Besancenot, Buffet, Bové et les autres : six commentaires sur l’article d’analyse et le « chat » de Sylvia Zappi
Pierre Rousset
L’article de Sylvia Zappi, publié en page deux du Monde daté du 29-30 avril 2007, à l’avantage de présenter une analyse synthétique des résultats de la « gauche anti-libérale ». Il a aussi l’intérêt d’être écrit par quelqu’un qui n’a jamais caché sa sympathie pour la candidature de José Bové – or, il manque encore cruellement de textes de bilan des animateurs de cette campagne. En attendant ces derniers (et sans exiger plus qu’il ne peut offrir d’un article de presse), on peut tenter d’ouvrir le débat en revenant sur « l’angle de vue » présenté par la journaliste dans les colonnes du quotidien. On se référera de même à la transcription du « chat » mené sur le même sujet par Zappi avec des lecteurs du Monde.
Sylvia Zappi introduit de nombreux éléments d’analyse qui nuancent (ou même contredisent parfois) la « ligne générale » de son argumentaire. Mais pour l’essentiel, l’article du Monde s’en tient à une analyse globale des résultats de la « gauche anti-libérale » (alors que le « chat » s’attache plus précisément aux cas spécifiques du PCF et de la LCR). Il rend avant tout les « logiques d’appareil » responsables de l’échec d’une candidature unitaire. Et il réduit le « non » à la Constitution du 29 mai 2005 à un vote « de gauche » et non pas « à gauche » (c’est-à-dire à la gauche du PS, si l’on comprend bien la formule).
1. La gauche anti-libérale au plus bas depuis 25 ans ?
Les « bovétistes » se contentent souvent de comparer la somme des votes de la « gauche anti-libérale » avec les résultats des scrutins de 2005 (Constitution) et 2002 (précédente présidentielle). Cela leur permet de ne pas s’attarder sur le bilan comparé des campagnes d’Olivier Besancenot et de José Bové et de rendre la « division » (à savoir la LCR et le PCF) responsable de leur propre échec. Mais cela conduit rapidement l’analyse à une impasse.
Sylvia Zappi reprend à son compte cette démarche. Elle compare par exemple les 13,8% de 2002 au 9% de 2007 pour souligner le déclin de la gauche radicale. Il faut quand même rappeler ce qui devrait être une évidence : la pression du vote utile était très faible en 2002 et très forte en 2007. Le dernier scrutin montre combien les électeurs aspirant à voter à « la gauche de la gauche » ont été sensibles à cette pression, mais il n’est pas du tout évident qu’il indique un déclin de l’aspiration incarnée par ce vote « radicalement à gauche ». Les évolutions sont difficiles à évaluer. Attention donc aux anachronismes.
Sylvia Zappi va plus loin. Elle affirme ainsi que la « gauche anti-libérale » obtient son score « le plus bas depuis 25 ans ». C’est oublier que la frontière politique passait alors, plus encore qu’aujourd’hui, entre l’extrême gauche et le PCF (un parti de gouvernement) ! Encore un anachronisme. En ce domaine, l’événement électoral, ce fut quand Arlette Laguiller passa pour la première fois, en 1995, les 5%. La gauche anticapitaliste se renforçait alors que le PCF déclinait. Ce que les chiffres globaux mesurent avant tout, c’est le déclin historique du PC. Pour en savoir plus, il faut enter dans le détail.
Le premier tour de la présidentielle offre 5 tests d’un coup (et même 6, en rajoutant les Verts). Il faut commencer par expliquer pourquoi une seule de ces six candidatures émerge.
2. Pourquoi Besancenot ?
A en croire l’article de Zappi, la LCR avait tout faux. Elle était à l’origine de la division et a lancé une « candidature de témoignage et de protestation sur un profil politique inchangé ». Rien alors ne permet de comprendre pourquoi « Besancenot tire son épingle du jeu » malgré une conjoncture électorale particulièrement difficile : face à la pression d’un double « vote utile » contre Sarkozy (en faveur de Royal et de Bayrou) et après le traumatisme de 2002 (Le Pen au second tour). Maintenir dans ces conditions le pourcentage de 2002 en augmentant significativement le nombre de ses voix n’avait rien d’évident !
D’aucuns jugent, méprisants, qu’avec ses 4,1%, Besancenot n’est que le « premier des nains de jardin ». C’est vraiment perdre le sens de la mesure. Rappelons que le candidat d’une petite organisation est arrivé loin devant trois anciens ministres (en ajoutant de Villiers à Buffet et Voynet), loin devant deux partis qui ont été au gouvernement et gardent de nombreux élus (le PCF et les Verts). Pour un succès (Besancenot), on compte le 22 avril 2007 cinq échecs retentissants : Buffet, Voynet, Laguiller, Bové et Schivardi. Rien de banal dans tout cela ! Cela demande explication.
Une explication que Sylvia Zappi offre de façon pertinente à l’occasion de son « chat », même si elle ne le fait pas dans son article : « C’est un vote qui a réussi à capter la protestation sociale. Olivier Besancenot a fait de ce point de vue une très bonne campagne, incarnant une forme de résistance avec un nouveau visage. Il a séduit par son bagout et sa position d’indépendance totale vis-à-vis du PS une frange radicale très déçue depuis la gauche plurielle. » Elle relève qu’il « attire surtout des jeunes étudiants et jeunes salariés ». A une interlocutrice qui pense qu’Oliver « perd en crédibilité » parce qu’il refuse d’entrer dans un gouvernement de gauche, Zappi répond : « il a au contraire été élu sur cette posture d’extériorité totale à la gauche gouvernementale. Son slogan 100% à gauche et 100% indépendant affichait la couleur ».
Si Besancenot émerge, ce n’est donc pas seulement (comme voudrait le faire croire certains) parce que le « casting » était bon. Si le facteur n’avait eu que sa jeunesse et du bagout à offrir, avec un pois chiche dans la tête, il aurait fait ses 1% comme les autres. S’il a cristallisé une aspiration sociale profonde, c’est aussi grâce à la radicalité et à cohérence politique de sa campagne.
Au scrutin du 22 avril, chaque « espace politique » n’a été occupé que par une seule candidature, avec une particularité : l’affirmation du centre. Cela n’a pas toujours été le cas : en 2002 par exemple, Olivier et Arlette se sont partagés celui de la protestation sociale radicale. Cette fois-ci, LO n’a pas trouvé d’espace.
3. Des « soupçons » à la réalité
Il était essentiel que la « protestation sociale » puisse s’exprimer à l’occasion de l’élection présidentielle et il fallait effectivement, pour se faire, présenter une candidature « 100% à gauche, 100% indépendante ». Ni Buffet ni Bové (ni évidemment Voynet) ne le faisaient.
Sylvia Zappi note dans son article que la LCR « soupçonnait » ses « alliés », dans le processus des candidatures unitaires, de « lorgner vers une alliance avec le PS. » Il est vraiment temps de reconnaître que ledit soupçon était fondé — et qu’il est malheureusement devenu réalité. Non seulement le PCF n’a pas cessé d’ambitionner un accord avec le PS, mais José Bové a maintenant rallié Ségolène Royale allant, pour ce faire, jusqu’à cautionner les ouvertures centristes de la candidate social-libérale [1].
La LCR avait très clairement expliqué en 2006, dans le cadre des collectifs pour des candidatures unitaires, qu’il fallait la plus grande clarté sur la question du PS pour ne pas risquer ce qui vient d’arriver : un candidat qui se rallie en pleine bataille électorale à la gauche de gouvernement. Tous les ténors anti-Besancenot avaient alors, des mois durant, dénoncé en cette exigence un « prétexte » couvrant une entreprise de division. Mais le scénario qui vient de se réaliser est encore plus précipité que ce que la LCR craignait : Bové n’a même pas attendu le second tour de la présidentielle pour aller à la soupe. Qui osera encore affirmer qu’il n’y avait que prétexte fallacieux dans les inquiétudes de la LCR ?
4. Les logiques d’appareils ?
Même si d’autres éléments d’analyse sont présentés, les « logiques d’appareils » apparaissent de façon récurrente, dans l’article et le « chat » de Sylvia Zappi, comme le principal fauteur de division au sein de la gauche anti-libérale. Les « appareils » en cause sont ceux du PCF et de la LCR. Comme si les autres composantes du processus des collectifs unitaires n’avaient pas elles aussi fortement manifesté des logiques de « micro-appareils » (les Alternatifs, les Alter Ekolo, les Décroissants…). Sans parler du poids destructeur des ego que Zappi évoque dans son « chat » : « Quant aux ego, (…), dans ce microcosme-là, ils sont un certain nombre à en avoir un surdimensionné ».
La campagne Bové, en particulier, a donné libre cours aux logiques de micro-appareils, de cliques incontrôlées et d’ego surdimensionnés. Elle fut conduite de façon particulièrement peu démocratique, ce qui a permis à José Bové de prendre des initiatives personnelles en dehors de tout cadre collectif, depuis la « désignation » de Nicolas Hulot comme Premier Ministre [2] jusqu’au ralliement à Ségolène Royal. Ces dérives étaient inscrites dès l’origine, dans la façon dont le « bovéthon » électronique avait imposé la candidature de l’ancien dirigeant paysan [3] ; elles ont aussi été nourries par l’absence de clarification politique sur l’objectif même de la campagne.
Dans les collectifs d’abord, puis dans le cadre de la campagne Bové, on est passé du thème de « l’unité avec », à « l’unité sans », pour terminer par « l’unité contre ». La « candidature trait d’union » n’était que fiction. José Bové lui-même (de même que certains de ses portes paroles, tel Yves Salesse) a affirmé un profil très sectaire, l’objectif avoué étant de constituer une nouvelle force politique contre le PCF et la LCR. Bové a même été jusqu’à déclarer que les autres candidats (de Le Pen à Besancenot !) faisaient tous partie « de la même bande », lui seul étant « hors système » [4]. Mais aucun de ces glissements successifs — de « l’unité avec » jusqu’à « l’unité contre » — n’a été collectivement discuté ou publiquement explicité. Quelle est cette nouvelle force dont on nous annonçait la naissance ? Au sortir de la campagne, cela reste un mystère. On comprend ainsi que la candidature Bové ait prolongé et accentué les dynamiques de division à l’œuvre dans les collectifs, fragmentant les minorités du PCF et de la LCR.
5. Une dynamique unitaire ?
Il y a des intérêts de parti tout à fait légitimes et dont il faut tenir compte. Il y a aussi des manœuvres d’appareil dont les effets peuvent effectivement être destructeurs. Mais le discours en vogue sur les « logiques d’appareils » permet de ne pas aborder une question essentielle : à quelles conditions une unité est-elle dynamique ?
On entend couramment dire qu’une candidature unitaire de la gauche anti-libérale, quelle qu’elle soit, aurait assuré un résultat électoral à deux chiffres. L’expérience des candidatures LCR et LO (tantôt unitaire et tantôt pas) montre que cela n’est pas si simple. Le score d’une candidature unique tend à être supérieur à celui de chacun des candidats séparé — mais inférieur à la somme de leurs scores. Pour dépasser nettement cette somme de résultats, il faut qu’une dynamique politique s’enclenche — et nous en revenons au point précédent : il ne suffit pas d’un bon « casting » (encore que les qualités de la candidate ou du candidat ne soient pas négligeables !), il faut aussi un bon profil de campagne, un bon programme et une bonne orientation. En l’occurrence, « 100% à gauche » et « 100% indépendant » du PS.
S’il n’y a pas eu dynamique unitaire, c’est parce qu’il n’y avait pas accord sur ces questions politiques. On en a confirmation aujourd’hui.
L’un des mérites de l’article de Sylvia Zappi est de relever clairement le problème. Même sans la Ligue, note-t-elle, le « Club » [le Collectif national] « continue jurant que cette fois-ci, il “joue la gagne“. Différentes figures comme Yves Salesse, de la Fondation Copernic, ou Patrick Cohen-Seat, bras droit de Mme Buffet, assurent, pronostics en main, qu’ils peuvent atteindre un “score à deux chiffres“. M. Bové défend même l’idée que la gauche anti-libérale peut “être présente au second tour“. L’objectif est tout tracé : il s’agit de “disputer l’hégémonie du PS sur la gauche“. Mais de véritable projet politique, fédérateur, point. » Les « 125 propositions » adoptées en septembre ne sont qu’un « catalogue » qui « ne fait pas rêver ». « Si de nombreux inorganisés rejoignent les collectifs, la “dynamique populaire“ se fait attendre ».
Pour certains, tout aurait été différent si la LCR s’était investie dans le processus des collectifs, même après septembre 2006. Si la LCR l’avait voulu, laisse-t-on entendre, Fabius aurait plié, Mélanchon n’aurait pas rejoint le bercail socialiste, le PCF aurait retiré la candidature Buffet et se serait détourné du PS, Bové aurait été allergique aux sirènes institutionnelles. Quant aux Alternatifs, aux Alters Ekolos, aux Electrons libres, aux Décroissants et à la mystérieuse garde rapprochée de José, ils auraient été ravis d’aider la Ligue à impulser l’unité. C’est de la politique-fiction.
6. « De » gauche, mais pas « à » gauche ?
Plus sobrement, Zappi note que même unie, « cette gauche n’aurait pas réussi à perturber suffisamment le jeu du PS ». Elle juge en effet que la lecture faite du vote du 29 mai 2005, contre le projet de Constitution européenne, était erronée. Il ne s’agissait pas d’un vote « à gauche » du PS, affirme-t-elle aujourd’hui, mais seulement d’un vote « de gauche », sans rupture avec le PS. « L’erreur d’appréciation » sur le sens du 29 mai aurait été également partagée par tous : la LCR, le PCF et les autres courants de la gauche radicale.
Il serait utile de reprendre le fil des analyses et des débats depuis 2005. Sylvia Zappy oublie aujourd’hui un peu vite que le « non » à la Constitution s’est imposé contre la direction du PS, contre les Verts, contre les médias et contre tout l’establishment. C’était certes un « non » composite (de droite, de gauche et « à gauche »), mais il était politiquement dominé par un rejet « à gauche » du néolibéralisme. Ensuite, si le PCF jugeait la « gagne » possible, c’était avec le PS — d’où la divergence avec la LCR qui ne croyait pas à la fusion des « deux gauches » sur un programme antilibéral.
La LCR a plus d’une fois expliqué que l’on ne pouvait pas transposer l’alliance des forces du 29 mai sur le champ électoral présidentielle et législatives. Ce sont les Salesse et les Debons qui ont laissé croire que la gauche anti-libérale pouvait l’emporter sur le PS — Bové poussant le délire à sa conclusion en affirmant que « notre » candidat pourrait être au second tour (et une fois que l’on est au second tour… tous les espoirs sont permis !).
Il est un peu facile aujourd’hui de mettre tout le monde dans le même sac.
L’échec de la gauche antilibérale
Sylvia Zappi
Le Monde daté du 29 avril 2007
Ils en étaient convaincus. Le « non de gauche », lors du référendum du 29 mai 2005, à la Constitution européenne préfigurait une recomposition à gauche. L’élan unitaire, les discussions entre des courants qui se regardaient jusqu’alors en chiens de faïence, l’étonnante mobilisation citoyenne ouvraient un espace à la gauche du Parti socialiste. Et l’élection présidentielle allait leur donner l’occasion de concrétiser cet espace. Deux ans plus tard, c’est la douche froide. Avec seulement 9 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle, les cinq candidats de la gauche radicale - Olivier Besancenot (Ligue communiste révolutionnaire), Marie-George Buffet (Parti communiste), Arlette Laguiller (Lutte ouvrière), José Bové, Gérard Schivardi (soutenu par le Parti des travailleurs) obtiennent le score le plus bas pour cette sensibilité depuis vingt-cinq ans. En 2002, elle avait recueilli encore 13,8 %.
Si M. Besancenot tire son épingle du jeu (avec 4,08 %), c’est dans une stratégie de négation de la démarche unitaire, encore vantée quelques mois auparavant, et dans l’affirmation d’une candidature de témoignage et de protestation sur un profil politique inchangé.
En mai 2005, tout semblait pourtant sourire à ce panel de gauche rassemblant le PCF, la LCR, des minoritaires des Verts, des membres de l’aile gauche du PS, les Alternatifs, mais aussi des militants altermondialistes, syndicalistes, associatifs. En partageant les mêmes tribunes et en bataillant ensemble, durant des mois, contre cette Constitution jugée « néolibérale », ils s’étaient découvert plus de points communs qu’ils ne le pensaient. Ils avaient ensemble goûté à l’ivresse des salles pleines, des slogans qui marchent et d’un soutien populaire qu’ils n’attendaient plus. Le résultat avait été au rendez-vous : le non l’avait emporté et, dans ce vote, la gauche était majoritaire. La suite ne fut que rendez-vous manqués, promesses non tenues et dépit amoureux.
En octobre 2005, le premier appel pour une candidature unique à la gauche du PS est signé par une palette d’opposants à la Constitution ainsi que par deux organisations, le PCF et la LCR. Le texte prévient que « rien ne serait pire que la dispersion » à l’élection présidentielle. Un mois auparavant, le « club des cinq » - Mme Buffet, M. Besancenot, M. Bové, Francine Bavay (Verts) et Jean-Luc Mélenchon, sénateur PS et animateur de Pour une République sociale - s’était retrouvé à la fête de l’Humanité. Le premier accroc à l’idylle survient dès janvier 2006 quand le congrès de la LCR avance les premiers pions d’une candidature Besancenot. L’organisation trotskiste soupçonne ses alliés de lorgner vers une alliance avec le PS.
En mars, c’est au tour du congrès du PCF de « soumettre au débat » la candidature de Mme Buffet. Les deux organisations savent pourtant pertinemment qu’un postulant issu d’un parti politique n’a aucune chance d’emporter l’adhésion de leurs alliés. En mai 2006, le second appel, signé de personnalités du mouvement social, n’est soutenu que par le PCF. La LCR se retire déjà sur la pointe des pieds. Fin juin, elle tranche et lance son champion.
Qu’importe ! Le « club » continue jurant que, cette fois-ci, il « joue la gagne ». Différentes figures comme Yves Salesse, de la Fondation Copernic, ou Patrick Cohen-Seat, bras droit de Mme Buffet, assurent, pronostics en main, qu’ils peuvent atteindre un « score à deux chiffres ». M. Bové défend même l’idée que la gauche antilibérale peut « être présente au second tour ». L’objectif est tout tracé : il s’agit de « disputer l’hégémonie du PS sur la gauche ». Mais de véritable projet politique fédérateur, point.
Une ébauche de programme commun - les « 125 propositions », un catalogue de mesures à prendre par un gouvernement « antilibéral » - est rédigée en septembre. Mais c’est une addition de bouts de programmes, chacun insistant pour son « pitch » (résumé bref qui annonce le projet de film). Le cocktail ne fait pas rêver. Si de nombreux inorganisés rejoignent les collectifs, la « dynamique populaire » invoquée se fait attendre.
Logiques d’appareil
Une étrange course de lenteur pour désigner « le » candidat unitaire commence alors. En plus de Mme Buffet, M. Bové se déclare « disponible » et propose une primaire pour départager les postulants, avant de se retirer en dénonçant les « manœuvres d’appareil », mais conscient que son nom ne fait pas l’unanimité. Trois autres candidats - l’adjointe au maire de Paris, Clémentine Autain, le député communiste Patrick Braouezec et Yves Salesse - se déclarent, « pour sortir de l’impasse »... Pendant ce temps, Ségolène Royal est adoubée par le PS et part en campagne. Fin novembre, le PCF lance en solo la candidature de « Marie-George » après que celle-ci a échoué à s’imposer dans les collectifs locaux. La partie semble terminée mais, début janvier, M. Bové, plébiscité par une pétition sur le Web, se présente, assurant être le « trait d’union ». Avec trois candidats se réclamant de la même filiation - le « non de gauche » -, tout est en place pour la Berezina.
Au-delà des batailles d’ego, la croisade était déjà perdue. Les logiques d’appareil ont pesé : le PCF comme la LCR ne voulaient pas laisser passer leur tour, chacun étant persuadé qu’il « incarnait » au mieux la « formidable dynamique du non ». La musique aurait été peut-être différente si chacun n’avait voulu jouer sa propre partition. Mais même alors, cette gauche n’aurait pas réussi à perturber suffisamment le jeu du PS.
Car c’est toute sa construction politique de départ qui s’est révélée fausse : le non au référendum du 29 mai 2005 n’était pas un « non de gauche », mais un « non à gauche ». Cette expression de refus d’une Europe libérale ne constituait pas une assise politique suffisante pour construire « une alternative crédible », comme ils le souhaitaient tous. La présidentielle approchant, les « nonistes » se sont tournés vers leurs référents politiques habituels, Parti socialiste en tête.
Cette erreur d’appréciation était partagée par le PCF, la LCR et les différents courants de cette gauche radicale : tous ont cru voir muer ce vote de rejet du libéralisme en adhésion à un projet radical. Seule Mme Laguiller, campant sur sa méfiance d’un « vote politiquement flou », avait mis en garde contre un tel raccourci. Et, le 22 avril, la majorité des « nonistes » de gauche se sont ralliés à Mme Royal. Par défaut de candidature crédible : « Ils ont été incapables de s’entendre », entendait-on chez les électeurs de cette gauche radicale à la veille du scrutin. Mais aussi parce que l’alternative n’avait toujours pas été définie. L’échec va laisser des traces, et « l’unité » ne se réalisera pas plus aux élections législatives.
Chat
La résistance des logiques d’appareil bloque le rassemblement de la gauche de la gauche
Sylvia Zappi
Publié sur LEMONDE.FR | 23.04.07 | 17h56 • Mis à jour le 24.04.07 | 17h48
L’intégralité du débat avec Sylvia Zappi, de la rédaction du « Monde », mardi 24 avril 2007.
Carlos : Selon vous, quels sont les motifs de l’érosion des résultats du PCF depuis les 10 % obtenus aux législatives de 1997 ?
Sylvia Zappi : Le PC a alterné depuis 1997 une alliance avec le PS et une alliance gouvernementale et une posture plus protestataire, sans arriver à redéfinir ce que voulait dire être communiste aujourd’hui.
Il est toujours entre deux chaises, refusant le rassemblement antilibéral qu’il a en partie créé et affichant une candidature communiste qui n’a pas su se définir sans faire référence systématiquement à la gauche responsable.
Matthias : La place de Marie-George Buffet au sein du PCF est-elle menacée ?
Sylvia Zappi : Elle avait d’entrée de jeu dit qu’elle se retirerait de son poste de secrétaire national en 2009 au congrès qui est prévu. Avec un score de 1,9 % qu’elle doit aujourd’hui assumer, elle n’a plus de légitimité comme secrétaire nationale, son départ est envisagé très sérieusement.
Zzorglub : Peut-il y avoir une hémorragie de militants du PCF en faveur de la LCR ?
Sylvia Zappi : Il y a eu un déplacement en termes électoraux où le candidat de la LCR a réussi à capter une part du vote protestataire du PC. Mais la LCR ne parviendra pas à attirer des militants qui sont allés de défaite en défaite. Elle n’a pas le même type de profil et attire surtout des jeunes étudiants et jeunes salariés.
Najib : Y a-t-il un avenir pour le PCF ? _Alex : Le Parti communiste français est-il en voie de disparition ?
Sylvia Zappi : Cela fait au moins 15 ans qu’on annonce la mort du PCF. Il est dans un déclin certain, mais il ne faut pas oublier qu’il revendique encore 134 000 adhérents, 13 000 élus, et que c’est une force militante encore très présente.
C’est encore aussi une référence politique sur la scène politique française. Il ne faut pas tirer du score calamiteux que vient de faire Marie-George Buffet la fin du PCF.
Quant à son avenir, il dépend essentiellement de sa capacité à se redéfinir un projet qui ne soit pas que dans la nostalgie.
TJ : 2002 avait déjà été une année extrêmement difficile pour le PCF. Leur désarroi était vraiment énorme. Quel est leur état d’esprit cette année ? Du désespoir (ils s’attendaient à faire mieux) ? De la résignation ? De l’incompréhension ?
Sylvia Zappi : Il y a certes de la déception, mais le score était attendu, y compris en interne. Aujourd’hui, la direction développe un discours pour expliquer que ce n’est pas de la faute de Marie-George Buffet, mais celle des autres, les autres étant le vote utile, les médias, et la dérive à droite de la société.
Les militants, eux, attendent un peu plus que ces excuses, et sentent bien que leur discours ne passe plus.
najib : Y a-t-il une tentation des élus communistes à changer d’étiquette ?
Sylvia Zappi : Non, il n’y a pas cette tentation. Ils vont moins afficher leur appartenance que leur bilan local, comme le font tous les élus locaux. Et pour le moment, il n’y pas de mouvement de départ d’élus du PC.
Zzorglub : Comment peut-on expliquer le score d’Olivier Besancenot et de la LCR au 1er tour ?
Sylvia Zappi : C’est un vote qui a réussi à capter la protestation sociale que n’arrive plus à attirer le PC. Olivier Besancenot a fait de ce point de vue une très bonne campagne, incarnant une forme de résistance avec un nouveau visage.
Il a séduit par son bagout et sa position d’indépendance totale vis-à-vis du PS une frange radicale très déçue depuis la gauche plurielle.
Mick : Avec son bon score du 1er tour, Olivier Besancenot porte-t-il aujourd’hui le costume de chef de file de l’extrême gauche pour les prochaines échéances ?
Sylvia Zappi : Les prochaines échéances électorales sont d’abord législatives et municipales. Ce sont des scrutins dans lesquels la LCR a toujours eu du mal à peser, faute d’implantation d’élus locaux.
Le succès d’Olivier Besancenot est d’abord le sien avant d’être celui de la LCR. Or il n’y a pas 577 petits Besancenot dans la LCR.
Cela dit, la Ligue revendique aujourd’hui la posture de leader de la gauche antilibérale, s’appuyant sur le score qu’a fait Besancenot, devançant et le PC et Arlette Laguiller. Ainsi que José Bové.
gabriel : Le morcellement de l’extrême gauche n’est-il pas lui-même le signe de l’impuissance de la gauche anti-libérale ?
Sylvia Zappi : C’est en tout cas le signe de son impuissance pour cette échéance. Les différents courants de gauche réunis au sein du non à la Constitution européenne n’ont pas réussi à se mettre d’accord.
Ils paient aujourd’hui gravement cette division et risquent de peser fort peu pour les législatives ou les municipales. Les logiques d’appareil ont repris le dessus.
morza : Olivier Besancenot, malgré un succès indiscutable sur ses concurrents directs, n’a-t-il pas comme handicap majeur d’avoir d’ores et déjà annoncé qu’il refuserait tout ministère ou poste à responsabilité dans un gouvernement de gauche ? Ne perd-il pas ainsi en crédibilité ?
Sylvia Zappi : Il a au contraire été élu sur cette posture d’extériorité totale à la gauche gouvernementale. Son slogan 100 % à gauche et 100 % indépendant affichait la couleur, et c’est cette posture qui a réussi à recueillir 4,11 %.
matthias : Y aura-t-il encore un groupe à l’Assemblée nationale à la gauche du PS ?
Sylvia Zappi : C’est une vraie question que les dirigeants du PC se posent depuis quelques semaines. Il ne faut pas oublier que 6 députés avaient été élus sur des listes d’union de la gauche et qu’un certain nombre de députés sortants sont en très mauvaise posture face à la droite.
Les pronostics sont, pour les plus optimistes, autour de 12 députés, pour les pessimistes, 8. Cela ne fait pas un groupe parlementaire.
borguy : Robert Hue peut-il reprendre la main sur le PCF ?
Sylvia Zappi : Non, Robert Hue aujourd’hui est encore très minoritaire et ses fidèles ont même du mal à s’afficher ouvertement. _Ils n’ont pas fait de courant ni de texte au dernier congrès et n’en feront probablement pas dans les prochaines échéances internes. _Cela dit, c’est vrai que le sénateur du Val-d’Oise est sorti du bois après cinq ans de silence pour tacler celle qui lui a succédé.
Léon : Pensez-vous que le PC puisse se doter d’une nouvelle direction autour de gens comme Patrick Braouezec ?
Sylvia Zappi : Non. Il est une des figures du courant des refondateurs qui s’étaient positionnés pour une candidature unitaire, puis se sont divisés sur la démarche à la présidentielle, certains se ralliant à Marie-George Buffet, d’autres à José Bové, d’autres enfin préférant se taire.
S’ils ont une audience réelle à la base du parti et auprès des anciens communistes, ils ne sont pas en mesure de convaincre une majorité d’adhérents de les porter à la tête du parti.
morza : Arlette Laguiller quittant la Lutte ouvrière sur un triste score (1,33 %) va-t-elle chercher un successeur ou va-t-elle annoncer la fin de son parti ?
Sylvia Zappi : Le score d’Arlette Laguiller ne signifie pas la fin de Lutte ouvrière, c’est une organisation structurée et influente dans un certain nombre d’entreprises.
Cela dit, c’était sa dernière campagne, elle l’avait annoncé. Elle se retire aussi de son poste de porte-parole.
LO a mis en avant depuis quelques mois 4 ou 5 nouvelles figures, des jeunes femmes trentenaires, majoritairement dans l’éducation nationale, qui, selon la direction de LO, sont prêtes à prendre la relève. Mais le choix n’est pas encore fait.
Stef : Est-ce qu’un rassemblement des forces à gauche du PS est toujours possible malgré l’échec de la démarche de la candidature unique ?
Sylvia Zappi : C’est en tout cas en ce sens que militent un certain nombre de courants, aussi bien au PC, à la LCR, ou même chez les Verts. Mais l’échec de la candidature unique montre la résistance des logiques d’appareil.
Les législatives en seront une nouvelle illustration, avec un nombre de candidats unitaires extrêmement faible. C’est visiblement un chemin qui est plus long que certains ne l’avaient prévu.
auline : Les communistes appellent-ils à voter pour Ségolène ou contre Sarkozy ?
Sylvia Zappi : Marie-George Buffet a été très claire au soir du 22 avril, elle a appelé à voter et faire voter Ségolène Royal et à tout faire pour battre la droite.
cedroc : Les électeurs de la gauche anti-libérale vont-ils massivement se déplacer pour voter Ségolène Royal ? Y a t-il un risque de forte abstention de ces électeurs ?
Sylvia Zappi : Non, je pense qu’ils se déplaceront massivement, d’autant que les différents candidats de cette gauche radicale ont tous appelé soit à voter Ségolène Royal, soit à battre Sarkozy.
GratinDauphinois : Comment les électeurs de la gauche antilibérale risquent-ils de réagir après les rapprochements entre Royal et Bayrou ?
Sylvia Zappi : Il est certain que ça va les renforcer dans leur opposition au « social-libéralisme » et les convaincre que décidément, le PS ne mène pas une politique de gauche.
Mais je pense que le sentiment anti-Sarkozy sera suffisamment fort pour les aider à glisser un bulletin pour Ségolène Royal dans l’urne.
machiavel : Pourquoi la gauche de la gauche ne fait pas ce qu’a fait Mme Royal, c’est-à-dire faire inscrire en masse de nouveaux adhérents au PS et changer le parti de l’intérieur ?
Sylvia Zappi : La vie politique française à gauche est structurée depuis plus d’un siècle entre un courant socialiste et un courant communiste.
Il y a eu certes des divisions, mais ces deux axes continuent à structurer le débat à gauche, contrairement à ce qu’on peut voir dans d’autres pays européens.
C’est un clivage qui est encore vivant malgré ce que pourraient laisser croire les scores de cette présidentielle.
Galopeur : Pourquoi Lutte ouvrière appelle cette fois-ci à voter contre Sarkozy et ne l’avait-elle pas fait contre Le Pen en 2002 ?
Sylvia Zappi : La direction de LO a reconnu il y a trois mois que son absence de consigne en 2002 lui avait été souvent reprochée par ses propres sympathisants.
Elle a aussi acté le très fort rejet de Nicolas Sarkozy au sein de la gauche, et savait qu’elle ne serait pas audible si elle s’abstenait d’appeler à le battre dans les urnes.
Arlette Laguiller a été plus loin, puisqu’elle a clairement appelé à voter pour Ségolène Royal.
TJ : Le PS compte-il porter secours au PCF pour les législatives ? Quel serait l’intérêt ?
Sylvia Zappi : Il paraît évident que le PS a plus intérêt à faire un signe à son allié communiste. Si d’aventure Ségolène Royal gagne, elle aura alors une opposition de gauche plus constructive et plus compréhensive que si elle avait refusé toute négociation sur les législatives.
Le PC sait qu’il ne doit la survie de certaines circonscriptions qu’à un accord avec le PS. Tous les deux y ont donc intérêt.
plastic : Comment voyez-vous l’avenir du rassemblement constitué pour la campagne Bové ?
Sylvia Zappi : Avec le très faible score qu’il a obtenu, il est plus compliqué aujourd’hui pour José Bové d’envisager seul la constitution d’un nouveau mouvement politique.
Les antilibéraux avaient appelé à des assises en septembre pour constituer une nouvelle force politique. Il est probable que le candidat altermondialiste s’y inscrira.
macpo : Pourquoi le Parti des travailleurs (PT) a-t-il présenté Schivardi, qui n’est même pas membre de ce parti, et visiblement peu imprégné de l’ambiance extrême gauche ?
Sylvia Zappi : En 2002 ils avaient présenté Daniel Glückstein, qui avait obtenu 0,47 %. Ils pensaient, en affichant un élu local du terroir menant campagne sur la défense des services publics en milieu rural et contre l’Union européenne, pouvoir toucher plus largement. C’est un échec.
tournesol : Ne croyez-vous pas que la multitude de candidats dits altermondialiste a divisé l’extrême gauche. Et qu’un certain nombre de personnes y ont vu plutôt des égos surdimensionnés ?
Sylvia Zappi : La multiplication des candidatures à gauche du PS a indéniablement démobilisé son électorat, qui n’a pas compris qu’après une campagne victorieuse pour le non, des meetings communs et des discussions poussées sur une union à la présidentielle, ils n’aient pas réussi à se mettre d’accord. Cela a créé un vrai désenchantement.
Quant aux egos, je suis persuadée que quand on se présente à une élection, il faut quand même avoir une certaine idée de soi. Et dans ce microcosme-là, ils sont un certain nombre à en avoir un surdimensionné.
GratinDauphinois : D’un point de vue financier, cela fait la seconde fois que le PC est privé de la « prime » aux candidats ayant obtenu plus de 5 %. De plus, même si la fête de l’Huma marche du tonnerre, le parti n’a pas gagné beaucoup d’adhérents. Est-ce que la survie du PC n’est pas aujourd’hui fortement conditionnée par sa capacité à encore financer des campagnes ?
Sylvia Zappi : Ils sont dans une situation financière très délicate, avec une campagne qui aura coûté autour de 4 millions d’euros. Les économies qu’ils ont réalisées depuis 2002 et les réserves qu’ils s’étaient constituées n’y suffiront pas. Ils devront prendre des mesures drastiques comme la vente de certains locaux et, à nouveau, la réduction des effectifs de permanents.
Chat modéré par Philippe Le Coeur