“Ces derniers temps, les incendies de maisons et d’appartements sont beaucoup trop fréquents en Azerbaïdjan”, fait remarquer le journal arménien Golos Armenii : en mars, sept maisons ont brûlé dans la capitale Bakou, ainsi qu’un immeuble d’habitation collective dans la région de Minguiatchévir, informe le site azéri Haqqin.az. Fin février, un immeuble avait déjà brûlé à Bakou, comme le rapportait Spoutnik Azerbaïdjan. Golos Armenii attire l’attention sur un “dénominateur commun à tous ces incendies” : ils surviennent “dans des bâtiments habités par des réfugiés du Haut-Karabakh”.
Lors de la première guerre du Haut-Karabakh contre l’Arménie (1991-1994), l’Azerbaïdjan a perdu près de 20 % de son territoire, et 500 000 à un million d’Azerbaïdjanais vivant dans la région séparatiste avaient dû fuir les hostilités et se réfugier dans d’autres régions du pays. À la suite de la deuxième guerre du Haut-Karabakh (27 septembre-10 novembre 2020), Bakou a récupéré les deux tiers des territoires perdus. Depuis, le Comité d’État pour les réfugiés propose aux Azerbaïdjanais qui avaient dû quitter leurs maisons lors de la première guerre de retourner vivre au Haut-Karabakh, mais “les gens refusent”.
Le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliev, a pour objectif de “repeupler à tout prix ‘les territoires libérés’”. Déjà en mai 2020, à quatre mois de la guerre, il professait : “Je suis absolument certain que chaque réfugié retournera avec grande joie sur ses terres natales”, rapportait alors le site Vesti Kavkaza.
“Le but stratégique de l’Azerbaïdjan est actuellement de reconstruire sur les terres libérées et d’organiser le retour d’un million de réfugiés et personnes déplacées”, martèle l’économiste et académicien azerbaïdjanais Akif Moussaev, cité par le média azerbaïdjanais Trend.az. En janvier, Fouad Gousseïnov, le vice-président du Comité d’État pour les réfugiés, a même menacé les récalcitrants : “Ceux qui ne veulent pas retourner sur les terres libérées de l’occupation [arménienne] perdront le statut de personnes déplacées et tous les privilèges et allocations qui vont avec”, cite Haqqin.az. En même temps, il a assuré que l’État créerait “toutes les conditions nécessaires en matière d’emploi, de santé et d’éducation”.
“Une terre d’incertitudes”
Les Azerbaïdjanais originaires du Haut-Karabakh sont “méfiants quant au discours d’Aliev sur la sécurité et la fin du conflit”, relève Golos Armenii. Ils ne considèrent pas la région comme “entièrement sécurisée, et n’excluent pas de nouvelles hostilités armées”. Au-delà du refus de vivre dans des localités sans infrastructures modernes et sans travail, les réfugiés ont “peur d’un avenir où ils seraient peut-être à nouveau obligés de quitter le Haut-Karabakh”, qui demeure pour eux “une terre d’incertitudes”.
Il n’empêche : un groupe de recherche a été créé auprès de l’Académie des sciences de l’Azerbaïdjan pour “sonder l’opinion et la position des gens au sujet de leur retour au Karabakh”, fait savoir Trend.az. L’objectif est d’interroger 100 000 réfugiés afin de “déterminer le nombre de maisons et d’écoles à construire, ainsi que le nombre d’emplois à créer”.
Sur la base des réponses, le groupe de chercheurs réfléchira aux moyens de préparer au mieux le programme de rapatriement de ces personnes. Selon Moussaev, “le retour des personnes déplacées étant un objectif stratégique de l’État, la participation active de la population est très importante pour l’atteindre”.
Un risque de repeuplement de force
L’experte arménienne de l’Azerbaïdjan Anjela Elibegova présage, dans un entretien avec le site arménien News Armenia,, que les réfugiés seront “ramenés de force” au Haut-Karabakh, que Bakou cherche à repeupler à tout prix. Pour y échapper, certains vont sans doute “opter pour l’émigration”, d’autres préféreront “perdre toutes les allocations et les aides”, pourvu qu’ils évitent le transfert au Haut-Karabakh. Par ailleurs, une certaine “nervosité” se répand selon elle parmi la population de l’Azerbaïdjan, qui se dit :
“Voilà trente ans que l’on entretient ces réfugiés, et maintenant qu’ils peuvent enfin rentrer chez eux, ils créent à nouveau des problèmes.”
Alda Engoian
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