Au 22 juillet, seuls 82 % des personnes de plus de 75 ans étaient complètement vaccinés en France, (87 % avaient reçu une première dose), d’après les derniers chiffres de Santé publique France. À l’échelle européenne, ce n’est pas un bon score – d’autant plus mauvais que la tranche inférieure des 65-74 ans affiche, en France, un meilleur taux de vaccination… En fait, nombre de pays de l’UE, Espagne en tête, ont développé des campagnes beaucoup plus efficaces auprès de ces publics prioritaires. L’Italie et la Belgique aussi ont des leçons à donner à Paris.
En Espagne, un ciblage coûteux mais efficace
Un sans-faute. En Espagne, 100 % des personnes âgées de plus de 80 ans ont reçu le cycle complet de vaccination, soit 2,8 millions de personnes. Comment expliquer cette performance, dans un pays où la gestion de la crise sanitaire est largement décentralisée ? Trois éléments semblent avoir joué : l’acceptation des vaccins par le grand public, plus forte qu’en France ; le traumatisme lié aux décès de personnes âgées lors de la première vague, l’une des plus violentes en Europe, un traumatisme d’autant plus fort que les Espagnols entretiennent des relations très étroites avec leurs aînés ; et enfin, une stratégie de vaccination locale et ultra-ciblée.
En Espagne, l’élaboration d’une campagne articulée autour de tranches d’âge strictes a fonctionné. Après une première étape réservée aux résidents, soignants et personnels des Ehpad (ou équivalents), le vaccin a d’abord été réservé aux personnes âgées de 80 ans et plus, puis aux personnes âgées de 70 à 79 ans, et ainsi de suite... L’ouverture de nouveaux groupes d’âge n’a eu lieu qu’une fois la phase précédente très avancée, voire achevée.
Quant aux rendez-vous, la convocation des aînées était automatique. Chaque centre de santé local – un lieu où se regroupent médecins, infirmiers et pédiatres – avait pour mission de contacter ses patients âgés. La vaccination est venue à eux, et non l’inverse (comme en France).
Dans la plupart des 17 communautés autonomes (équivalent des régions françaises mais dotées de compétences sanitaires), les personnes les plus vulnérables ont donc été vaccinées, soit à domicile, soit dans les centres de santé locaux ou encore dans des locaux éphémères aménagés près des zones d’habitation. Une stratégie personnalisée qui a permis de toucher des octogénaires coupés d’Internet et incapables de prendre des rendez-vous en ligne. Ce parti pris a un coût : le gouvernement espagnol a alloué plus d’un milliard d’euros en 2021 aux soins communautaires dispensés par les régions.
À cette organisation locale et ultra-ciblée s’ajoute l’un des taux de confiance les plus élevés du continent envers la vaccination. Si l’on en croit une étude de l’Imperial College de Londres (à partir d’un panel de 5 000 citoyens espagnols questionnés entre mars et mai 2021), 78 % des personnes interrogées disent avoir confiance dans les vaccins contre le coronavirus. Sur quinze pays étudiés, ce pourcentage place l’Espagne au quatrième rang derrière le Royaume-Uni (87 %), Israël (83 %) et l’Italie (81 %), tandis que la France se classe au 13e rang.
Autre incitation : la violence de la première vague a convaincu beaucoup d’octogénaires espagnols de se faire vacciner. Le Covid-19 a en effet causé la mort de 45 684 personnes entre mars et mai 2020, dont près de 14 000 dans des maisons de retraite. À cette statistique s’ajoutent les patients qui ont été transférés à l’hôpital, où beaucoup sont morts également. Les images montrant des soldats de l’armée qui pénétraient dans les maisons de retraite pour les désinfecter et trouvaient des morts dans leur lit ont contribué à un traumatisme durable.
En Italie, des opérations spéciales sans réservation
Avec plus de 90 % de ses octogénaires dotés d’une couverture vaccinale complète, l’Italie est parvenue à récupérer son retard initial. Représentant près de 62 % des décès, les octogénaires sont ceux qui ont payé le plus lourd tribut de la pandémie. Dans le plan stratégique national pour les vaccins, le ministère de la santé les avait donc classés en catégorie 1, parmi les premiers à pouvoir recevoir le vaccin, aux côtés du personnel soignant, du personnel et des résidents des maisons de retraite, des 60-79 ans et des patients ayant au moins une comorbidité chronique.
Pourtant, à la fin du mois de mars dernier, seuls 19 % des 4,5 millions de plus de 80 ans avaient reçu les deux doses. Ce retard, très critiqué, a fortement varié selon les régions qui disposent, en Italie, d’une certaine autonomie en matière de santé.
En dépit des directives nationales, certaines ont décidé d’inclure vite d’autres catégories prioritaires pour accéder au vaccin. En Toscane, par exemple, plusieurs octogénaires ont écrit aux autorités régionales à la fin du mois de mars pour protester contre le retard de leurs vaccins, alors que des avocats, magistrats et professeurs étaient vaccinés avant eux.
Des situations similaires, impliquant d’autres catégories professionnelles, ont été relevées dans d’autres régions, tant et si bien que le président du Conseil, Mario Draghi, a dû faire un rappel à l’ordre : « Il est très difficile d’accepter ces différences qui persistent entre les régions. Certaines suivent les recommandations du ministère de la santé, d’autres négligent leurs personnes âgées au profit de groupes qui revendiquent d’être prioritaires probablement sur la base de leur force contractuelle. »
Si les modalités précises ont varié selon les régions, les plus de 80 ans avaient trois possibilités principales pour se faire vacciner : se rendre seuls dans les centres de vaccination, s’y faire accompagner par du personnel soignant ou se faire vacciner à domicile.
Pour prendre rendez-vous, des numéros verts et des plateformes dédiées ont été mis en place par les régions, voire en partenariat avec la poste afin de toucher le plus grand nombre. En Ligurie, les pharmacies ont été immédiatement associées à la campagne de vaccination alors qu’en Toscane les médecins généralistes ont été les premiers à signer un accord avec la région pour vacciner leurs patients octogénaires dans leurs cabinets médicaux. Quelques régions ont même décidé de fixer elles-mêmes les rendez-vous, en communiquant une date aux patients par lettre, courriel ou sms.
Pour accélérer le mouvement, certains retardataires, tels que la Sicile qui affichait en mai la plus mauvaise couverture vaccinale chez les plus de 80 ans, ont mis en place des opérations spéciales : journées « portes ouvertes » pour se vacciner sans réservation dans des lieux ad hoc, vaccination en « drive » sans descendre de sa voiture pour les personnes à mobilité réduite, ou encore des vaccinations de nuit dans certains centres.
Fin mai, pendant trois jours, une opération a même été lancée sous le slogan « Protège tes grands-parents et toi-même ! » : un vaccin sans réservation pour toute personne qui emmenait au centre une personne âgée, qu’il soit un ami, un voisin ou un membre de sa famille.
En Belgique, une franche confiance... côté flamand
Après un démarrage assez lent – dû au manque de doses –, la campagne de vaccination des personnes âgées a dépassé les attentes. 90 % des plus de 85 ans et 93 % des 75-84 ans ont reçu leur première dose. 91 % de cette dernière catégorie sont totalement vaccinés.
De janvier à mars 2021, les résidents des maisons de repos et de soins (équivalent des Ehpad) et les personnels soignants ont été les premiers à accéder à la vaccination. Les premiers, marqués par les très nombreux décès en maisons de retraite, se sont rués vers les aiguilles. À partir de mars, la vaccination a été élargie aux personnes de plus de 65 ans qui vivaient hors des institutions, avec priorité maintenue pour les plus âgées. Cette stratégie vaccinale a été décidée par les régions et le gouvernement fédéral au sein d’une « task force » vaccination.
Les chiffres belges, flatteurs, cachent tout de même des disparités régionales importantes. Si les personnes âgées de Flandre ont massivement adhéré à la campagne (avec une première dose inoculée à 94 % des plus de 85 ans), ce chiffre descend à 85 % en Wallonie et à Bruxelles (où ils sont 82 % à avoir reçu leur première dose dans cette tranche d’âge).
Ces écarts reflètent en partie les divergences – sociales, culturelles, sociologiques – entre le nord et le sud du pays. Selon Yvon Englert, délégué général Covid pour la région wallonne et ancien recteur de l’Université libre de Bruxelles, la « culture plus germanique des Flamands et leur forte confiance en la santé publique ont facilité l’adhésion et la confiance ». Côté francophone, l’hésitation vaccinale est plus ancrée. Le baromètre de l’hésitation vaccinale le confirme.
Dans sa dernière mouture, de mai 2021, on voit que 38 % des francophones qui n’étaient pas encore vaccinés affirmaient, par principe, refuser la vaccination contre 16 % des Flamands.
Christopher Barzal, porte-parole de la task force fédérale vaccination, évoque la « porosité de l’opinion francophone aux débats venus de France », et pointe notamment l’influence des mouvements « anti-vax » d’outre-Quiévrain qui sont tout à fait absents en Flandre. « Cela peut générer de l’hésitation », confirme Yvon Englert.
En avril, la région wallonne avait lancé son opération « Re-vax 80+ » car 25 % des plus de 80 ans n’avaient pas pris rendez-vous pour leur vaccin. « Il s’agissait de donner une deuxième chance, ajoute Yvon Englert. Avec le temps, les gens se sont rendu compte de l’efficacité du vaccin. Ils ont vu la réduction spectaculaire du nombre de morts, ça les a convaincus. »
À cela s’ajoutent de fortes disparités sociales. Particulièrement à Bruxelles, région la plus pauvre du pays avec 27,8 % d’habitants à risque de pauvreté monétaire contre 14,1 % dans l’ensemble du pays. « Il existe un public qui a moins accès aux soins, détaille Fatima Boudjaoui, chargée de communication au sein de la région bruxelloise. Environ un quart des habitants de Bruxelles n’a pas de médecin généraliste par exemple. De manière générale, les publics les plus précaires sont les moins enclins à se faire soigner. » Des campagnes de sensibilisation ciblées ont donc été mises en place, en Wallonie comme à Bruxelles, en s’appuyant sur des relais au sein des communautés.
Irene Casado, Cécile Debarge et Cédric Vallet