Pour refuser une langue (et donc une pensée) non sexiste, ces parlementaires avancent que l’usage du seul masculin serait plus simple. Ce serait un « masculin générique », prétendument neutre, qui « inclut » les femmes. En fait, ce masculin générique est celui de la règle « le masculin l’emporte (toujours) sur le féminin » !
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Spectatrice, mais pas autrice
Et c’est méconnaitre que des « dizaines d’expériences de psycholinguistique prouvent qu’on se représente des hommes quand on entend parler d’un groupe au masculin » [1] ou que les femmes répondent moins à une offre d’emploi pour un « électricien (H/F) » que pour « un électricien ou une électricienne ».
Malgré la féminisation des noms de métiers, la possibilité pour les femmes de choisir un « métier d’homme » reste faible et écrire seulement la forme masculine maintient leur statut aux métiers réputés masculins (une maçonne ? impossible, ricanent les machos idiots). Remarquons que lorsqu’un « métier féminin » devient accessible aux hommes, le nom n’est pas masculinisé : pas d’hôtes de l’air, ils sont agents de bord.
En 1801, on interdisait le mot « autrice » parce qu’une femme ne peut pas, sauf exception, écrire un livre, mais on garde « spectatrice » parce qu’il « est dans l’ordre que les femmes aiment le spectacle, la poésie ». Autant pour ceux (et celles…) qui refusent « autrice » parce que c’est moche : c’est seulement qu’on en a perdu l’habitude. Une autre perte : les prud’femmes. Le nom et la fonction existaient au Moyen Âge, jusqu’à la Révolution, mais aujourd’hui l’Institut de la langue française nous demande de dire « femme prud’homme », le sexisme a la mémoire courte !
« Françaises, Français »
Et ces députés si épris de tradition n’ont pas remarqué que depuis le général de Gaulle, les présidents parlent l’inclusif en commençant leurs discours par un « Françaises, Français » !
Une écriture et une grammaire non sexiste, ce n’est pas plus compliqué que ça : exprimer qu’il n’y a pas que des hommes qui travaillent, qui manifestent… en employant un nom qui marche pour tout le monde (les élèves), en doublant le nom (les lycéennes et les lycéens – et en commençant par le féminin c’est encore mieux), en ajoutant la terminaison féminine (les lycéenEs, ou les lycéen·es). Les mots féminins se terminant en –euse ou en –ice correspondent au masculin –eur, dans l’Anticapitaliste on a choisi il y a longtemps d’écrire travailleurE, facteurE ce qui a l’avantage de la simplicité et de la brièveté quand la place attribuée à un article de journal ou de tract est limitée, mais a le défaut d’écrire un mot qui n’existe pas – et s’il existait il aurait le défaut à l’oral de marquer moins clairement le féminin. Quand on entend autrice, on entend qu’il s’agit d’une femme ; « auteure » est sans doute mieux accepté parce que justement le mot est plus neutre. Remarquons aussi que l’habitude est prise d’écrire « travailleur·euse » plutôt que « travailleuse·eur », on voit qu’inclure les femmes n’implique pas forcément de les penser au premier plan !
Une langue à (ré-)inventer
Des normes sont à inventer, une commission du Haut conseil à l’égalité y travaille, concernant les accords de majorité et de proximité (ne disons plus que le garçon et ses dix sœurs sont beaux) et le point médian. Mais une langue est vivante, elle évolue avec les usages, pas en suivant ce qui est prescrit. Les prescriptions qui aux 18e et 19e siècles ont supprimé des noms féminins et l’accord de proximité, appuyaient le combat politique des sexistes disposant d’un pouvoir bien plus grand qu’un manuel de grammaire. Ce sont nos combats féministes, antisexistes qui font évoluer la langue aujourd’hui.
Le point médian rend-il la lecture difficile ? Quand on lit « M. Martin » personne ne lit dans sa tête ou à voix haute « ème point martin », habituons-nous à lire « cher·es collègues » et à comprendre « chères et chers collègues ». Et obligeons les concepteurEs de logiciels à ajouter une touche sur les claviers !
Par ailleurs, écrire de façon non sexiste, ça ne doit pas seulement consister à parsemer de E, de ·e, de /euse un texte après son écriture. Il faut le penser autrement : pour un article sur une boîte en lutte, on cherchera quelle proportion de femmes y travaillent et on indiquera en quoi ça change la donne en termes de revendications, de combativité (les femmes sont plus combatives), de disponibilité (les femmes ont souvent d’autres responsabilités). Ça permettra aussi de remarquer que peut-être la représentante syndicale de cet atelier où travaillent 80 % de femmes est… un homme.
Mais l’écriture inclusive est une féminisation, ne renforce-t-elle donc pas la binarité, le caractère genré de la langue française ? Les personnes non binaires utilisent la féminisation pour trouver les mots qui les expriment, inventent par exemple le pronom « iel », et incitent tout le monde à pousser toujours plus loin la réflexion sur comment la langue façonne ce que nous sommes et ce que nous disons.
Isabelle Guichard
À lire pour en savoir plus et s’exercer : Michaël Lessart et Suzanne Zaccour, Manuel de grammaire non sexiste, Syllepse ; Céline Labrosse, Pour une langue non sexiste :
https://langagenonsexiste.ca/
Et pour s’amuser de comment un éminent philosopheur (le masculin de philosophesse) peut dire que l’écriture inclusive « c’est lacérer la Joconde » :
https://blogs.mediapart.fr/merome-jardin/blog/011017/enthoven-ecriture-inclusive-et-faconnage-des-consciences
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