Au Japon, pays qui n’a pas légalisé le mariage gay, les députés sont en train de débattre d’un projet de loi pour promouvoir le vivre-ensemble avec les minorités sexuelles afin de lutter contre les discriminations que celles-ci subissent dans la société japonaise. Ce texte avait été proposé par les partis d’opposition de gauche en décembre 2018, mais il avait été mis en veilleuse en raison de l’opposition des députés conservateurs du Parti libéral-démocrate (PLD) au pouvoir.
À l’approche des Jeux olympiques (dont la tenue, du 24 juillet au 8 août, reste très incertaine en raison de la quatrième vague de Covid-19 qui sévit au Japon), qui se veulent contre toute discrimination, le texte revient sur le devant de la scène. “Nous allons tout essayer pour avoir des résultats avant les Jeux. Pour que ce texte soit de nature à abolir les discriminations contre les personnes LGBT [lesbiennes, gays, bi et trans] et à instaurer l’égalité entre ces derniers et les hétérosexuels, nous allons faire tout ce qui est en notre pouvoir”, avait déclaré le 27 avril la députée Chinami Nishimura, issue de la principale formation d’opposition, le Parti démocrate constitutionnel (centre gauche), selon des propos rapportés par le journal Tokyo Shimbun.
Mais, lors d’une réunion tenue par le PLD le 20 mai, les débats ont été vifs entre les rapporteurs du texte et certains députés conservateurs qui s’opposent au projet. Dans la foulée, certains députés de la formation, comme Kazuo Yana, sont allés jusqu’à brandir un argument homophobe, selon lequel les personnes LGBT seraient “immorales” et “contre le fondement de la biologie” car “ils empêchent la préservation de l’espèce”, a rapporté le quotidien Mainichi Shimbun.
Crainte d’une “multiplication des procès”
La députée Eriko Yamatani, qui fut notamment ministre sous Shinzo Abe, a elle aussi émis des réserves sur le projet dans le même journal, en justifiant la nécessité de la “prudence” par des propos transphobes : “Aux États-Unis, il y a des cas de personnes qui ont obtenu des médailles de manière injuste en participant à une compétition sportive féminine alors qu’elles ont un corps masculin. Si les revendications des droits se transforment en mouvement politique ou social, il va forcément y avoir des effets subsidiaires. On doit être prudent.”
En cause, le passage du texte de loi qui juge “inadmissibles” les discriminations “basées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre”. “Lors des réunions, certains députés l’ont mis en cause, en expliquant notamment que ce texte pourrait donner lieu à des mouvements contestataires excessifs et à une multiplication des procès”, explique l’article de l’édition japonaise du Huffington Post. “Nous n’avons pas encore de définition claire et nette de la discrimination contre les personnes LGBT. Nous pensons de ce fait qu’il est trop tôt pour instaurer les clauses d’interdiction ou de sanctions”, a expliqué une autre députée de la formation, Tomomi Inada, citée par l’article.
89 000 signatures en cinq jours
Au Japon, où les militants LGBT sont très actifs sur les réseaux sociaux, ces propos ne sont pas passés inaperçus. D’autant que ces militants sont habitués à ce genre de dérapages verbaux de députés conservateurs du PLD, au premier rang desquels Mio Sugita. Connue pour ses idées très proches de celles de l’extrême droite japonaise, celle-ci avait qualifié en 2018 les minorités sexuelles d’” improductives”, car “elles ne font pas d’enfants”.
Des personnalités comme Matsuoka Soshi (représentant de l’organisation Fair, qui lutte pour les droits des minorités sexuelles) et le militant transgenre Hatano Toma ont lancé une pétition en ligne pour réclamer des excuses et la démission de ces députés, qui a recueilli plus de 89 000 signatures en seulement cinq jours. L’Alliance japonaise pour la législation LGBT, organisation qui travaille à la fin des discriminations, a elle aussi publié un communiqué fustigeant ces propos qui “foulent aux pieds non seulement les personnes LGBT, mais aussi leurs proches et amis”, signale le journal Asahi.
En ce qui concerne le projet de loi, il risque bien de ne pas voir le jour, malgré les efforts des élus de gauche, signale l’agence de presse Jiji Tsushin. La fin de la session parlementaire, le 16 juin, signifiant l’enterrement des textes en cours d’examen, nombre de députés craignent de manquer de temps. À quoi s’ajoute le calcul électoral de députés conservateurs du PLD – des élections législatives doivent se tenir d’ici l’automne au Japon. “Nous n’avons pas d’intérêt à adopter ce texte, il fait fuir nos sympathisants conservateurs”, glisse un député de la formation, cité par l’agence.
Courrier International
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