L’assassinat de Nizar Banat, le 25 juin, par des forces de sécurité venues l’arrêter à Hébron, en Cisjordanie, a suscité un débat entre Syriens et Palestiniens. Nizar Banat s’opposait à l’Autorité palestinienne, dont il dénonçait la corruption. Mais il était aussi, et plus fondamentalement, opposé aux accords d’Oslo. [Signés en 1993 à Washington entre Israéliens et Palestiniens, instaurant l’Autorité palestinienne à Ramallah.]
Avec son franc-parler et sa véhémence, Nizar Banat était une voix qui comptait parmi l’opposition palestinienne, même si beaucoup ne partageaient pas ses opinions et n’aimaient pas sa façon de s’exprimer.
Perte de valeurs
Mais il était par ailleurs un adepte du régime syrien de Bachar El-Assad, et était farouchement hostile à la révolution syrienne. Et quand on a appris sa mort, certains Syriens et Palestiniens prorévolutionnaires ont laissé libre cours à une joie morbide. “Il a eu ce qu’il méritait”, se sont-ils dit. “En se faisant battre à mort par la police, il a subi ce que les Syriens subissent de la part de leur propre régime.”
Tout cela est révélateur d’une culture politique qui pose un certain nombre de problèmes. Premièrement, chacun croit qu’il détient la vérité absolue, que sa propre cause est la seule qui compte et qu’il a le monopole du rôle de la victime. C’est une vieille pathologie palestinienne, entretenue par les slogans tonitruants des diverses factions. Mais les Syriens en sont également atteints.
Deuxièmement, chacun croit qu’il n’y a pas de place pour d’autres causes, ou que celle des autres réduit l’importance de la sienne. Certains Palestiniens pensaient que la révolution syrienne allait nuire à leur cause, et qu’elle allait affaiblir “l’axe de la résistance” [face à Israël, et dont se réclament le régime de Damas, le Hezbollah, le Hamas et l’Iran].
Troisièmement, la voie de la violence et le choix de la lutte armée ont un coût en matière de culture politique. Cela renforce le fanatisme et conduit à une situation où les factions se battent entre elles et emprisonnent ou tuent tous ceux qui sont d’un autre bord.
Quatrièmement, il est clair que, des deux côtés, on a perdu de vue les valeurs de liberté, de dignité et de justice.
Manque de compréhension
On aurait pourtant souhaité qu’on puisse dénoncer les prises de position de Nizar Banat au sujet de la révolution syrienne et du régime de Bachar El-Assad, tout en condamnant son assassinat en tant que crime politique. On aurait également souhaité qu’on comprenne que Nizar Banat, quelles qu’aient été ses positions, faisait ce qu’il croyait devoir faire dans le cadre de la Palestine pour lutter contre la corruption et l’oppression. Tout comme les Syriens le font en Syrie.
Malheureusement, beaucoup sont pris dans une logique du tout ou rien, qui ne permet pas de distinguer les différents plans du raisonnement. Ce n’est pas la première fois qu’on le constate, et c’est probablement le résultat de la faiblesse de la culture politique, aussi bien en Palestine qu’en Syrie.
Majed Kayali
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