Dans son enquête intitulée “Mon patron n’est pas un être humain”, le magazine économique Caijing expose des témoignages d’employés chinois désarmés et impuissants face à des systèmes d’intelligence artificielle (IA) installés par les entreprises qui les emploient. Comme Wu Hao, responsable de la chaîne de production d’une entreprise de fabrication d’équipements électroniques à Wuxi, dans l’est du pays.
Sanctionné pour trois secondes de trop
Wu confie cette histoire étonnante qui date de l’été 2019. Son collègue, un ouvrier, a vu son salaire réduit de 50 yuans (environ 6 euros) car il avait pris trois secondes de plus que le temps alloué pour aller aux toilettes. Wu a appelé le département des ressources humaines pour faire suite à la plainte de son subordonné et a reçu une réponse glaciale : “Dépasser d’une seconde, c’est déjà trop. Vous devez suivre les règles.”
Pour Wu Hao, ce mauvais rêve commence en 2019, quand sa société a introduit un système intelligent de gestion des employés. La vingtaine de caméras “enregistre l’état du travail de tous les ouvriers dans l’atelier de production, surveille leur efficacité, note le journaliste. Chaque composant a un temps de traitement prescrit. Avec la caméra, le système reconnaît les mouvements de chaque ouvrier. Si l’un prend trop de temps, cela aura des conséquences sur l’évaluation de cet ouvrier à la fin du mois.”
Dans une autre entreprise qui développe un logiciel d’IA à Hangzhou, dans la province du Zhejiang, un directeur des ventes reconnaît que “le seul but de développer ce genre de système est de surveiller”.
Pour achever son enquête, le journaliste de Caijing a entamé sa propre expérience en empruntant la carte d’un employé d’un grand groupe électrique public à Pékin. À la fin de la journée, sur la plateforme interne des ressources humaines de l’entreprise, il a découvert la trace exhaustive de toutes ses activités : utilisation du badge d’entrée, emprunt de l’ascenseur, repas à la cantine, achat dans le supermarché de l’entreprise, etc. “Toutes ces données sont enregistrées”, note le journaliste, qui cite un salarié :
“Avec la technologie actuelle, nous n’avons aucune vie privée une fois entrés dans l’entreprise.”
“J’ai l’impression d’être surveillé”
Le 4 janvier, le public chinois a été scandalisé par une révélation de Nanfang Dushibao. Selon ce journal de Canton, une entreprise technologique de Hangzhou “a distribué des coussins de haute technologie aux employés en exigeant qu’ils les utilisent”. Ces coussins peuvent mesurer le rythme cardiaque, la respiration, le niveau de fatigue, etc. Sauf que l’employé qui a alerté le journal “pensait que les données n’étaient disponibles que sur son smartphone, il ne pensait pas que les RH possédaient également toutes ses données”. “J’ai l’impression d’être surveillé”, se plaint-il.
Déjà en avril 2019, le journal pékinois Beijing Qingnianbao révélait qu’une sorte de bracelet intelligent avait été distribué à quelque 500 cantonniers de la ville de Nanjing, dans la province du Jiangsu. En dehors de la fonction de géolocalisation, “lorsqu’un travailleur reste immobile pendant plus de vingt minutes, le bracelet émet un signal sonore ‘Allez, courage’ pour l’inciter à travailler”. Quand des cantonniers ont pointé du doigt cette surveillance “insupportable”, leur société s’est justifiée, estimant que le dispositif “améliore l’efficacité du travail et réduit les coûts de gestion”.
Zhang Zhulin
Abonnez-vous à la Lettre de nouveautés du site ESSF et recevez chaque lundi par courriel la liste des articles parus, en français ou en anglais, dans la semaine écoulée.