Le parti travailliste anglais n’en finit plus de se fracturer. Samedi 14 août, sur Twitter, le réalisateur Ken Loach, proche de l’aile gauche, a annoncé s’être fait exclure du parti. « La direction du Labour a fini par décider que je ne suis pas apte à être membre de leur parti car je ne veux pas désavouer ceux qui ont déjà été exclus », a tweeté le réalisateur de 85 ans. Et de s’insurger contre ce qu’il considère être « une chasse aux sorcières ».
“La direction du Labour a fini par décider que je ne suis pas apte à être membre de leur parti car je ne veux pas désavouer ceux qui ont déjà été exclus.” © Ken Loach & Sixteen Films
Le cinéaste deux fois palmé à Cannes était redevenu membre du parti depuis l’élection, à sa tête, de Jeremy Corbyn en 2015. Par le passé, Ken Loach avait déjà eu maille à partir avec son parti. Après 30 ans de militantisme, il avait une première fois quitté le Labour,en désaccord avec la ligne centriste de Tony Blair. Cette fois, c’est la direction du parti qui l’a poussé vers la sortie ; selon Loach, en raison de son soutien trop prononcé à Jeremy Corbyn et ses proches.
Figure d’une aile gauche de rupture, Corbyn n’a cessé d’être contesté par les cadres centristes du parti dès le début de son premier mandat en 2015. Au-delà de sa ligne clairement à gauche, ils lui reprochent sa gestion trop laxiste de cas avérés d’antisémitisme au sein du parti. L’affaire, que les médias britanniques ont documentée tout au long de ces dernières années, a fortement pesé sur la campagne des législatives de 2019, qui ont abouti au triomphe de Boris Johnson.
Jeremy Corbyn avait lui-même fini par être suspendu du parti pendant 19 jours, en octobre et novembre 2020. La suspension spectaculaire de l’ancien leader, qui a depuis perdu son siège de député, intervenait après la publication d’un rapport interne condamnant fermement l’attitude de la direction du parti et son « manque de volonté » face à l’antisémitisme. Jeremy Corbyn avait publiquement remis en cause les conclusions de ce rapport, ce que les dirigeants du parti avaient considéré comme une manière de minimiser la gravité des déclarations antisémites par des membres du parti.
Depuis cet épisode, les soutiens de « Jeremy », dont Ken Loach, estiment que le parti s’adonne à une « purge » en règle. Après son élection à la tête du Labouren avril 2020, Keir Starmer, déterminé à tourner la page Corbyn, s’était engagé à ne plus laisser passer d’éventuels propos antisémites. Le réalisateur estime, de son côté, que cela permet surtout aux centristes de mettre au ban l’aile gauche autour de Corbyn. « Je suis fier de me tenir aux côtés de mes bons amis et de mes camarades victimes de la purge. Starmer et sa clique ne dirigeront jamais un parti du peuple », a encore estimé le cinéaste, dont les raisons exactes de son éviction ne sont pas encore connues.
Fin juillet, le comité exécutif national du parti avait ainsi exclu quatre groupes proches de l’ancien leader. Du côté de la direction du parti, on estime que ces groupes n’étaient pas « compatibles » avec les valeurs du parti. Parmi ces collectifs, le « réseau des travaillistes en exil », qui rassemble des membres du parti expulsés ou suspendus. Sous le coup de la décision, Norman Thomas, le fondateur de ce groupe, s’était alors emporté : « Il est admis que Starmer est assez pathétique lorsqu’il s’agit de combattre les conservateurs mais, par contre, il se démène pour attaquer ses propres membres. Il a détruit la démocratie au Labour pour se débarrasser des milliers de personnes qui l’ont rejoint après que Jeremy Corbyn est devenu leader. »
“Expulser un si bon socialiste qui a tant fait pour le socialisme est une honte. Les films de Ken ont mis au jour les inégalités de notre société, nous ont donné espoir et nous ont poussés à lutter. J’exprime ma solidarité envers mon ami et camarade.” John McDonnell, député travailliste proche de Jeremy Corbyn. © John McDonnell MP
Peu après l’annonce de son éviction, Ken Loach a reçu plusieurs soutiens, donc ceux de députés toujours membres du parti – John McDonnell, ex-bras droit de Corbyn, a parlé d’une « honte » –, mais aussi d’acteurs extérieurs à l’instar de Yánis Varoufákis, ancien ministre grec des finances : « Je viens d’apprendre que Keir Starmer a expulsé Ken Loach du parti travailliste. J’espère que c’est une fake news. Tout ce qu’il aura réussi à faire, c’est d’expulser l’âme du parti travailliste, laissant un parti aride et sans âme, qui est encore plus pauvre que sous Blair et ses amis criminels de guerre. » Pour l’heure, la direction du parti, elle, reste silencieuse.
Depuis cinquante ans, Loach mène de front son engagement militant à gauche et sa carrière de cinéaste. Après la Palme d’or en 2006 pour Le Vent se lève, et une deuxième palme en 2016 pour Moi, Daniel Blake, ou encore un film documentaire sur les dockers de Liverpool, le réalisateur s’est fait remarquer pour Sorry we missed you, récit mettant en scène les dérives de l’ubérisation qui avait été soutenu par de nombreux collectifs de coursiers, y compris en France, comme nous le racontions en octobre 2019.
La rédaction de Mediapart