Quand la chaleur frappe Jacobabad au plus fort de l’été, la ville se replie sur elle-même comme pour se protéger d’une attaque. La température peut atteindre 52 °C. Les rues sont désertes et les habitants s’installent du mieux qu’ils peuvent en attendant que ça passe.
L’hôpital se remplit de cas d’hyperthermie, des personnes qui ont dû s’aventurer dehors pour gagner leur vie. “Quand il fait chaud comme ça, on ne peut même pas rester debout”, explique Zamir Alam, un habitant. “C’est très, très difficile quand on dépasse 50 °C. Les gens ne sortent pas de chez eux et les rues sont vides”, ajoute Abdul Baqi, un commerçant.
Un endroit vulnérable au réchauffement climatique
Il y a longtemps que cette ville de 200 000 habitants de la province du Sind, au Pakistan, est connue pour ses températures torrides, mais une étude scientifique vient de lui conférer une distinction dont elle se serait bien passé : un mélange de chaleur et d’humidité en fait l’un des deux endroits du monde à avoir officiellement franchi, bien que brièvement, un seuil de température plus chaud que ce que le corps humain peut supporter.
Cette région, le long de la vallée de l’Indus, est considérée comme l’un des endroits les plus vulnérables au réchauffement climatique. On craint que les températures de Jacobabad n’augmentent encore et que d’autres villes se joignent au club.
“La vallée de l’Indus n’est pas loin d’être le site no 1 dans le monde”, confie [le climatologue] Tom Matthews, de l’université de Loughborough.
Quand on regarde certains points inquiétants – approvisionnement en eau, extrême chaleur –, c’est vraiment l’épicentre.
Le corps ne peut plus se rafraîchir
Tom Matthews et ses collègues ont analysé les données de stations météorologiques du monde entier l’année dernière. Ils ont constaté que Jacobabad et Ras Al-Khaimah, au nord deDubaï, dans les Émirats arabes unis, avaient temporairement franchi le seuil mortel, et ce des décennies avant les prévisions des modèles de changement climatique.
Les chercheurs ont étudié ce qu’on appelle les températures humides – celles prises par un thermomètre recouvert d’un linge mouillé. Les températures humides sont bien plus faibles que les températures sèches classiques. Par une température humide de 35 °C, le corps ne peut plus se rafraîchir par la transpiration, une situation qui peut être fatale en quelques heures, même pour les personnes les plus en forme.
“La température humide donne une idée de la chaleur ressentie par les humains. Nous nous rafraîchissons par la transpiration, explique le climatologue. C’est notre seuil moyen. Avec cette mesure, il y a deux régions qui ressortent : les côtes du golfe Arabo-Persique et la vallée de l’Indus, au Pakistan. Elles sont vraiment exceptionnelles.”
Un seuil mortel dépassé plusieurs fois
Jacobabad a franchi le seuil des 35 °C de température humide en juillet 1987, puis en juin 2005, juin 2010 et juillet 2012. Cela n’a peut-être duré que quelques heures, mais on y a enregistré une température moyenne sur trois jours autour de 34 °C en juin 2010, juin 2001 et juillet 2012.
Les registres des décès étant lacunaires, on ne peut déterminer si cela s’est traduit par un pic de mortalité. Les effets d’une entrée dans la zone de danger sont probablement atténués, par exemple par le fait que l’intérieur des bâtiments est plus frais et protège temporairement les habitant du pire. Et tout dépend aussi de la durée pendant laquelle le seuil est dépassé.
La notion de températures insupportables évoque peut-être des images de déserts comme la Vallée de la Mort [aux États-Unis], mais Jacobabad est un centre agricole parcouru de canaux d’irrigation. Située dans la zone de production du riz du Sind, la ville tire son nom de John Jacob, un général et administrateur colonial britannique oublié depuis longtemps. La région se trouve sur le tropique du Cancer, ce qui signifie que le soleil y est proche de la verticale pendant l’été. Les vents apportent un air déjà chaud et humide de la mer d’Arabie, et l’air se fait plus lourd au fur et à mesure qu’il remonte la vallée.
Ventilateurs et blocs de glace
Certaines parties du marché de la ville sont spécialisées dans les moyens de se rafraîchir. On y trouve des ventilateurs électriques et des appareils assez basiques de la taille d’une machine à laver qui émettent une brume rafraîchissante.
De fréquentes coupures d’électricité nuisent cependant à l’efficacité des solutions électriques. Les habitants du centre sont souvent privés de courant pendant trois à quatre heures, ceux des zones plus éloignées pendant plus longtemps. Certains font appel à l’énergie solaire, mais à 36 livres [42 euros] le panneau, c’est trop cher pour beaucoup de gens. Sinon, il y a des batteries chinoises bon marché. “Tout le monde a besoin d’électricité ici. Ce n’est pas pour la télévision, c’est pour rester au frais”, précise Mohammad Iqbal, un marchand d’appareils électriques.
La glace est également très prisée. Plusieurs usines en fabriquent des blocs énormes, lesquels sont découpés en morceaux et vendus sur des étals. En dernier recours, il y a l’éventail, ou le seau d’eau qu’on se verse sur la tête.
Une menace pour l’eau et l’agriculture
“Les gens sont habitués, ils ont développé une résistance”, déclare un fonctionnaire en haussant les épaules. La chaleur n’est que l’un des nombreux problèmes auxquels la population est confrontée. L’augmentation des prix provoque des ravages, on manque d’eau potable et l’eau de la ville est saumâtre.
Selon une étude réalisée par la Banque mondiale en 2018, le dérèglement climatique risque de dégrader fortement les conditions de vie de centaines de millions de personnes dans le sud de l’Asie. La chaleur torride s’accompagne de printemps de plus en plus précoces, courts et chauds, et les agriculteurs pakistanais ont du mal à s’adapter. La chaleur assèche les terres et fait mûrir les fruits et les légumes plus tôt, si bien qu’ils sont plus petits et rapportent moins.
L’élévation des températures et la modification des précipitations provoqueront des difficultés en matière d’agriculture, d’irrigation, de santé et d’emploi qui affecteront gravement la qualité de la vie d’ici à 2050 dans certaines parties de l’Inde, du Pakistan et du Bangladesh.
Les habitants de Jacobabad sentent bien que la température s’élève, mais ils n’ont pas grand choix. “Les gens voient bien que la chaleur ne cesse d’augmenter, mais ils sont pauvres. Ils ne peuvent aller nulle part, ils ne peuvent pas partir de chez eux, déclare Zahid Hussain, un commerçant du marché. Moi-même, j’ai songé à partir mais je n’ai jamais réussi à me décider.”
Ben Farmer
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