La concomitance des faits est extrêmement troublante. Connu pour être très critique à l’égard du gouvernement Modi pour sa gestion de la crise sanitaire liée au Covid-19, le journal Dainik Bhaskar fait l’objet d’un contrôle fiscal musclé. Samedi 24 juillet, le plus grand quotidien de langue hindi de l’Inde a été accusé par le fisc d’avoir “caché 7 milliards de roupies [environ 80 millions d’euros] de revenus au cours des six dernières années”, indique India Today.
Les agents des impôts affirment que le groupe de presse auquel le Dainik Bhaskar appartient “fraudait le fisc” en exploitant des sociétés au nom de ses employés, pour “comptabiliser des dépenses fictives” et “siphonner les bénéfices”. Jeudi 22 juillet, des perquisitions avaient été menées dans différents locaux du groupe, qui possède plus de cent filiales, “en particulier dans vingt logements et douze immeubles de bureaux répartis dans neuf villes, dont Bombay, Delhi, Bhopal, Indore, Noida et Ahmedabad”.
D’après le fisc, “plusieurs employés, dont les noms ont été utilisés comme actionnaires et directeurs, ont admis qu’ils n’étaient pas au courant de l’existence de ces sociétés et qu’ils avaient donné leur carte d’identité et leur signature numérique à l’employeur en toute bonne foi”.
La direction de Dainik Bhaskar se dit, pour sa part, “surprise de ces déclarations émanant de l’administration des impôts alors que des recherches sont toujours en cours”. Le titre explique ne pas être d’accord avec “les allégations” du fisc et observe que ce contrôle fiscal intervient après la mise en lumière, par le journal, des “manquements du gouvernement lors de la deuxième vague de Covid-19” qui a submergé l’Inde au printemps 2021.
Les journalistes ont “risqué leur vie”
Pour Tavleen Singh, chroniqueuse senior à l’Indian Express, il ne fait aucun doute que le Premier ministre, Narendra Modi, est en train de se venger :
“Son gouvernement veut que les médias lui obéissent. Des journalistes gênants ont perdu leur emploi, ont été menacés par des inspecteurs des impôts, accusés d’activités ‘antinationales’ et réduits au silence de toutes sortes de manières. Mais les perquisitions effectuées dans les bureaux du ‘Dainik Bhaskar’ placent cette fois la barre très haut.”
En effet, si l’un des deux journaux les plus puissants du pays peut subir un tel sort, “quelles sont les chances des publications moins importantes et des sites d’information de dire la vérité ?”
La chroniqueuse insiste sur le travail mené par Dainik Bhaskar depuis l’éclatement de la pandémie. “Il a publié en une les histoires de la terrible souffrance des gens ordinaires”, ses journalistes ont “risqué leur vie” pour apporter au monde les images de ces bûchers brûlant jour et nuit dans les crématoriums, et de ces corps enterrés à la va-vite sur les rives du Gange. Il a publié des articles sur “les pénuries impardonnables d’oxygène dans les hôpitaux” et sur les personnes qui sont mortes à cause de ces pénuries.
“Dans un pays vraiment libre, Dainik Bhaskar aurait reçu un prix pour son courage. Au lieu de cela, il a été puni”, dénonce avec véhémence Tavleen Singh.
Guillaume Delacroix
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