Depuis qu’un groupe d’insurgés a envahi le Capitole le 6 janvier, on entend souvent dire que ces émeutes ont clos un chapitre de l’histoire américaine. Désormais, les plus grands ennemis des États-Unis ne sont plus étrangers – un euphémisme utilisé pour désigner les musulmans – mais nationaux – autre euphémisme qui désigne des citoyens américains d’extrême droite, Blancs pour la plupart. “L’ère post-11 Septembre, durant laquelle les principales menaces pour notre sécurité venaient de l’extérieur, est derrière nous”, affirme Elissa Slotkin, élue démocrate du Michigan, qui a travaillé pour la CIA et le Pentagone.
Mais les émeutes du 6 janvier sont moins la fin d’un cycle, commencé le 11 Septembre, qu’une émanation de cette époque.
Depuis que leur gouvernement a déclaré la guerre au terrorisme, les Américains blancs ont pris l’habitude de se considérer comme des combattants antiterroristes. Des États du Nord comme le Michigan, jusqu’à la frontière mexicaine, les Américains blancs d’extrême droite peuvent former des milices armées sans véritablement risquer de représailles judiciaires. C’est cette impunité qui a notamment conduit les membres d’une milice du Kansas, baptisée “Les Croisés”, à programmer en 2016 l’assassinat d’Américains d’origine somalienne vivant dans une ville voisine. Dans le dossier judiciaire – pour une fois, l’affaire a débouché sur une plainte au pénal –, on apprend qu’un membre de cette organisation au nom évocateur avait un jour déclaré : “Si vous sortez votre arc pour attaquer ces cafards, n’oubliez pas de tremper les flèches dans du sang de cochon avant de leur tirer dessus.” Ces individus étaient persuadés de remplir la même mission que les États-Unis : la lutte contre le terrorisme. Étant patriotes, ils ne pouvaient pas eux-mêmes être des terroristes.
“Nous sommes en guerre”
Lorsque les interventions américaines à l’étranger ont viré au désastre, la frange de l’extrême droite qui a ensuite rejoint le mouvement Make America Great Again [Maga] de Donald Trump s’est désintéressée des conflits eux-mêmes, au profit de la violence civilisationnelle. De nombreux partisans du Maga ont ainsi salué les déclarations de Donald Trump lorsqu’il a annoncé, en pleine campagne présidentielle, qu’il allait “envoyer des putains de bombes” sur l’État islamique, et demandé que l’accès aux États-Unis soit interdit aux musulmans. Donald Trump et ses alliés accusaient les patrons de l’armée et des renseignements d’être trop tendres avec les musulmans et en phase avec Barack Obama, qui, d’après Trump, était lui-même un musulman dissimulant sa foi.
“Nous sommes les vétérans de l’armée !” scandait un manifestant lors des échauffourées avec la police de Washington qui ont précédé l’assaut du Capitole. Ces slogans montrent clairement la perception que les insurgés avaient d’eux-mêmes. “Nous sommes en guerre”, aurait pour sa part déclaré une professeure de yoga californienne qui a participé à l’assaut.
L’impunité des politiques
Les répercussions du 11 Septembre transparaissent aussi dans la réaction du gouvernement Biden [aux émeutes] du 6 janvier. Quelques jours après les événements, Michael Sherwin, alors procureur fédéral par intérim de Washington, a annoncé que les meneurs des émeutes risquaient d’être poursuivis pour “sédition et association de malfaiteurs”. Or, si la plupart des émeutiers ont envahi le Capitole, c’est uniquement parce que Donald Trump leur a demandé de le faire. Peu d’entre eux se seraient mobilisés pour renverser l’élection si certains élus républicains n’avaient pas prétendu qu’on leur avait volé la victoire. Mais la justice n’a pas retenu la complicité de Donald Trump, même sans le mettre en examen. Les juges ont préféré inculper ceux qui ont répondu à l’appel plutôt que ceux qui en étaient à l’origine. L’impunité des élites, élément incontournable de la guerre contre le terrorisme, mais aussi de l’histoire des États-Unis, l’a emporté sur la défense de la démocratie.
Le Congrès a refusé de recourir au 14e amendement pour destituer ses membres ayant encouragé et applaudi les émeutes, tels que Josh Hawley, le sénateur du Missouri, qui a salué la foule qui marchait sur le Capitole [le 14e amendement de la Constitution rend inéligibles les citoyens ayant pris part à une rébellion ou aidé ses instigateurs]. Huit mois plus tard, il n’y a toujours aucune réponse politique à cette insurrection. La seule réaction fut une riposte sécuritaire, dirigée contre les émeutiers. Les États-Unis auraient pourtant dû apprendre une chose de leur guerre contre le terrorisme : il ne sert à rien de répondre aux problèmes politiques par des mesures sécuritaires.
Une nouvelle extension de la surveillance en vue
Désormais, le gouvernement Biden, les législateurs démocrates et les services de renseignement cherchent à déterminer jusqu’où étendre les pouvoirs du FBI pour lutter contre “l’extrémisme national”. En février, un membre haut placé du ministère de la Justice a affirmé que l’absence d’une loi sur le terrorisme national ne devait pas être perçue comme un obstacle insurmontable à la généralisation de la surveillance et des poursuites pénales. En effet, selon lui, d’autres définitions juridiques du terrorisme “confèrent de nombreux pouvoirs [à la justice et aux forces de l’ordre]”. La députée Elissa Slotkin, elle, prône l’extension des compétences du ministère de la Sécurité intérieure en matière de surveillance des extrémistes nationaux. En mars, lors d’une audience à la Chambre des représentants, elle a répété que l’ère post-11 Septembre était révolue, tout en proposant d’élargir le champ d’action du ministère de la Sécurité intérieure – une réaction typique de l’ère post-11 Septembre.
“Je ne suis pas un terroriste”, martèle Adam Newbold. Dans une vidéo publiée [sur Facebook], cet ancien membre des forces spéciales de la marine raconte avoir participé à l’invasion du Capitole. La guerre contre le terrorisme l’a conduit à croire qu’il était impossible, par définition, qu’il soit lui-même un terroriste. Pourtant, aux États-Unis, le terrorisme le plus tenace est celui des Blancs. Et ce n’est pas une guerre qui permettra d’endiguer cette violence, mais un combat politique sans relâche. Il nous faut une mobilisation citoyenne, organisée, pour destituer les alliés politiques des insurgés, mettre un terme aux manifestations structurelles de la suprématie des Blancs, comme les mesures visant à dissuader les personnes de voter [notamment celles issues des minorités] et défaire l’architecture institutionnelle de la guerre contre le terrorisme, avant qu’elle ne mette davantage en péril la vie et la liberté des Américains.
Spencer Ackerman
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