La grogne sociale monte depuis 2019 dans le district de Tchiatoura, ancienne “capitale” soviétique de la production de manganèse. Depuis trois mois, 3 500 mineurs sont en grève pour réclamer la hausse de leurs salaires (qui ne dépassent pas 250 euros) et une meilleure assurance maladie. À la mi-mai, quelques mineurs du village de Choukrouti, près de Tchiatoura, se sont cousus la bouche et ont entamé une grève de la faim, rapporte le site géorgien Ambebi.
Face au silence des autorités locales et nationales, depuis le 31 mai, dix familles font un sit-in devant l’ambassade des États-Unis (la puissance occidentale la plus influente en Géorgie), à Tbilissi, la capitale. “Les gens réclament des compensations pour leur maison et demandent l’aide des diplomates étrangers”, pour rappeler à l’ordre la compagnie privée Georgian Manganese, filiale géorgienne de la société britannique Stemcor, explique le site Ekho Kavkaza.
Les habitants protestent contre les dégâts écologiques, économiques et culturels causés par une extraction intensive à ciel ouvert du manganèse. Utilisé dans la fabrication de l’acier, la demande pour ce métal est en forte croissance, notamment pour les besoins de l’industrie des véhicules électriques, des piles, des batteries et circuits électroniques. Le prix de la tonne dépasse désormais les 2 000 dollars.
Des terrains endommagés, des maisons et des églises en ruines
“Non seulement nos maisons sont dans un état catastrophique, certaines s’étant scindées en deux, d’autres s’étant effondrées complètement ; non seulement les terrains attenants aux habitations sont endommagés, mais nos lieux sacrés, comme les églises, se transforment en ruines, les tombes de nos ancêtres s’affaissent, les gens doivent les enterrer à nouveau”, explique un habitant à Ekho Kavkaza.
Située dans une vallée montagneuse sur les rives de la rivière Kvirila, la ville de Tchiatoura, à 180 km au nord-ouest de Tbilissi, est depuis 1879 un centre majeur de production de manganèse. La dissolution de l’Union soviétique en 1991 a eu un impact dramatique pour la ville : l’industrie extractive a été arrêtée, provoquant un déclin économique et social de la ville, dont la population est passée de 26 000 à moins de 13 000 habitants.
L’industrie minière a repris partiellement en 2006, grâce à Georgian Manganese, avec une production bien moindre qu’à l’époque soviétique, mais tout de même importante : 400 000 tonnes produites en 2019 (contre 6,9 millions de tonnes extraites par le pays producteur numéro un, l’Afrique du Sud) rapportant plus de 8 millions de dollars de bénéfices à la compagnie.
“Ce magnifique coin de la Géorgie est en ruines, et la vie des gens est en danger, car des trous énormes se forment dans les cours des habitations, les maisons se fissurent, et personne ne semble en endosser la responsabilité”, écrit le site Eurasia Daily. Georgian Manganese emploie des dizaines de mineurs indépendants qui creusent “sans aucun contrôle, partout où ils soupçonnent la présence de ce métal noir, et une fois la terre remuée, ils laissent des territoires gigantesques dans un état déplorable”. Tchiatoura semble “avoir subi un bombardement”, déplore le site.
Les grévistes menacés de licenciements
Georgian Manganese affirme que près de 300 familles ont déjà reçu des compensations, pour des montants allant de 80 000 à 200 000 laris (entre 20 000 et 50 000 euros). Mais ces sommes sont considérées comme injustement faibles par les habitants qui réclament un nouveau calcul des dommages et intérêts pour leurs biens perdus. Démunis, “certains grévistes sont en outre menacés de licenciement”, confie à Ekho Kavkaza le leader syndicaliste Guiorgui Neparidzé.
Mais même si des solutions financières peuvent encore être trouvées, qui réparera l’environnement saccagé ? En 2019 déjà, le quotidien russe Kommersant décrivait les paysages apocalyptiques de Tchiatoura, ville souillée par son “or noir” :
“Le manganèse est partout : dans la rivière, dans l’air, sur les façades des maisons, et lorsqu’il pleut, tout devient noir. On a la nette impression que le manganèse jouit ici de bien plus de droits que les humains.”
Lorsqu’un nouveau gisement est ouvert, “les habitants des maisons, construites sur des falaises autrefois belles à couper le souffle, sont délogés et relogés dans des habitations collectives modernes, perdant ainsi leurs potagers, jardins, fermes”. De plus, “l’argent de l’extraction minière n’a pas d’impact sur la vie des habitants de Tchiatoura, il part ailleurs, et ne reste ici que la poussière du manganèse”, conclut Kommersant.
Alda Engoian
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