Du 24 au 26 août, les chefs d’Etat et de gouvernement du G7 se réuniront à Biarritz. Ils discuteront des grands problèmes économiques, militaires et politiques du moment. Mais auront-ils une minute pour parler du combat que mène depuis deux mois la population de Hongkong pour défendre son identité ? A en juger par le silence assourdissant, notamment de l’Europe, qui accueille ces événements, cela n’est guère probable. Pourtant, le combat mené par la population de la Région administrative spéciale est un combat pour la liberté et la démocratie que les Sept sont censés défendre.
Hongkong est, de plus, l’une des principales places financières de la planète. Abritant le siège de milliers de compagnies occidentales et multinationales, elle est reconnue comme territoire douanier autonome et dispose d’une représentation autonome dans de nombreuses organisations de l’ONU. Depuis son retour dans le giron de la République populaire de Chine, en 1997, son gouvernement n’a cessé d’affirmer qu’elle est la « ville-monde d’Asie », classée chaque année comme l’une des économies les plus libres, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes puisqu’elle appartient à un pays dirigé par un parti communiste.
Son statut d’autonomie est garanti par la déclaration conjointe sino-britannique signée en 1984 et déposée aux Nations-unies. En un mot, son sort concerne tous les pays du globe. Et pourtant, aucune voix ne s’est élevée pour soutenir la lutte des Hongkongais : le 9 juin, un million de manifestants sont descendus dans la rue pour réclamer pacifiquement le retrait d’une proposition de loi visant à extrader vers la Chine les « criminels » qu’elle réclame. Etant donné que les tribunaux chinois sont aux ordres du pouvoir de Pékin, ce projet a été considéré comme signifiant la fin de l’autonomie de Hongkong.
« Germes de terrorisme »
L’indépendance du pouvoir judiciaire, promise par la déclaration conjointe, est en effet le fondement des libertés qui y règnent. Malgré cette mobilisation extraordinaire, la chef de l’exécutif nommée par Pékin n’a pas retiré son projet. Ce n’est qu’à la suite de l’occupation du Legco, le parlement local, par des manifestants, qu’elle a décidé de le suspendre. Une nouvelle manifestation a rassemblé 2 millions de personnes (sur une population de 7,5 millions) qui ont réaffirmé leur demande de retrait du projet ainsi que la création d’une commission d’enquête indépendante sur les violences policières.
Depuis, des manifestations regroupant plusieurs dizaines de milliers de personnes se sont déroulées tous les week-ends, émaillées de violences surtout commises par la police. Aucune vitrine n’a été brisée, aucun pillage n’est à déplorer. Aujourd’hui, outre les deux revendications ci-dessus, les manifestants réclament les élections au suffrage universel du chef de l’exécutif et du parlement local, qui avaient été promises par la Chine.
Les autorités ont dénoncé les « violences des éléments radicalisés », le gouvernement chinois, par la voix de son responsable du bureau des affaires de Hongkong et Macao a, dans une conférence de presse sans précédent depuis 1997, dénoncé des « germes de terrorisme », et a demandé à la police et aux tribunaux hongkongais d’arrêter et de condamner sévèrement les « auteurs de violence ». Mais, surtout, le gouvernement de Pékin et à sa suite celui de Hongkong refusent catégoriquement d’entamer des discussions avec les protestataires.
Sauvegarder les libertés fondamentales
Le pouvoir chinois a diffusé des images de la police armée populaire réprimant des manifestations violentes à la fois pour intimider les protestataires et pour tester les réactions de la communauté internationale. Les seules ont été celles de Donald Trump qui, après avoir tweeté qu’il s’agissait d’une affaire intérieure chinoise et que la Chine viendrait à bout des émeutiers sans violence, a réaffirmé sa confiance en Xi Jinping, « un homme qu’[il] aime beaucoup ». Quant à la France, elle a fait savoir que le président Macron suivait la situation. C’est un peu court…
Où, dans le monde actuel, voit-on une population entière descendre dans la rue pour réclamer la démocratie sans craindre l’armée de la deuxième puissance mondiale ?
Dimanche 18 août, plus de deux mois après la première manifestation, 1,7 million de personnes sont descendues dans la rue malgré des pluies torrentielles. Les habitants de la ville-monde se battent pour sauvegarder les libertés fondamentales que le parti communiste s’était engagé à respecter pendant au moins cinquante ans. Sans violence, sans pillage, mais sans que leur gouvernement leur réponde.
Leur détermination pourrait faire reculer un pouvoir de plus en plus arrogant qui cherche à changer les règles du jeu international. Ils demandent le soutien des démocraties du monde développé. Laissera-t-on la Chine de Xi Jinping, qui a enfermé des centaines de milliers de Ouïgours et de Kazakhs dans des camps de rééducation, qui interdit aux dissidents de choisir leur avocat, qui réprime la société civile naissante en Chine, écraser cette révolte pacifique ?
Où, dans le monde actuel, voit-on une population entière descendre dans la rue pour réclamer la démocratie sans craindre l’armée de la deuxième puissance mondiale ? Si les dirigeants du G7 se taisent devant les menaces proférées par les dirigeants de Pékin, qui osera encore se battre pour les valeurs fondamentales établies par les Lumières ? Il y a deux ans, les dirigeants du G20 se sont tus alors que le Prix Nobel de la paix 2010, Liu Xiaobo, agonisait dans un hôpital-prison à Shenyang. Ceux du G7 réuni à Biarritz, au pays de la Déclaration des droits de l’homme, réitéreront-ils cette lâcheté ?
Jean-Philippe Béja (Directeur de recherche émérite au CNRS, spécialiste de la vie politique en Chine et à Hongkong)