Les textes rassemblés pour ce dossier d’Intercoll, écrits à la fois par des sociologues, des journalistes et des militants, expliquent qui sont les manifestants, quelles sont leurs aspirations, et quelles pourraient en être les conséquences sur le long terme, notamment du point de vue des forces de la gauche démocratique, peu nombreuses en Russie, mais néanmoins existantes.
Les articles sélectionnés mettent également en perspective les protestations actuelles afin de montrer, contrairement au cliché d’une société russe apathique, la vivacité des luttes sociales qui se déroulent dans le pays, surtout à petite échelle et ancrées sur des problèmes concrets, mais également sur les questions générales de démocratie et, de plus en plus, de justice sociale.
Mobilisations de janvier 2021
Navalny et les protestations en Russie : quelques éclaircissements
Karine Clément pour Mediapart
La sociologue spécialiste des mouvements sociaux en Russie Karine Clément revient sur le « cas Navalny ». Au-delà de sa soudaine popularité en Occident et des réserves que peut susciter le personnage et certaines de ses positions, elle évoque l’histoire et la diversité de ses engagements, notamment un souci récurrent pour les questions sociales, et la mobilisation inédite et courageuse, que son arrestation a suscitée, qui agrège différentes générations et milieux sociaux et surtout touche l’ensemble du pays. Sans préjuger de l’avenir, Navalny a réussi à ébranler un régime en difficulté, à « déchirer le voile » qui entoure le système Poutine.
Olga Baliuk pour znak.com
L’article expose les résultats d’une enquête effectuée par l’institut de sondage de la région de Sverdlovsk (Ekaterinbourg) « Sotsium ». Il est intéressant en ce qu’il documente l’état d’esprit d’habitants d’une région (Oural), élargissant le point de vue au-delà de Moscou et St-Pétersbourg, ainsi qu’au-delà des seuls manifestants. Selon les données présentées, les camps opposés et favorables aux protestations liées à l’arrestation de Navalny sont à peu près de la même ampleur (38 et 36%), ce qui remet en question l’idée de la « majorité silencieuse » favorable au régime et au statu quo. Contrairement aux idées reçues, le sondage indique également que la moitié des sondés ont entendu parler des mobilisations par la télévision, et non par Internet. Le sondage met également à mal l’idée d’une protestation de « jeunes ». Enfin, une grande partie des sondés, qu’ils soient ou non favorables aux protestations, considèrent que les gens sont sortis non pour Navalny mais contre le faible niveau de vie. En un mot, l’article donne à voir la politisation manifeste des habitants, qui se centre non sur le régime politique ou même la corruption, mais sur les questions économiques et sociales.
Que veulent les manifestants en Russie ?
Désert Myriam pour The Conversation
Myriam Désert, sociologue et observatrice de longue date des mobilisations en Russie part d’un sondage de l’institut indépendant Levada montrant qu’A. Navalny n’est pas la motivation principale des manifestants descendus dans la rue les 24 et 31 janvier pour s’interroger sur les ressorts émotionnels des mobilisations actuelles en s’appuyant sur des reportages et enquêtes « à chaud ».
Ilya Budraitskis & Ilya Matveev pour Newleft review
En écho à de nombreuses mobilisations de par le monde depuis des années, la « dignité bafouée » revient de manière récurrente en miroir inversé avec ce dont était justement crédité V. Poutine au début de sa présidence, avoir « rendu leur dignité bafouée », collectivement, aux Russes. Sentiments d’amertume et de tristesse mais aussi sursaut de conscience morale, révolte contre la soumission et victoire sur la peur sont autant d’éléments moteurs de cette mobilisation.
Irina Kozlova pour Zanovo
L’anthropologue Irina Kozlova tire les premiers enseignements des manifestations de janvier, qu’elle a parcourues pour recueillir des témoignages des participants. Elle pointe la variété des raisons avancées, mais aussi l’unanimité de la détermination des manifestants. la répression encore plus dure de la seconde journée du 31 janvier a fait perdre les dernières illusions quant au comprimis possible avec le pouvoir.
La Russie se réveille t elle ?
Aleksandr Buzgalin pour Mronline
Figure histoirique de la gauche marxiste en Russie et participant aux dynamiques du FSM A. Bouzgaline s’interroge sur les raisons qui poussent dans la rue les protestataires. Le capital de sympathie du régime, qui reposait notamment sur les choix de politique étrangère s’est érodé, alors que les décennies passées n’ont fait qu’accentuer la réduction de l’individu à un consommateur. Les Russes seraient en train de se réveiller contre cette situation. Dans leur majorité ce n’est donc pas pour suivre les mots d’ordre libéraux ni pour suivre A. Navalny, soutenu lui meme par une partie de l’establishment économique que les gens sont descendus dans la rue. Mais attention dit Bouzgaline, la gauche ne doit pas faire l’erreur de penser de manière illusoire qu’elle peut orienter à sa guise la dynamique pour l’orienter vers ses objectifs. Et les lendemains pourraient être décevants…
Perspectives de Gauche à propos des protestations en Russie et de Navalny
Rossen Djagalov pour LeftEast
Plusieurs auteurs développent ce qu’ils considèrent comme de nouvelles perspectives pour la gauche en Russie après une période pendant laquelle les mouvements de protestations étaient dominés par les libéraux. La gauche doit-elle adopter une ligne de boycott comme elle l’a fait par le passé ? Ou au contraire participer mais avec son propre agenda ? Ou bien encore nouer des alliances ?
Mobilisations lors de moments électoraux
Des protestations aux élections... et à nouveaux aux protestations ?
Sergey Reshetin pour Zanovo
Le militant Serguey Reshetin, qui a lui-même participé aux mobilisations ayant débouché sur l’affaire Bolotnaya en 2012, se demande dans cet article comment faire émerger sur le long terme, des mobilisations pérennes émanant des structures indépendantes de la société, seules à même de produire des changements et une démocratisation du pays, alors que la répression n’a jamais été aussi forte. Si la décision des leaders de l’organisation FBK (de Navalny) de freiner les grandes actions de rue pour s’orienter vers des stratégies à plus long terme se comprend, il ne faut pas penser que tous les manifestants sont des partisans de Navalny prêts à écouter les consignes de ses disciples. Stratégiquement, l’échéance des élections à la Douma de l’automne 2021 est cruciale pour espérer voir une coalition de l’opposition. La victoire d’une mobilisation « d’en bas » en 2018 en Arménie, alors que le leader N. Pashinian n’avait pas une organisation puissante, peut etre un modèle à suivre.
Manifestations en Russie aujourd’hui
Karine Clément pour Dekoder
L’article a été écrit à l’été 2019 par Karine Clément, au moment des protestations à Moscou contre le refus des autorités d’enregistrer les candidats indépendants aux élections municipales. Il vise à questionner le clivage souvent artificiel qui est fait entre mobilisations dites « politiques » et mobilisations « apolitiques », en interrogeant la dynamique des mobilisations et le sens que donnent les acteurs eux-mêmes à leurs actes de protestation. Il est paru sur une plateforme animée par des chercheurs et militants, qui se donne pour objectif de populariser les mobilisations en Russie en donnant des clés de compréhension en trois langues : russe, anglais et allemand, en conciliant textes et images.
Mobilisations locales/sociales
Karina Clément et Anna Zhelnina pour International Journal of Politics, Culture and Society
Cet article est l’introduction d’un numéro spécial sur les mobilisations locales et transformations politiques paru en 2020 dans la revue International Journal of Politics Culture and Society. Cet article propose un tour d’horizon relativement complet du contexte historique, social, culturel, économique et politique des mobilisations sociales ayant lieu en Russie post-soviétique. Il met l’accent sur les mobilisations locales grassroots qui ont largement dominé le paysage des luttes depuis la chute de l’Union soviétique, tout en indiquant les liens qu’elles entretiennent avec les mouvements d’ampleur nationale et en interrogeant leur potentiel de transformation sociale et politique. Contre le stéréotype répandu d’une société russe apathique et autoritaire, cette introduction rend compte de la vivacité des résistances sociales en Russie et invite à tenir compte des expériences russe et est-européenne dans la réflexion sur les transformations politiques que peuvent initier « ceux d’en bas ».
Dans le nouveau cycle de protestations en Russie, émerge l’exigence d’un État démocratique
Oleg Zhuravlev, Violetta Alexandrova et Darya Lupenko pour Open Democracy
Les trois sociologues qui ont enquêté sur les mobilisations de Shies (environnement) et Ekaterinbourg (mobilisation contre un projet de l’Église orthodoxe) s’inscrivent en faux contre l’approche, souvent présentée ces dernières années, faisant des protestations depuis 2017 une nouvelle ère de la protestation en Russie, celle de l’avènement d’un sujet autonome vis-à-vis de l’État, la société civile. Au contraire, loin d’être une protestation d’abord dirigé contre l’État, ces mobilisations témoignent selon les auteurs de l’enquête d’une exigence forte pour un État démocratique et donc formulent des attentes vis-à-vis des pouvoirs publics.
Sur le fil : pourquoi les travailleurs de la santé s’organisent-ils ?
Interview d’Evgeny Senshin avec Andrey Konoval pour Open Democracy
Que se passerait-il si les travailleurs de la santé se mettaient en grève ? Cette interview réalisée en 2019 – avant la crise sanitaire – avec Andrey Konoval, leader du syndicat indépendant du secteur de la santé, fondé en 2012 pour protester contre les projets de réforme très libéraux du système de santé engagés par V. Poutine, pointe tant les choix en matière d’assurance médicale que les coupes budgétaires, les conditions de travail et le niveau des salaires dans tout le secteur de la santé. Après une grève du zèle remarquée en 2013, le syndicat a gagné des adhérents dans 40 régions de Russie.
Les réseaux sociaux russes, lanceurs d’alerte de la catastrophe de Norilsk
Perrine Poupin pour The Conversation
Comment les citoyens russes utilisent-ils les réseaux sociaux pour tirer la sonnette d’alarmes sur les drames écologiques à répétition ? En mai 2020 la Russie a fait face à une des pires fuites de diesel en Sibérie occidentale, suite à un incident dans la centrale thermique de Norilsk. Mais les autorités n’ont été prévenues que deux jours après la catastrophe, et le diesel a eu le temps de se répandre largement dans les cours d’eau voisins, rendant plus difficile l’intervention des sauveteurs. La région a dû faire face à des catastrophes écologiques à répétition ces dernières années, mais en Russie, l’industrie échappe totalement au contrôle de l’état et les autorités ont jusqu’ici totalement ignoré le problème. Dès lors, les citoyens ont utilisé internet et les réseaux sociaux pour documenter et dénoncer les catastrophes écologiques. Les chercheurs ont notamment dénoncé les conséquences du réchauffement sur la faune et la flore, mais ils ont également dénoncé les conséquences de l’exploitation humaine, dans un contexte où les autorités russes ont fait part de leur intention d’exploiter davantage les ressources de l’Arctique.
En Russie, la population s’oppose farouchement à un projet de décharge
En Russie, la ténacité des opposants conduit à l’abandon d’un projet de décharge géante
Estelle Levresse pour Reporterre
Shies : une « zad » dans le Grand nord de la Russie ? Ces deux articles relatent la mobilisation des habitants de Shies (région d’Arkhangelsk), contre un projet de décharge destinée à accueillir les déchets de la capitale Moscou. Déterminés à empêcher une « catastrophe écologique » qui ruineraient l’économie locale et leur mode de vie, les habitants se sont aussi mobilisés contre le mépris des autorités locales pour la population, contre celui de la capitale qui absorbent les ressources naturelles des régions et veut y renvoyer ces déchets. Après des mois de mobilisation sur le site ainsi que dans les métropoles régionales proches de Shies, les habitants ont obtenu gain de cause.
Anne Le Huérou
Assemblée Européenne des Citoyens
Coline Maestracci
Karine Clément
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