Bové : back to 1981
Eddy Fougier
15 avril 2007
José Bové est beaucoup moins révolutionnaire qu’il n’y paraît. En fait son programme n’est rien d’autre que le remake du programme de la gauche de 1981. Il est ainsi en phase avec toute une partie de la gauche dont l’horizon politique reste celui des Trente Glorieuses.
En effet, son programme est constitué des 125 propositions issues des collectifs anti-libéraux de l’après-29 mai 2005. Elles sont censées être le résultat du consensus de la gauche de la gauche en constituant « la trame d’une politique authentiquement de gauche » afin de « passer à une véritable alternative ». Mais qu’est-ce au juste que cette gauche authentiquement de gauche ? A quelle gauche fait-elle référence ?
Ce qui apparaît le plus frappant dans ces propositions, c’est la très grande proximité avec celles du Parti socialiste des années 1970, en particulier les 110 propositions de François Mitterrand lors de sa campagne présidentielle de 1981.
François Mitterrand proposait un programme de relance économique par de grands travaux publics, la construction de logements sociaux et d’équipements collectifs et une politique industrielle. Il annonçait également la création de 150 000 emplois dans les services publics et sociaux et un vaste programme de nationalisations. José Bové prône, lui aussi, une « nécessaire relance des activités ». Il entrevoit la construction de 600 000 logements sociaux en 5 ans et entend mener une véritable politique industrielle et de services. Il prévoit que, dans l’Education nationale, 150 000 enseignants et 45 000 personnels non enseignant soient recrutés en 5 ans. Il compte enfin développer les services publics, notamment sous la forme d’un « retour au monopole public » des « services publics de réseaux essentiels » (énergie, chemin de fer, télécoms, poste, etc.), d’une création de nouveaux services publics pour l’habitat, la petite enfance ou l’aide aux personnes âgées, et d’un retour à une « gestion publique directe et décentralisée de l’eau et de l’assainissement ».
Sur le plan social, les 110 propositions stipulaient que le contrat de travail à durée indéterminée redevienne la base des relations du travail, les capacités d’intervention du syndicat dans l’entreprise soient étendues et affermies, la durée du travail progressivement réduite à 35 heures, le SMIC relevé, tout comme différentes prestations sociales, dont les indemnités de chômage. Elles prévoyaient aussi de nouveaux droits pour les travailleurs, le comité d’entreprise pouvant par exemple exercer un droit de veto pour les licenciements. Les 125 propositions sont très proches de ce point de vue : le CDI à temps complet doit être la règle, les 35 heures doivent être généralisées à toutes les entreprises avec les 32 heures pour perspective et les droits des représentants du personnel et des comités d’entreprise doivent être étendus. José Bové entend également augmenter le SMIC, les minima sociaux et l’indemnisation du chômage. Il propose de nouveaux droits et pouvoirs pour les salariés, notamment pour les élus du personnel un droit de veto suspensif sur les décisions de licenciement collectif et de délocalisation.
Le programme de François Mitterrand mettait l’accent sur l’égalité des sexes, de nouveaux droits pour les jeunes et pour les immigrés, notamment leur droit de vote aux élections municipales. Le programme de José Bové, lui, propose une réelle égalité entre les femmes et les hommes, de changer la donne pour les jeunes, de donner de nouveaux droits aux étrangers, dont le droit de vote et l’éligibilité de tous les résidents à toutes les élections. Les 110 propositions prônaient la mise en place progressive d’un système national de protection sociale commun à tous les assurés, une retraite à 60 ans et la constitution d’un grand service public de l’Education nationale. Parmi les 125 propositions, on peut trouver la prise en charge à 100 % de la prévention et des soins de santé et des médicaments, un rétablissement de la retraite à 60 ans sur la base de 37,5 annuités, et un « grand service public national, laïc de l’éducation fondé sur la gratuité réelle de la maternelle à l’université ».
La proximité des programmes de Mitterrand et de Bové est également importante en ce qui concerne l’environnement, la culture, l’information, la politique énergétique (ils prônent tous les deux un référendum sur le nucléaire), les institutions (réhabilitation du Parlement, instauration de la proportionnelle, statut particulier pour la Corse, promotion des identités et des langues régionales, et même création d’un département du Pays basque). Il en est de même dans le domaine de la politique étrangère et européenne. François Mitterrand proposait la dissolution des blocs militaires ; José Bové, celle de l’OTAN. Le candidat PS aspirait à un nouvel ordre mondial en particulier sur la base d’une augmentation de l’aide publique au Tiers-monde portée à 0,7 % du PNB et de la définition d’un nouveau système monétaire mondial par la réforme du FMI et de la Banque mondiale. Le candidat altermondialiste parle d’un nouveau type de développement autour d’une augmentation importante de l’aide publique au développement et d’une refondation complète des institutions financières internationales. François Mitterrand défendait la poursuite de la démocratisation des institutions européennes et une mise en œuvre immédiate de ses dispositions sociales, ainsi que l’emploi européen notamment par le développement de politiques industrielles communes. José Bové défend lui aussi une Europe sociale et démocratique et propose de doter l’Union européenne d’une politique industrielle.
Bien évidemment, le programme de José Bové contient des dispositions nouvelles correspondant à des enjeux qui sont apparus depuis 1981, comme l’interdiction des stock-options, des OGM ou de la brevetabilité du vivant, la révision des finalités de l’Organisation mondiale du commerce ou la remise en cause de l’indépendance de la Banque centrale européenne. Néanmoins, ce qui apparaît comme le plus net dans ce programme, c’est l’entreprise globale de restauration par rapport à toutes les réformes postérieures au tournant de la rigueur de 1982-1983. L’une des mesures les plus symboliques de ce point de vue est le rétablissement de l’indexation des salaires sur les prix. La liste des abrogations dans les 125 propositions est ainsi impressionnante : CNE, lois Fillon sur les retraites et Douste-Blazy sur l’assurance maladie, lois de privatisation, réforme de l’assurance chômage des intermittents du spectacle, etc.
En définitive, les collectifs et José Bové, à l’instar d’autres altermondialistes, ont opéré une entreprise de blanchiment politique selon l’expression de Jean-Gabriel Contamin. Ils tentent, en effet, de réhabiliter des idées de la gauche des années 1970 dans un contexte nouveau en les délestant de leur caractère « sale », c’est-à-dire de toute référence idéologique et « anachronique ». Ainsi, même s’il défend des idées au fond très proches de celles du PS des années 1970, José Bové ne parle jamais de lutte des classes, de bourgeoisie et de prolétariat, de socialisme, de révolution, de planification ou de nationalisation. Le cas le plus symptomatique de ce point de vue concerne les nationalisations. Même si son programme ne mentionne jamais le terme en tant que tel, la constitution de pôles publics, la notion d’appropriation sociale, l’appel au retour à un monopole public ou EDF et GDF qui seraient rendus au secteur public font penser qu’il s’agit bien là de renationalisation.
Il ne faut pas en conclure pour autant que cette gauche serait totalement archaïque. Elle s’inspire d’une dynamique qui semble bien réelle. Elle exprime également un véritable malaise face à un PS dont l’adaptation depuis 1982-1983 n’a jamais été vraiment expliquée et assumée de sorte que, pour une grande partie des sympathisants de gauche, le changement et la réforme ne sont plus perçus comme synonymes de progrès et d’amélioration des conditions de vie, d’où la tentation de la restauration et de la nostalgie de la gauche du 10 mai 1981.