Un homme aperçoit un personnage avec une épaisse moustache, la pipe aux lèvres, assis à la table d’une brasserie de Nantes. Ce visage lui semble familier. Il lui demande : « C’est toi, le mec du Larzac ? » « Mais, oui ! », répond le candidat à l’élection présidentielle. « Rappelle-moi ton nom », insiste l’homme. « José », rétorque le candidat. « José, José, José... Ah oui, José Bové ! » Puis il s’en va en lançant : « Je t’aime bien. » Il est plus de minuit à Nantes. L’électeur potentiel titube vaguement.
José Bové vient de terminer un meeting altermondialiste, où a dominé un discours du type : « On va en finir maintenant avec la mondialisation. » Son public, conquis d’avance, est uni dans l’idée selon laquelle le monde est divisé entre les bons (les travailleurs) et les méchants (les patrons des multinationales). Il dénonce l’Organisation mondiale du commerce (OMC), symbole du libéralisme.
Dans le monde idéalisé par José Bové, la France, sixième puissance industrielle mondiale, doit être gouvernée ainsi : transfert des bénéfices des actionnaires des entreprises du CAC 40 aux travailleurs ; sanction pour les entreprises qui délocalisent. Dans cette France-là, le salarié travaillerait moins : 35 heures aujourd’hui, en attendant que soit adoptée une nouvelle réduction du temps de travail à 32 heures, « sans perte de salaire ».
La nouvelle France de José Bové dirait non à l’Europe libérale et tenterait de reconstruire l’Union sur d’autres bases. L’agriculture ne serait plus un thème de négociation du commerce international. Chaque pays produirait pour son peuple : la France pour les Français, le Brésil pour les Brésiliens.
Un discours qui provoque des frissons de l’autre côté de l’Atlantique, au Brésil chez les dirigeants de la gauche pragmatique du Parti des travailleurs (PT) au pouvoir. « Au fond, ce qu’il veut, c’est que les Français mangent français, consomment de la culture française et parlent seulement le français. Dans ce cas, il vaut mieux, pour lui, fermer les aéroports », ironise Paulo Delgado, ex-secrétaire des relations internationales du PT du président Luiz Inacio Lula da Silva. Il exprime implicitement une évidence : « Le Brésil de Lula, en matière d’exportation agricole, va très bien. » Le système autarcique défendu par José Bové est perçu comme une plaisanterie et le leader altermondialiste français est devenu le symbole, presque caricatural, du protectionnisme français. Paulo Delgado perçoit José Bové comme un symbole anachronique. « Il représente une gauche utopique et obscurantiste, qui s’oppose aux valeurs de la science et du commerce comme facteurs de paix. »
Né à Talence (Gironde) en 1953, dans un milieu aisé (son père était ingénieur à l’Institut national de la recherche agronomique), José Bové est entré très tôt en rébellion contre le système. Cela a commencé avec son expulsion d’un lycée catholique près d’Athis-Mons (Essonne). « C’est vrai que j’ai eu très jeune ce refus des choses qu’on impose. » Dans la France troublée de 1968, il s’engage dans le pacifisme et l’antimilitarisme jusqu’à la découverte de sa vocation agricole dans le Larzac, où il possède toujours une exploitation, aux normes écologiques. Agriculteur, il a créé avec d’autres la Confédération paysanne, l’association Attac et a été porte-parole de l’organisation paysanne internationale Via Campesina.
L’opinion publique le découvre en 1999 quand il prend une part active au démontage d’un McDo en construction à Millau (Aveyron). Le combat est alors dirigé contre la « malbouffe ». La même année, il se rend aux Etats-Unis, en particulier à Seattle (Etat de Washington) pour participer aux multiples manifestations organisées contre la réunion ministérielle de l’OMC. Son combat contre le système agro-industriel devient alors clairement celui d’une remise en cause du modèle capitaliste.
C’est au Brésil en 2001 que José Bové s’impose comme leader altermondialiste. Il envahit, avec près de 1 000 paysans sans terre, une ferme expérimentale de la société Monsanto, détruisant deux hectares de soja transgénique, dans le sud du pays. L’événement se produit au moment où se tient le premier Forum social mondial à Porto Alegre : des milliers de militants y sont réunis et assistent à son arrestation, très médiatisée.
Joao Pedro Stédile, leader du Mouvement des sans-terre, est l’un de ceux qui bloquent la voiture de police qui devait le conduire au commissariat. Fils de petits agriculteurs du Rio Grande do Sul, de formation marxiste, il est l’un des plus grands défenseurs de la réforme agraire au Brésil. Il forme avec José Bové une alliance d’autant plus solide qu’ils partagent les mêmes idées. « C’est un homme travailleur, courageux et cohérent avec ses idées de la défense d’un modèle plus sain et plus juste de production en agriculture », explique Joao Pedro Stédile.
Au Brésil, comme en France, il séduit un certain public. Ses idées rencontrent un écho à la gauche du PT ou dans l’aile la plus radicale du parti, aujourd’hui marginalisée par Lula, et au sein des mouvements sociaux, comme les sans-terre. Dans un pays de latifundia, où les paysans sans terre sont estimés à plus d’un million de personnes et où les inégalités sont criantes, José Bové est devenu une sorte de Don Quichotte.
José Bové ne pardonne pas à Lula d’avoir trahi le rêve de la gauche altermondialiste. Le président brésilien a passé des années dans l’opposition, prêchant une rupture radicale avec le système. Après trois tentatives ratées pour parvenir au pouvoir, il a été élu président en 2002, convaincu que le seul chemin était, finalement, d’améliorer le système. Aujourd’hui, il est applaudi dans le temple du libéralisme - le Forum économique de Davos - et cité comme l’exemple d’une « gauche qui a vu juste ».
José Bové pense que le Brésil aurait pu résister au FMI et à la Banque mondiale. Pour lui, malgré la réélection écrasante de Lula en 2006, il y a une vraie déception sur le fond. « Ce qui se passe au Brésil doit nous servir de leçon pour éviter ce piège de rentrer dans le modèle malgré soi », soutient-il. Son modèle en Amérique latine ? Evo Morales, l’Indien Aymara et syndicaliste cocalero (paysan cultivateur de coca), devenu président de la Bolivie en 2006.
Alors, José Bové fera-t-il une révolution antilibérale en France, s’il arrive au pouvoir ? Le leader altermondialiste adoucit son discours. « On veut à la fois transformer la vie quotidienne des gens tout en faisant preuve de pragmatisme. On ne va pas dire : »Demain, c’est la révolution et toutes les usines seront rendues au peuple.« » Une conclusion à laquelle Lula est parvenu bien avant d’accéder au pouvoir.
Deborah Berlinck, journaliste brésilienne
PARCOURS
1953 Naissance à Talence (Gironde).
1973 Manifeste contre l’extension du camp militaire du Larzac.
1976 Première condamnation, pour « activités antimilitaristes ».
1987 Cofondateur de la Confédération paysanne.
1999 Démontage du restaurant McDonald’s de Millau et premier séjour en prison.
2007 Condamnation à quatre mois de prison ferme pour fauchage anti-OGM