Miroslav Aleksic, dit Mika, est un célèbre professeur de théâtre serbe et le directeur de l’école privée d’art dramatique au nom candide, La Chose du cœur. Son cours a vu passer des acteurs et des actrices belgradois prestigieux, et son autorité a toujours été incontestable tant il était apprécié par la profession et les parents. Jusqu’à ce que Milena Radulovic et six anciennes élèves brisent le silence.
“Nous avons regardé Mika Aleksic emmener les filles dans une salle à côté de la nôtre et s’y attarder un long moment. Un jour, ça a été mon tour. C’était un manipulateur qui instaurait une emprise sur les élèves en jouant la figure paternelle, raconte Milena Radulovic à Blic. Les cours commençaient et se terminaient par une prière, il insistait sur les valeurs traditionnelles, ce qui plaisait aux parents.”
Le site Tacno rappelle un détail embarrassant de la biographie d’Aleksic qui n’est pas passé inaperçu : ardent partisan de Zeljko Raznatovic Arkan, le chef de la Garde des volontaires serbes, Aleksic filmait les “conquêtes” du criminel de guerre durant le conflit en Croatie au début des années 1990, tout comme il a filmé son mariage avec la vedette de turbo folk Ceca.
Pour autant, “tous les violeurs ne sont pas des nationalistes, ni des gens d’extrême droite, souligne l’hebdomadaire serbe Novosti, le plus souvent, les violences sexuelles ont lieu dans l’environnement familial, l’agresseur est un membre de la famille, proche ou élargie, un ami”.
Les institutions appelées à réagir
Lorsqu’on interroge les victimes sur leur silence, la question est vécue comme un “second viol”. Milena Radulovic a tenu cependant à s’exprimer sur les raisons de son silence durant ces longues années :
“Je me suis tue à cause de la honte qui pesait sur moi et d’un fort sentiment de culpabilité. J’ai perdu toute confiance en moi. Aleksic était quelqu’un de très populaire, certes autoritaire dans ses méthodes mais apprécié et aimé, nous savions que l’on ne nous croirait pas.”
Depuis, Aleksic a été incarcéré, et sa mise en détention provisoire a été prolongée d’un mois.
Le témoignage de la jeune actrice serbe a suscité dans la région un large mouvement contre les violences sexuelles sous la banderole “Nisi sama” (“Tu n’es pas seule”). Quatre étudiantes de la faculté des arts de la scène de Sarajevo (ASU) ont créé une page sur Facebook appelée “Nisam trazila” (“Je ne l’ai pas cherché”), réservée au début aux actrices, aux artistes et aux personnalités.
Mais rapidement, la page s’est transformée en plateforme régionale, des témoignages de dizaines de milliers de victimes de violences sexuelles, toute profession et tout âge confondus, ont afflué, relayés par le quotidien Oslobodjenje. L’initiative a ébranlé les institutions, appelées à réagir et à apporter des solutions urgentes contre les violences faites aux femmes.
70 % des femmes victimes de violences sexuelles
La parole des actrices se libère en Croatie aussi. Des dizaines d’actrices ont témoigné dans le quotidien Slobodna Dalmacija, de Split, des violences sexuelles, du harcèlement et du chantage qu’elles avaient subis dans leur travail. L’université de Zagreb est aussi visée. Selon Jutarnji List, les plaintes pour harcèlement sexuel se comptent par centaines, la majorité (25) provenant de la faculté d’art dramatique de Zagreb. Très contesté, le doyen de l’université de Zagreb, Damir Boras, a été accusé de protéger un professeur d’histoire, promu récemment au rang de professeur émérite et dénoncé par plusieurs étudiantes pour harcèlement sexuel.
Selon l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, 70 % des femmes vivant en Europe de l’Est et du Sud-Est ont subi en 2018 une forme de violence sexuelle, affirme la radio Slobodna Europa.
Kika Curovic
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