“Un réquisitoire sévère contre le pouvoir en place.” C’est ainsi que The Hindu a commenté, dans son éditorial du jeudi 17 juin, la décision de la Haute Cour de Delhi de remettre en liberté sous caution trois syndicalistes étudiants, placés derrière les barreaux depuis mai 2020 à la demande du ministère de l’Intérieur. Asif Iqbal Tanha, Natasha Narwal et Devangana Kalita avaient été arrêtés “au nom d’une loi de prévention du terrorisme” pour avoir été, d’après la police, à l’origine des violences contre les musulmans de février 2020 qui avaient fait 53 morts dans la capitale de l’Inde.
À l’époque, des manifestations avaient lieu dans tout le pays contre la réforme du droit d’asile, instaurée par le gouvernement nationaliste hindou de Narendra Modi. Son texte avait été voté en décembre 2019 ; il accorde depuis lors la citoyenneté indienne aux ressortissants de trois pays voisins, le Pakistan, le Bangladesh et l’Afghanistan, sauf s’ils sont musulmans.
740 témoins cités
“Les personnes arrêtées en vertu de la principale loi antiterroriste du pays croupissent dans des prisons sans procès, pendant de longues périodes”, rappelle le quotidien de Chennai. Dans le cas présent, les juges ont “contourné l’obstacle” qui leur interdisait, théoriquement, d’accorder la liberté sous caution, considérant “qu’aucun des trois prévenus n’est spécifiquement accusé d’acte terroriste, de financement d’un acte terroriste ou d’un acte équivalant à une conspiration en vue de commettre un acte terroriste ou un acte préparatoire à celui-ci”.
En l’absence de preuves, la Haute Cour de Delhi a implicitement donné tort à la police, et par conséquent au gouvernement, qui assimilaient au terrorisme la participation d’Asif Iqbal Tanha, Natasha Narwal et Devangana Kalita à des manifestations. Quand bien même ils auraient tous trois pris part aux violences de février 2020, ce qui reste à démontrer, celles-ci “relèvent de l’ordre public, et non de la sécurité de l’État”. Il aurait donc été exagéré de maintenir les trois militants en prison, d’autant que “740 témoins étant cités dans cette affaire, leur procès n’est pas près de se tenir”.
Jusqu’au bout, la police a fait de la résistance. À l’annonce de la prochaine remise en liberté des étudiants, elle a demandé un délai d’une semaine, “afin de vérifier l’adresse et les papiers d’identité des accusés”. Elle a également “saisi en référé la Cour suprême” afin d’obtenir le maintien en détention des trois prévenus. Reconnues coupables il y a déjà plusieurs mois de complicité avec des membres du parti au pouvoir dans le déclenchement des violences de Delhi, les forces de l’ordre se disent en désaccord avec l’avis des juges de la capitale.
Selon ces derniers, rapporte The Hindu, en emprisonnant Asif Iqbal Tanha, Natasha Narwal et Devangana Kalita, “l’État a brouillé la ligne de démarcation entre le droit de manifester garanti par la Constitution et une activité terroriste, par souci de supprimer toute dissidence et dans la crainte morbide que les choses ne deviennent incontrôlables”.
The Hindu
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