“[Joseph] Staline, le plus grand des Géorgiens, a vaincu l’Allemagne [pendant la Deuxième Guerre mondiale]. Et aujourd’hui, des milliers de Géorgiens se ruent vers l’Allemagne pour nourrir leur famille. C’est le drame de notre peuple”, confie au journal russe en ligne Vzgliad Alexandre Loursmanachvili, secrétaire de l’antenne de Gori (ville natale de Staline) du Parti communiste géorgien.
La presse et la société en Géorgie sont en ébullition depuis que des dizaines de milliers de Géorgiens se sont portés volontaires pour partir en Allemagne comme travailleurs saisonniers dans le secteur agricole. “La pandémie de Covid-19 – qui a porté un coup dur au tourisme – et la russophobie ont plongé la Géorgie dans une grave crise économique qui a fait chuter le PIB de 6,1 %”, constate Vzgliad. Le tourisme en Géorgie, principale source de revenus du pays – 3 milliards de dollars annuels – est très dépendant des touristes russes. Or la russophobie actuelle empêche, selon le site, de construire des relations apaisées avec Moscou, accusé par Tbilissi de tous les maux.
Le 15 février, à l’ouverture du site officiel du gouvernement géorgien, Travailler à l’étranger, qui propose des emplois saisonniers en Europe, 53 274 demandes ont été adressées en vingt-quatre heures, dont 35 121 pour l’Allemagne, rapporte le journal en ligne géorgien Ambebi.ge.. Au total, 85 000 Géorgiens sont candidats au départ pour l’Allemagne, dès le 1er avril, conformément à l’accord germano-géorgien, signé en janvier 2021.
Les personnes âgées de 18 à 60 ans ayant une expérience dans l’agriculture et des notions d’anglais ou d’allemand sont prioritaires. Elles travailleront “cinq ou six jours par semaine, pendant trois mois maximum, entre huit et dix heures par jour, pour un salaire minimal brut de 9,50 euros l’heure, sur lesquels il faut enlever les impôts, les frais de logement et d’alimentation”, précise le journal.
Le salaire net mensuel atteindrait donc environ 1 000 euros : une somme importante pour la Géorgie, où le salaire moyen mensuel est d’environ 1 180 laris (300 euros) et la pension de retraite de 275 laris (70 euros). “Nous sommes devenus un peuple exclusivement occupé à courir après un morceau de pain. On nous dit ‘on a besoin d’esclaves’ et nous nous rangeons dans la file d’attente”, fustige amèrement le journal de Tbilissi Sakartvelo da Msoplio.
Un taux de chômage supérieur à 20 %
Le gouvernement compte ainsi résorber partiellement le chômage, supérieur à 20 % (pour 3,7 millions d’habitants au total dont 1,2 million d’actifs), comme le rapporte Ekho Kavkaza. Il négocie par ailleurs également avec la Bulgarie, la France et Israël pour y placer des travailleurs. La ministre de la Santé et de la Protection sociale, Ekaterina Tikaradzé, citée par Ekho Kavkaza, n’y voit aucun mal : cela “permettra aux travailleurs d’apprendre les méthodes les plus modernes, d’améliorer leurs compétences”, puis de “les appliquer utilement en Géorgie”.
Même si le gouvernement a beaucoup œuvré pour aider la population en payant les factures d’électricité et de gaz, et en versant une allocation de 50 euros mensuels, cette nouvelle vague d’émigration économique est, au final, “le résultat logique de l’échec de la politique économique de l’État”, estime Ekho Kavkaza. “Même sans la pandémie, on aurait eu le même nombre de candidats au départ à l’étranger, car les gens sont au bord du désespoir”, affirme le professeur d’économie Akaki Tsomaya. “Le parti Rêve géorgien [au pouvoir depuis 2012] a signé ainsi son incapacité à régler le problème du chômage et cherche la solution à l’étranger”, dénonce-t-il.
Pas de perspectives
Depuis l’accession de la Géorgie à l’indépendance en 1991, sur les 5 millions habitants, “1,5 million a quitté le pays [dont 600 000 à 1 million pour la Russie]” et “s’il n’y avait pas de barrières strictes [à l’entrée des pays occidentaux], la Géorgie en aurait perdu encore autant”, affirme l’économiste. Par ailleurs, sur les 3,7 millions d’habitants que compte officiellement le pays, près de 1 million sont inactifs : 783 000 retraités et 175 000 personnes vivant d’allocations publiques.
Lucides et résignés, les Géorgiens “ne voient pas de perspectives dans leur pays, où l’unique ascenseur vers le bien-être [matériel] est de trouver un emploi dans les milieux du pouvoir”, conclut Akaki Tsomaya.
Alda Engoian
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