« On voulait simplement faire la fête. Les gendarmes sont intervenus durant plus de six heures avec des lacrymogènes, des grenades de désencerclement et des LBD. C’était ultraviolent. Un jeune a eu sa main arrachée par une grenade, explique Miguel [1], 24 ans. Comme les 1 500 autres teufeurs, cet ingénieur en informatique était venu, le 18 juin, près de Redon, pour « danser ».
Dans un ancien hippodrome, une free party y était organisée, en hommage à Steve Maia Caniço, décédé, le 21 juin 2019, à la suite d’une intervention de police, sur les quais de la Loire à Nantes.
Vers 23 heures, sur ordre d’Emmanuel Berthier, préfet d’Ille-et-Vilaine, les gendarmes sont intervenus pour mettre fin à ce rassemblement interdit. Toute la nuit jusqu’aux alentours de 6 heures, les forces de l’ordre ont fait un usage massif de grenades lacrymogènes, de désencerclement et de lanceurs de balles de défense (LBD). Plusieurs jeunes ont été blessés, dont celui de 22 ans, qui a eu la main arrachée. Un journaliste, Clément Lanot, a été touché par un tir de LBD, ce que l’ONG Reporters sans frontières a dénoncé, comme une enfreinte à la liberté de la presse.
Les gendarmes font état de 11 blessés dans leurs rangs, sans aucune précision sur la nature des blessures.
Par communiqué, le 19 juin, le procureur de la République de Rennes, Philippe Astruc, a annoncé l’ouverture de trois enquêtes préliminaires. Confiée à la section de recherches de Rennes, la première doit déterminer « les circonstances exactes et l’origine des blessures » du jeune homme de 22 ans et définir « les éventuelles responsabilité pénales ».
« Demeurant à Rennes, inconnu de la justice », il a subi « une intervention chirurgicale tendant à une amputation », précise le parquet. Une seconde enquête concerne les « violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique ». Le 19 juin, cinq jeunes ont été placés en garde à vue. La troisième vise la free party et les conditions dans lesquelles elle a été organisée.
Présentes lors des faits, plusieurs personnes ont accepté de témoigner auprès de Mediapart. Victor Lacroix, président de l’association culturelle Media’son, regrette que deux ans après le décès de Steve Caniço, « aucun enseignement n’a[it] été tiré par le ministère de l’intérieur sur les risques provoqués par de telles interventions ».
« Les gendarmes n’ont pas évacué le site, ils ont interdit aux jeunes d’y rentrer en utilisant des lacrymogènes, et alors qu’on n’y voyait rien, ils tiraient avec des grenades de désencerclement. Un jeune en a perdu la main », rappelle-t-il.
Plus que la peur, c’est « la colère » qu’il a éprouvée « face à ce déferlement de violences ». « Les gendarmes ont tiré sans sommation, les gens se réfugiaient où ils pouvaient dans les haies. C’était horrible », déplore Victor. Selon lui, une telle intervention n’aurait pas dû avoir lieu. « Ce n’était pas une évacuation mais une intervention disproportionnée pour interdire aux jeunes de rentrer sur le site alors qu’une première partie du convoi y était. »
Miguel, 24 ans, est arrivé sur les lieux vers minuit. « Il y avait déjà des nuages de lacrymogènes. On n’y voyait rien et on entendait les tirs de grenades de désencerclement. C’est lorsqu’on a appris qu’un jeune avait eu sa main arrachée par une grenade que des cocktails Molotov ont été lancés contre les gendarmes. Ils mutilent pour une fête. La colère est montée », tient-il à préciser.
La violence ne s’est pas arrêtée là. Aux alentours de 15 heures, les gendarmes sont réintervenus.
Un secouriste de l’association Techno+ reste encore sous le choc de ce qu’il a vu. « Ça fait plus de 20 ans que j’interviens pour porter assistance à des jeunes mais j’ai vu une scène de guerre avec des lacrymogènes lancés quasiment en continu. On ne voyait pas à plus de cinq mètres et les gendarmes tiraient des grenades de désencerclement et utilisaient leur LBD », rapporte-t-il. « On a pris en charge des personnes blessées au visage, d’autres touchées par des éclats de grenade au mollet sans pouvoir jamais être en sécurité », poursuit-il.
Pire, alors que les bénévoles sont parvenus à dresser une tente, dans la matinée du 19 juin, pour soigner les blessés, les gendarmes « ont tiré des grenades lacrymogènes en direction de la tente » : « Je suis encore sidéré par ce qu’il s’est passé. Rien n’était prévu pour évacuer les blessés. C’est effrayant. Nous-mêmes en tant que secouristes, nous devions faire attention à ne pas être la cible des tirs des gendarmes. »
Vers 17 heures, les gendarmes poursuivent leur intervention en saccageant, cette fois, le matériel, « les enceintes, les tables de mixage, à coups de masse et de matraque ». « Un carnage », résume Victor Lacroix, de l’association Media’son. « Un jeune a perdu sa main pour avoir voulu faire la fête. Et malgré ce drame, les gendarmes reviennent, quelques heures plus tard, pour détruire le matériel à coups de masse, sous nos yeux. C’est d’une violence révoltante », confie-t-il, anéanti. Le préjudice est estimé à plus de 100 000 euros, selon Victor Lacroix, qui soulève la question de la légalité d’une telle destruction. « Ils ne sont pas venus saisir mais casser le matériel », insiste-t-il.
« Une main arrachée pour avoir voulu danser », c’est ainsi que les organisateurs du Teknival ont dénoncé dans un communiqué, le 19 juin, « les pluies de lacrymos et de grenades [qui] se sont abattues sur une foule qui ne désirait que faire la fête. De nombreux blessés sont à déplorer. Un jeune homme a eu la main arrachée, ce n’est malheureusement pas la première fois. Tout cela pour avoir voulu danser… »
Pascale Pascariello