Le président épidémiologiste : c’est ainsi que son entourage aime à présenter Emmanuel Macron. Devant les Français, le chef de l’Etat n’hésite pas à utiliser courbes et graphiques pour rationaliser sa réponse sanitaire. Dès lors, une question se pose : comment, plus d’un an après le premier confinement national, Emmanuel Macron se retrouve-t-il à nouveau au pied du mur, rattrapé par ce qu’il estime être une « nouvelle épidémie » ? Pourtant, les – vrais – épidémiologistes avaient vu venir ce variant anglais depuis le mois de janvier.
En réalité, ce n’est pas la première fois que l’exécutif fait preuve d’une lecture erronée de la science, souvent pour mieux cacher des choix éminemment politiques. Dès le mois de mars 2020, en quarante-huit heures, Emmanuel Macron prend la décision de maintenir le premier tour de l’élection municipale, puis celle de mettre le pays sous cloche, argumentant l’une et l’autre sur le fondement de données scientifiques identiques. On se souvient de la polémique sur les masques, d’abord jugés inutiles puis indispensables, y compris en plein air dans les centres-villes (on l’a compris un peu plus tard, derrière ce discours changeant se cachait une pénurie de masques de grande ampleur).
Confusion
Le 18 mars, le premier ministre explique vouloir encourager les citoyens à sortir de chez eux dans la mesure où la science aurait soudain découvert « qu’on se contamine infiniment moins quand on se promène en plein air qu’en étant regroupé sans masque à l’intérieur ». Or, la science sait cela depuis longtemps. Ce ne sont pas les données qui ont évolué, mais la stratégie de nos administrateurs, lesquels ont pris tout à coup la mesure de la souffrance psychologique, en particulier pour les habitants des grandes villes, de rester cloîtré dans des logements exigus.
Ces contradictions successives en disent finalement long sur la confusion que l’exécutif entretient autour du rôle de la science à éclairer ses décisions politiques. En particulier, Emmanuel Macron semble confondre ce qui relève de la connaissance et ce qui relève de la recherche.
La connaissance constitue la partie visible de la science. Elle regroupe toutes les affirmations scientifiques qui, sur le fondement de faits et de démonstrations transparentes, ont abouti à un consensus difficilement ébranlable. Par exemple, il n’est plus possible de soutenir la théorie de la Terre plate puisqu’une simple photographie de notre planète prise de l’espace suffit à confirmer sa rotondité. Cette science présentée sous sa forme finie, achevée, est aussi celle qui nous est la plus familière.
Les modèles de prévision de l’évolution du virus sont construits à partir de connaissances partielles et de données évolutives
En revanche, nous sommes moins habitués à voir la science se faire. Or, c’est dans cette catégorie – la recherche – que la science du coronavirus se trouve encore aujourd’hui. Beaucoup de chercheurs continuent de travailler pour comprendre l’origine du virus, sa structure et ses modes de transmission, dans l’espoir qu’un jour leurs travaux fassent consensus et basculent dans le domaine du savoir. En l’occurrence, les modèles de prévision de l’évolution du virus sont construits à partir de connaissances partielles et de données évolutives. C’est donc le rôle des politiques d’agir en conséquence et d’assumer leurs choix. En ce sens, la récente attaque du président Macron contre les épidémiologistes, dont les modèles n’auraient pas prévu l’évolution du variant anglais – en réalité, leurs prévisions se sont révélées correctes –, est absurde, puisque les chercheurs se sont contentés de faire leur travail.
Difficulté à expliquer
Pour autant, disposer d’informations scientifiques certaines et démontrées ne dispense pas les décideurs de faire des choix qui leur sont propres. Bien souvent, en effet, plusieurs chemins permettent d’atteindre un même objectif. Un modèle mathématique éprouvé pourra donner deux itinéraires tout aussi rapides pour se rendre de Paris à Lyon, l’un passant par Dijon, l’autre traversant la ville d’Auxerre. A la fin, c’est à nous que reviendra la décision d’emprunter un itinéraire plutôt qu’un autre. En cas de mauvais choix, il ne viendrait à l’idée de personne d’en vouloir à l’appareil de navigation GPS.
Enfin, il arrive que la science soit mise au service d’objectifs multiples. Selon que l’on souhaite privilégier l’économie, la santé, l’éducation, la liberté ou le principe d’égalité, il est possible d’aboutir à des décisions diamétralement opposées tout en conservant une démarche rationnelle. Si nous avions répondu exclusivement à une logique sanitaire, le pays aurait été encore plus loin dans les privations de liberté et la limitation des interactions entre les personnes, y compris au sein des foyers. Là encore, la science ne porte aucune responsabilité dans les objectifs que se fixent les décideurs pour le pays.
La science a toujours assuré sa fonction en permettant au politique de prendre les décisions les plus informées
Cette difficulté du pouvoir à comprendre et expliquer la démarche scientifique a déjà laissé des marques. Chacun a le sentiment, à des degrés divers, que la science a été défaillante, a hésité, ou s’est contredite. En réalité, la science a toujours assuré sa fonction en permettant au politique de prendre les décisions les plus informées. Mais en se cachant derrière elle pour gérer la crise sanitaire ou, au contraire, en la dénigrant sans fondement, l’exécutif n’a cessé de vouloir s’exempter de son rôle de décideur. Assumer de faire des raisonnements et des choix politiques est sans doute le plus grand service qu’il pourrait rendre à la science. Il n’est pas trop tard.
Raphaël Chevrier (Docteur en physique)