Lettre ouverte à mon collègue Raoul Marc Jennar
(à propos de la manière de traiter les candidatures anti-néolibérales dans le « Journal du Mardi »)
Cher ami,
Comme tous les collaborateurs ou chroniqueurs de cette gazette, j’ai des opinions politiques et je ne ne puis évidemment pas les mettre en poche.
A la longue, le lecteur habitué du Journal du Mardi (JDM) sait parfaitement à quoi s’en tenir, je pense, sur les convictions de celles et ceux qui signent régulièrement des papiers dans cet hebdomadaire.
A propos des élections françaises, il est clair qu’un tel a de la sympathie pour Ségolène Royal, un tel pas, un tel autre pour Marie-Georges Buffet, et toi pour José Bové. Pour compléter ce tableau, je précise que ma préférence à moi va à Olivier Besancenot (qui est à la fois très rouge et très vert, j’aime).
Cette diversité constitue une certaine richesse. Mais la richesse se transformera rapidement en misère si nous nous mettons à utiliser nos espaces rédactionnels respectifs comme des bases de lancement de missiles partisans.
Or, en décrivant José Bové comme « le seul candidat qui ne soit pas récupéré par le système », il me semble évident que tu as franchi la ligne de démarcation implicite entre le débat d’idées, que tu mènes si bien, et la propagande, dans le mauvais sens du terme.
Il est vrai que d’autres, dans ces colonnes, dérapent de temps à autre (moi aussi peut-être ?). Mais pas à ce point-là. Je trouve que cela doit être dit. Et je préfère te le dire ouvertement, par le biais de cette lettre, que d’utiliser « ma » chronique pour lancer un quelconque appel de vote en direction des Français de Belgique. « Allo la terre ? » ne sert pas à ça, et le JDM non plus, selon moi.
Salut et fraternité,
Léon Taniau
* Le Journal du Mardi du 17 avril 2007.
La grande absente du débat français : l’Europe
par Raoul Marc Jennar
La France, pays fondateur de l’Union européenne, est le seul Etat qui ait organisé trois référendums sur des sujets européens : en 1972 pour l’adhésion de la Grande-Bretagne, de l’Irlande, du Danemark et de la Norvège, en 1992 pour le traité de Maastricht et en 2005 pour le traité établissant une Constitution pour l’Europe (TCE).
Et le débat qui a précédé ce dernier référendum fut d’une intensité rarement égalée avec un extraordinaire fossé entre le discours tenu par les élites politico-médiatiques et les analyses échangées de mille façons entre citoyens.
A la suite du rejet du TCE par deux pays et de la décision de ne pas procéder à la ratification par 6 autres Etats, il a été convenu que c’est au cours du second semestre 2008, qu’il faudra au plus tard trouver une solution permettant de sortir de la crise des institutions européennes ouverte en 1997 à Amsterdam, lorsque les quinze Etats membres d’alors se sont avérés incapables de procéder à l’approfondissement, un terme utilisé pour définir une intégration accrue de l’Europe politique. Une impuissance renforcée depuis lors suite à l’élargissement. Or, c’est la France qui présidera les institutions européennes à ce moment-là et ce sont donc ceux qui vont être choisis cette année qui devront piloter et nourrir les négociations pour parvenir à un accord.
Et pourtant, aujourd’hui, en pleine campagne électorale, l’Europe n’occupe qu’une place dérisoire dans les interventions de l’écrasante majorité des candidats. Il y bien eu la visite à Bruxelles de Royal et Sarkozy et le discours qu’ils ont, comme Bayrou, prononcé à Strasbourg, mais hormis quelques paragraphes dans un court chapitre de leur programme, l’Europe n’occupe pas la place centrale qui devrait être la sienne. Quand on considère l’impact considérable du droit européen dans les choix que peuvent encore faire les gouvernements et les parlements nationaux quand on sait que le locataire de l’Elysée sera confronté l’an prochain aux responsabilités qu’on vient de décrire, on est tout simplement stupéfait de la médiocrité du traitement accordé à l’Europe.
Ceci s’explique sans doute par la difficulté qu’ont les dirigeants de l’UMP et du PS à avouer les transferts de compétences et l’effacement de la souveraineté nationale qu’ils ont concédés depuis quelques décennies. Quand Bayrou et Sarkozy proposent certains cadeaux fiscaux aux entreprises, quand Royal promet des « services publics renforcés », le retour d’EDF-GDF au statut public, la création de nouveaux services publics, tous négligent de dire que la réalisation de ces engagements implique une remise en question de certaines règles européennes. Seul José Bové, le plus européen des candidats de la gauche antilibérale, martèle qu’un véritable programme de transformation sociale en France exige en même temps une remise en cause de l’orientation extrêmement libérale de la construction européenne et une nouvelle définition de la répartition des matières entre l’Europe et les Etats.
Alors qu’on répète à satiété que 80 à 90 % des règles qui régissent la vie des gens proviennent en fait des propositions de la Commission européenne ou de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes, la plupart des candidats favorables à la construction européenne refusent de laisser apparaître qu’ils ont dans le passé accepté que la marge de manœuvre nationale soit réduite à ce point. D’où ce silence. Qui s’explique d’autant plus que tous ces candidats ont plaidé pour le « oui » lors du débat sur le TCE, il y a deux ans. Et qu’ils ont été désavoués par le peuple.
Plutôt que d’engager un débat de fond sur l’avenir de la France dans l’Europe, ils se contentent d’avancer de vagues propositions à propos d’un nouveau traité, Royal et Sarkozy reprenant, pour l’occasion, les critiques formulées par les adversaires du TCE à l’égard du statut et des missions de la Banque Centrale Européenne.
De « plan B », c’est-à-dire d’un projet global pour l’Europe, il n’est point question chez ceux qui se prétendent les plus européens de la classe. Le « plan B », c’est chez Bové, un des protagonistes du « non » au TCE, qu’on en discute. Mais la candidature de Bové, le seul candidat qui ne soit pas récupéré par le système, est manifestement victime, comme la campagne du « non » le fut en 2005, d’une conspiration du silence de la part de la presse écrite et d’une manipulation de la part des instituts de sondage.
* Le Journal du Mardi, 3 Avril 2007.