En marge de manifestations contre la tenue d’une marche LGBT, les 5 et 6 juillet, le cameraman Alexander Lashkarava, employé de la chaîne de télévision indépendante Pirveli, financée par l’ex-président Mikheïl Saakachvili, au pouvoir de 2004 à 2013, a été violemment tabassé par des traditionalistes en même temps que 53 autres journalistes, travaillant notamment pour les médias progressistes Voice of America, Radio Liberty et Mtavari Arkhi.
Sorti de l’hôpital le 9 juillet, Lashkarava a été retrouvé mort à son domicile le 11 juillet de causes qui restent à déterminer. À en croire les premières estimations du ministère de l’Intérieur, cité par le média géorgien InterPressNews, le cameraman aurait succombé à une “overdose de stupéfiants”.
Depuis trois jours, manifestations et contre-manifestations ébranlent le pays, l’opposition – principalement le Mouvement national uni, de Saakachvili – et la communauté journalistique réclamant la démission du gouvernement, accusé de “ne pas assurer la sécurité des journalistes”, écrit le site géorgien InterPressNews.
La Géorgie, où l’Église orthodoxe demeure la principale référence morale et spirituelle de la nation, se trouve ainsi comme écartelée “entre la croix et l’arc-en-ciel”, résume le quotidien russe Kommersant. Sans pour autant que la Géorgie soit “le pays le plus arriéré en Europe sur les droits des minorités sexuelles”, observe le journal. Bien au contraire : sur les 49 pays scrutés par le classement Rainbow Europe de l’association Ilga-Europe, la Géorgie se situe à la 32e place, devançant par exemple la République tchèque, la Lituanie ou l’Italie.
Pour le Premier ministre, c’est une tentative de putsch
Au fond, dans cette Géorgie qui “vit une crise économique rude, avec un budget national à zéro et où les salaires sont payés grâce à l’aide financière de l’Union européenne, ce qui importe aux citoyens, ce n’est pas la communauté LGBT+”, mais “le vecteur de développement du pays et les méthodes de gouvernance”, explique Kommersant.
Tout en condamnant les violences, promettant de punir les auteurs d’agressions et regrettant le décès de Lashkarava, le Premier ministre, Irakli Garibachvili, demeure inébranlable : “Ces événements ne sont qu’une tentative avortée de putsch contre l’État, contre l’Église et donc contre le peuple”, a-t-il déclaré, cité par l’hebdomadaire géorgien Kviris Palitra.
Le principal visé par les propos de Garibachvili ? Mikheïl Saakachvili. Les chaînes télévisées d’opposition sont “dirigées” par l’ex-président, qui, exilé en Ukraine et déchu de sa nationalité géorgienne, ne fait pas grand secret de sa volonté de revanche, estime le Premier ministre. “Le meneur de ces groupuscules radicaux et antichrétiens est Mikheïl Saakachvili, qui depuis Kiev tire les ficelles, grâce à l’argent et aux médias à sa disposition”, acquiesce Irakli Kobakhidzé, président du parti Rêve géorgien (au pouvoir depuis 2012), relayé par le site Ekho Kavkaza.
Une minorité ne décide pas du sort de la majorité
Pour le Premier ministre, la démocratie est le pouvoir de la majorité : “Lorsque 95 % de la population est contre une marche [des fiertés] de propagande, nous devons, chers amis, obtempérer. En Géorgie, on n’admettra plus de situation où une minorité décide du destin de la majorité”, martèle Garibachvili, toujours dans Ekho Kavkaza.
“Une nouvelle vague révolutionnaire se lève-t-elle ?” se demande le quotidien de Tbilissi Resonansi. Le journal géorgien conservateur Sakartvelo da Msoplio sait, lui, d’où souffle le vent : “Dans tous les pays du monde, Washington a procédé à la formation de ‘cinquièmes colonnes’ d’un type nouveau : les représentants LGBT”, ce “nouveau rêve américain”.
Alda Engoian
Abonnez-vous à la Lettre de nouveautés du site ESSF et recevez par courriel la liste des articles parus, en français ou en anglais.