Katmandou a connu vendredi 5 février une nouvelle journée très agitée. “Des centaines de milliers de gens venus de tous les coins de la vallée se sont rassemblés sur Durbarmarg”, la longue avenue de la capitale menant au musée du palais Narayanhiti, l’ancienne résidence des rois du Népal, pour une “démonstration de force en soutien au Premier ministre, K.P. Sharma Oli”, indique l’Himalayan Times.
Le 20 décembre 2020, le dirigeant marxiste a annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale en raison de divergences profondes avec son allié maoïste, l’ancien Premier ministre Pushpa Kamal Dahal, dit “Prachanda” (“le Féroce”). Alors que les deux hommes avaient fusionné leurs partis respectifs en 2018, ils sont aujourd’hui à couteaux tirés, le second accusant le premier de “népotisme” et de “corruption”. Prachanda considère que la Constitution fédérale entrée en vigueur en 2015 n’autorise pas le chef du gouvernement à convoquer des législatives anticipées.
Il a demandé à ses partisans de descendre dans la rue le 10 février pour réclamer le rétablissement de la Chambre, après avoir déjà conduit deux manifestations monstres dans le centre de Katmandou, le 22 janvier et encore jeudi 4 février. “Les factions rivales du Parti communiste népalais montrent leurs muscles, alors même que la Cour suprême continue d’auditionner les partisans de la dissolution et leurs opposants”, s’étonne le Nepali Times, c’est à croire que les marxistes et les maoïstes “sont en compétition pour rendre la vie des citoyens impossible”.
Des signaux ambigus
En rassemblant ses troupes devant l’ancien palais royal, treize ans après la chute de la monarchie, K.P. Sharma Oli suggère qu’il serait favorable “à la restauration d’une monarchie hindoue”. Ses proches nient pareil rapprochement d’idées, mais le Premier ministre, arrivé aux commandes du Népal il y a trois ans, “envoie depuis quelques jours des signaux ambigus”, comme s’il cherchait à obtenir le soutien officiel de l’Inde dans la crise institutionnelle actuelle.
Au mois de janvier, dans une interview à la chaîne d’information indienne Zee News, M. Oli s’est “longuement attardé sur le passé védique du Népal” dans le but de montrer que le petit État himalayen est partie intégrante des textes fondateurs de l’hindouisme, vieux de cinq mille ans. “En début de semaine, il s’est rendu à Pashupatinath, le site sacré des crémations à Katmandou, pour donner son accord à l’utilisation de 140 kilos d’or pour décorer le mausolée dédié à Shiva”, ajoute le Nepali Times.
Selon un proche, le Premier ministre “veut juste montrer son opposition à la laïcité et au fédéralisme afin de séduire les électeurs” appelés à élire de nouveaux députés, les 30 avril et 10 mai prochains.
Tout va maintenant dépendre “de la capacité des maoïstes à coaliser autour d’eux les partis d’opposition” pour faire tomber M. Oli, à commencer par le parti du Congrès de l’ancien Premier ministre Sher Bahadur Deuba, analyse le Kathmandu Post. Cette formation, membre de l’Internationale socialiste, “organise ses propres manifestations de son côté” depuis un mois et demi.
Or son président considère qu’il est urgent “d’attendre le verdict de la Cour suprême sur la validité de la dissolution” avant d’entreprendre quoi que ce soit. Au sein du Congrès, une minorité pense néanmoins, comme les maoïstes, qu’il convient “de manifester dans la rue jusqu’à ce que la Chambre des députés sortante soit rétablie dans son bon droit”.
Guillaume Delacroix
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