Loin de discuter le bien-fondé de la campagne pour la “prospérité commune” de Xi Jinping, les économistes fournissent leurs considérations chiffrées sur les inégalités, et ébauchent des avis sur les meilleures manières de les résoudre.
“Lors d’un séminaire des hauts dirigeants, il a été demandé que l’on renforce l’encadrement des hauts revenus, que les revenus légaux soient garantis, que les revenus élevés soient ajustés équitablement, et que les personnes et entreprises disposant de hauts revenus en fassent profiter la société”, rapporte Cai Weiming, ancien journaliste et chroniqueur, sur la plateforme de blogs du site économique Caixin Wang. Alors, qu’est-ce qu’un “haut revenu”, questionne-t-il ?
En 2006, le fisc considérait que les individus gagnant plus 120 000 yuans par an pouvaient être considérés comme disposant d’un haut revenu, mais aujourd’hui il s’agit d’un niveau de classe moyenne, dit l’auteur [1 yuan = 0,13 euro]. En 2019, le Bureau des statistiques indiquait qu’un revenu moyennement élevé était celui d’un foyer de trois personnes disposant de 100 000 à 500 000 yuans [13 000 à 65 000 euros] annuellement. “D’où l’on déduit qu’au-dessus de 500 000 yuans, le revenu peut être considéré comme élevé. Mais d’autres experts estiment qu’un haut revenu est celui qui équivaut à trois fois le revenu moyen d’un lieu donné”, remarque Cai.
“Ça, c’est un revenu trop élevé”
L’économiste continue en citant le rapport sur le patrimoine 2021, qui indique que, en 2020, 2,62 millions de Chinois disposaient de plus de 10 millions de yuans [1,3 million d’euros] à investir. Le rapport Hurun indique que 1 058 Chinois possèdent aujourd’hui au moins un milliard de dollars américains [850 millions d’euros]. “Toutes ces personnes sont sans aucun doute des personnes à revenu ‘trop élevé’”, écrit l’auteur, qui rappelle qu’“environ 600 millions de personnes ne gagneraient qu’un millier de yuans par mois”. Il poursuit :
“Qu’est-ce qu’un ajustement raisonnable ? L’on préconise ici ou là des donations, mais les riches soulignent que cela doit être volontaire. Aussi je préconise que cet ajustement passe par l’impôt.”
Du côté des grandes entreprises, le message a toutefois été entendu. Le 2 septembre, le géant de la technologie Alibaba a annoncé son intention d’investir 100 milliards de yuans dans une dizaine d’opérations de lutte contre la pauvreté, une enveloppe portée à 1 000 milliards d’ici à 2025, selon le site Zhongguo Xinwen Wang. La somme, réunie dans une structure spécialement créée, servira entre autres à des opérations de développement d’entreprise et de soutien à l’éducation et à l’emploi. Plusieurs mastodontes de la technologie, clairement visés par cette campagne, ont annoncé leur intention de mettre la main au portefeuille.
La presse officielle chinoise, comme le journal Xinhua Meiri Dianxun, a beau élaborer un discours positif détaillant “les démarches de philanthropie qui promeuvent la prospérité commune” dans les régions pauvres, ce sont les relations entre les inégalités et le système fiscal qui sont débattues par les économistes.
Augmenter l’impôt direct, la seule solution
Le quotidien économique taïwanais Chingchi Jihpao cite ainsi le professeur d’économie de l’université du Zhejiang, Li Shi, spécialiste de la question des inégalités, selon lequel celles-ci ont continué de se creuser en Chine au cours des cinq dernières années. Cela serait, selon le professeur, imputable “à la montée en puissance des secteurs des hautes technologies et de la finance, peu rééquilibrée par le système fiscal”. C’est pourquoi il estime que la “prospérité commune” doit être recherchée à travers l’imposition des riches, mais aussi par un investissement plus fort en direction des milieux ruraux et à bas revenus.
Selon Li, la Chine fait partie des 20 % de pays au monde où les inégalités sont les plus fortes, avec un revenu urbain moyen équivalant à 2,5 fois le revenu rural moyen. Or l’impôt ne rééquilibre pas cette situation : les revenus de l’impôt indirect représentent les deux tiers du revenu fiscal de l’État, et l’impôt direct, un tiers seulement, soit une répartition inverse de ce que l’on trouve dans les pays développés, souligne Li. “Li Shi estime que pour rééquilibrer les revenus, le gouvernement doit augmenter l’impôt direct, en particulier l’impôt sur le revenu, l’impôt foncier et l’impôt sur les successions”, note le journal.
Agnès Gaudu
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