ces nouvelles règles.
Balassanian, cité par Panarmenian, se dit “certain” de l’aptitude du gouvernement à “résoudre ces problèmes dans les plus brefs délais”. Pour cela, chaque citoyen “doit accomplir son devoir et se sentir responsable [du destin collectif]”.
Balassanian, présidentiable ?
“Tout laisse à penser que le Haut-Karabakh a tiré les leçons de la guerre et tente de se remobiliser [pour relever les défis à venir]”, analyse le site russe Ukraina.ru, avant de tirer comme conclusion que “le Haut-Karabakh a décidé de se préparer à une future guerre contre la Turquie et l’Azerbaïdjan]”.
Par ailleurs, le président du Haut-Karabakh, Araïk Aroutiounian (en poste depuis mai 2020), considéré comme l’un des responsables de la défaite récente, semble hors jeu. Dans un contexte sécuritaire radicalement renforcé après la guerre, “les rênes du pouvoir sont aujourd’hui de fait entre les mains de Balassanian”, écrit Svobodnaïa Pressa.
Selon le site arménien News.am, une élection présidentielle anticipée pourrait se tenir au Haut-Karabakh dans les prochains mois. Si Balassanian, titulaire de la plus haute distinction militaire de “Héros de l’Artsakh”, se porte candidat, il a toutes les chances d’être élu – au scrutin de 2012, il avait obtenu 33 % des voix.
Le journal arménien antirusse Lragir voit dans les dernières interventions de Balassanian – que le média qualifie de “putsch” – les prémices d’un “divorce entre l’Artsakh et l’Arménie” qui éloigne la perspective du miatsoum – la réunification de l’Arménie et du Haut-Karabakh. Avec comme perspective pour ce dernier de devenir un “protectorat russe”. Dans son entretien, Balassanian n’a d’ailleurs pas exclu la distribution aux Arméniens karabakhtsis de passeports russes.
Alda Engoian
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