“Nous qualifierons désormais officiellement ces événements pour ce qu’ils sont du point de vue d’aujourd’hui : un génocide.” Plus d’un siècle après l’extermination de plus de 60 000 membres des ethnies herero et nama entre 1904 et 1908, les mots prononcés le 28 mai par le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, ont été qualifiés d’historiques. Ils s’accompagnaient d’une aide financière à la Namibie de plus d’un milliard d’euros, en guise de “geste de reconnaissance des immenses souffrances infligées aux victimes”. Officiellement, la Namibie s’est réjouie de cette avancée, qualifiée de “premier pas dans la bonne direction” par le porte-parole du président namibien, Hage Geingob.
Interrogé par CNN au sujet de la compensation allemande, le chef traditionnel herero Vekuii Rukoro estime au contraire que l’annonce “n’est pas une reconnaissance de ce qui est arrivé à nos ancêtres en tant que ‘génocide’ […]. Si c’était le cas, elle devrait mener au paiement de véritables réparations”. À l’inverse, le ministère des affaires étrangères allemand évoque “un geste”, “ce qui signifie que, dans leur grande bonté, ils ont décidé d’offrir un ‘soutien’ […] ce qui n’a rien à voir avec des réparations”, poursuit Vekuii Rukoro.
“Les remords ne coûtent pas cher”
Il n’est pas le seul de cet avis. Lundi 31 mai, les chefs traditionnels de quatre maisons royales ont convoqué une conférence de presse pour faire savoir qu’ils considéraient l’offre allemande comme “insultante” au regard des réparations accordées au peuple juif après la Seconde Guerre mondiale, rapporte The Namibian. “L’aide [au développement] élève moralement celui qui donne alors que les réparations sont un devoir quand on a fait quelque chose de mal”, abondait l’historien Jürgen Zimmerer, samedi 29 mai, dans le journal allemand Passauer Neue Presse.
Comme d’autres universitaires, il souligne également le montant relativement modeste de l’aide proposée par l’Allemagne. “Les remords ne coûtent pas cher”, estiment ainsi les professeurs de sciences politiques Reinhart Kössler et Henning Melber dans une tribune publiée par le Daily Maverick en Afrique du Sud. Ils soulignent que la somme proposée, étalée sur trente ans, “est à peu près égale” au montant de l’aide au développement versée par l’Allemagne à la Namibie au cours des trente dernières années.
Les descendants des victimes exclus des négociations
Plus d’un siècle après les massacres, les conséquences du génocide sont encore très concrètes pour les descendants de victimes. “Nous avons perdu nos terres ancestrales. Beaucoup d’entre nous, au sein de la communauté, vivent dans la pauvreté aujourd’hui. Certains vivent dans des cabanes de tôle et peuvent passer une semaine sans manger. Beaucoup ont hérité d’un trauma transgénérationnel”, explique Laidlaw Peringanda, le président de l’Association du génocide namibien, à Al-Jazeera. Il poursuit :
“Si le gouvernement allemand veut se réconcilier, il doit nous redonner notre dignité, mais cela n’arrivera pas tant qu’il nous exclut.”
Le ministère des Affaires étrangères allemand a précisé dans son annonce que “les communautés herero et nama ont été associées de près aux négociations du côté namibien”. Lors de leur conférence de presse du 31 mai, plusieurs chefs traditionnels ont pourtant assuré que, bien qu’initialement conviés aux discussions, ils n’avaient pas pu consulter leur communauté au sujet de l’offre allemande.
Laidlaw Peringanda assure également ne pas avoir été associé aux négociations. Comme d’autres, il craint aujourd’hui que les descendants des victimes ne bénéficient pas de l’aide proposée par l’Allemagne : “S’ils ne nous incluent pas dans les négociations, pourquoi nous impliqueraient-ils soudainement dans ces projets ?” De la même manière, pour Vekuii Rukoro, l’aide proposée est destinée à profiter uniquement au “client” de l’Allemagne, le gouvernement namibien.
Mathilde Boussion
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