« Le 8 mars, ce n’est ni la Saint-Valentin, ni la Fête des mères, c’est la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes. » Et, pour rappeler cette évidence, la CGT, l’Union syndicale Solidaires et la FSU, appuyées par 34 associations et collectifs féministes, appellent à la « grève féministe », afin de marteler que, sur le terrain du travail, les inégalités restent criantes en 2021.
Toutes les femmes sont appelées à cesser le travail – le travail salarié au sens classique, mais aussi le « travail invisible » qu’elles assurent au quotidien, comme les tâches domestiques ou la gestion de l’éducation des enfants. Et à 15 h 40, toutes les télétravailleuses sont invitées à se déconnecter, à l’heure symbolique à laquelle les femmes arrêteraient d’être payées chaque jour, si on ramenait une année de travail à une seule journée standard (pour les salariés travaillant quarante heures par semaine).
Car les femmes sont toujours payées 26 % de moins que les hommes. Mais elles sont aussi 30 % à travailler à temps partiel, une situation souvent non choisie, et sont largement employées dans des métiers dévalorisés. Et leur retraite est en moyenne inférieure de 40 % à celle des hommes.

Le visuel de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens CGT. © Capture d’écran
L’an dernier, la manifestation du 8 mars, une semaine après la cérémonie des Césars, qui avait récompensé Roman Polanski, la manifestation parisienne avait rallié des dizaines de milliers de militantes et militants, également très nombreuses et nombreux partout en France. « Fortes, fières, féministes, radicales et en colère », elles avaient défilé juste avant que confinement ne tire le rideau sur les mobilisations de masse pour plusieurs mois.
Les organisations à l’appel de la mobilisation n’attendent pas un tel raz-de-marée lundi, où des manifestations sont prévues un peu partout en France (à Paris, le cortège part à 14 heures de la maternité de Port-Royal, pour s’achever place de la République). Mais elles se saisissent de cette journée de lutte pour souligner combien les confinements, le télétravail et l’urgence sanitaire ont mis en lumière le fait que les« premiers de corvée »sont, avant tout, des « premières de corvée ».
« Le confinement a pesé très lourd sur les femmes depuis un an », rappelle Murielle Guilbert, la co-porte-parole de Solidaires. Dans leur foyer, bien sûr, mais ce sont aussi « des métiers à forte prédominance féminine qui ont assuré le fonctionnement de la société, alors qu’il y a eu arrêt brutal de l’économie », signale la dirigeante syndicale, qui participait à une conférence de presse collective, le 1er mars.
Faire tourner la société, au péril, parfois, de sa vie. Le 27 mars 2020, Aïcha Issadounène, caissière de 52 ans et militante CGT, est ainsi décédée du Covid-19, après avoir été placée en arrêt maladie dès le 17 mars, premier jour du premier confinement. À son image, les femmes sont largement majoritaires dans les commerces dits essentiels, parmi les aides-soignantes, les aides à domicile… Pour elles, les questions de l’égalité professionnelle et de la revalorisation salariale sont aiguës et ne se résolvent pas. « Les femmes représentent 70 % des salariés en sous-emploi, enfermés dans la précarité », insiste Sophie Binet, chargée de l’égalité femmes-hommes à la direction de la CGT.
Invisibles parmi les invisibles, les sans-papiers donnent aussi de la voix. Bchira, militante francilienne de la Marche des solidarités, qui a traversé la France pendant un mois avant d’arriver à Paris le 18 octobre dernier, veut « lancer un SOS » : « Si les femmes sans-papiers s’arrêtent de travailler, beaucoup de secteurs dits essentiels s’arrêtent. »
Il est temps de prendre en compte cette réalité, aggravée par la crise sanitaire et sociale que traverse le pays depuis un an : « Sans travail ni ressources, nous avons été confrontées à la plus grande des précarités. Nous avons payé très cher le confinement », glisse Bchira, qui ne donne pas son nom de famille par peur d’une reconduite à la frontière.
Parmi les revendications, la situation des aides à domicile est particulièrement mise en avant cette année. « L’aide à domicile fait partie de la chaîne sanitaire, elle prend de plus en plus le relais de l’hôpital, qui pratique de plus en plus d’opérations en ambulatoire, ou des Ehpad, où les places manquent », remarque Ana Azaria, présidente de Femmes Égalité, une association qui œuvre beaucoup dans les quartiers populaires, d’où viennent nombre d’aides-soignantes. Et, pourtant, les salariées de cette profession sont « sous-payées, le plus souvent à temps partiel non choisi, au Smic ou juste au-dessus ».
« Dans cette profession, la colère est immense, parce que l’absence de reconnaissance est totale. Elles ont été oubliées de tout », déclare Ana Azaria. Une bonne partie des aides à domicile n’ont pas touché la prime promise aux professions « en première ligne » pendant le premier confinement. Et elles ne sont concernées ni par les hausses de salaire négociées lors du Ségur de la santé ni par le « rattrapage » qui a acté quelques mois plus tard une augmentation de 183 euros net mensuels pout toutes les professions non médicales rattachées à un pôle hospitalier. Ce n’est donc pas une surprise si les aides à domicile multiplient les mouvements de grève, partout sur le territoire.

Le 21 janvier 2020, dans une manifestation contre la réforme des retraites. Les chorégraphies des « Rosies » dénoncent les inégalités femmes-hommes au travail. © D.I.
Face au constat général dressé par les militantes, les syndicats et les collectifs féministes regrettent l’inertie d’un gouvernement qui ne discute pas avec eux de ces questions d’inégalité. Par exemple, les militants se félicitent que le gouvernement ait annoncé que la France allait ratifier, et donc faire entrer en vigueur dans l’Hexagone, la convention 190 de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui définit pour la première fois ce que sont les violences et le harcèlement au travail.
Mais les militants espèrent davantage et souhaitent que le gouvernement change la loi pour « protéger les victimes et généraliser les politiques de prévention dans les entreprises ». « Plus d’un quart des femmes se disent victimes de harcèlement au travail et plus de 80 % des entreprises n’ont pas de plan de prévention, théoriquement obligatoire, mais dont l’absence ne déclenche aucune sanction », explique Sophie Binet.
La responsable CGT rappelle aussi qu’il n’existe « aucun cadre de négociation avec le gouvernement sur la question de l’égalité salariale ». Le ministère du travail, en effet, préfère mettre en avant la nouveauté qu’il a désormais généralisée à toutes les entreprises de plus de 50 salariés :
Mais l’outil est jugé « peu convaincant » par la CGT, qui remarque que, malgré l’écart récurrent de rémunération entre femmes et hommes, « 9 entreprises sur 10 ont obtenu plus de 75/100 » sur l’index et échappent ainsi à toute sanction. Les militants syndicaux réclament une plus grande transparence de l’outil, demandent qu’il prenne mieux en compte les écarts structurels de rémunération et souhaitent une refonte du barème lui-même, qui masque trop facilement de fortes inégalités.
Un exemple ? Lorsqu’une femme revient de congé maternité, l’employeur est tenu de l’augmenter du montant équivalent à celui de tous les autres salariés de sa catégorie professionnelle. Or, note la CGT, « l’index ne regarde que si vous avez été augmentée à votre retour de congé maternité, mais ne regarde ni le montant de cette augmentation ni son adéquation avec le montant des autres augmentations dans l’entreprise ». Et même avec ce critère plus faible que ce que prévoit la loi, 3 000 entreprises ont néanmoins été épinglées par le gouvernement, indique le ministère du travail…
Année après année, la situation n’évolue que trop lentement. « On a beaucoup avancé dans certains domaines, comme la parité, la libre disposition de nos corps, constate Suzy Rojtman, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes et membre historique du Mouvement de libération des femmes. Mais nous avons du mal à avancer sur le rapport capital-travail, malgré moult lois, décrets, etc. »
Sigrid Gérardin, responsable de la FSU, premier syndicat de l’enseignement et bien implantée dans la fonction publique, dit les choses de façon plus lapidaire : « L’égalité professionnelle est inscrite dans la loi depuis 1972. Nous voulons des droits et nous voulons l’égalité, ici et maintenant. »
Dan Israel
Voire le blog de photos sur la manifestation parisienne :
https://blogs.mediapart.fr/911020/blog/080321/8-mars-paris-greve-feministe