Cette grève s’était certes limitée à trois épisodes : deux fois deux jours en août, une fois cinq jours plus récemment, qui ont néanmoins chaque fois et spectaculairement paralysé le trafic et donné des sueurs froides au monde de la bourgeoisie ; qui ont aussi perturbé le ronron de la campagne électorale des législatives du 26 septembre prochain, qui doit décider de la succession à Angela Merkel au poste de chancelier/chancelière.
La grève, l’arme des travailleurs
La grève a eu lieu sur fond de négociations dites « tarifaires » en Allemagne, c’est-à-dire d’une renégociation de convention collective, menée dans un huis clos de plusieurs mois entre patrons de la DB et un syndicat, surtout de personnels roulants, comptant près de 40 000 adhérents. C’est ce dernier qui a appelé à la grève, le gros syndicat des transports, EVG (comptant cinq fois plus d’adhérents), étant resté hors du coup, s’illustrant même préalablement par une « Alliance pour le rail » passée avec la direction, genre d’engagement à ne pas faire grève !
En toile de fond de ce conflit se jouait donc une rivalité entre enseignes syndicales, les faveurs de la Deutsche Bahn allant au syndicat le plus important et le moins combatif : partie perdue. Force est revenue à la grève et aux cheminots qui l’ont menée et ont eu raison de la rage des dirigeants de la DB (qui a entamé des procédures judiciaires contre la grève) comme de la pleutrerie du syndicat collaborationniste, affilié à la confédération DGB.
La négociation, le joujou des directions syndicales
Ce qui ne veut pas dire que le GDL, dont le dirigeant est membre du parti conservateur CDU, ne soit pas lui aussi féru de marchandages avec les patrons, qu’il appuie par la grève à l’occasion. Cette fois, la colère des cheminots couvant depuis des mois, en donnait l’occasion.
Sauf rebondissement, le conflit se termine néanmoins par un compromis en demi-teinte. Il y aura une augmentation de salaire, bien limitée : 1,5 % à partir de décembre 2021, ce qui signifie qu’il n’y aura rien pour les mois passés, d’avril à novembre. L’accord court jusqu’à la fin du mois d’octobre 2023, soit près de deux ans et demi. En mars 2023 seulement, interviendra une nouvelle augmentation de 1,8 %. Compte tenu d’une inflation récente de 3,9 % en glissement annuel, les termes de l’accord représentent une perte de salaires réels. A voir si les cheminots s’inclineront et si les primes Corona de 600 et 400 euros, versées en décembre 2021 et en mars 2022 en lots de consolation – consoleront vraiment.
Il faut rappeler que le syndicat lui-même, avant la grève, en avait beaucoup rabattu sur les revendications salariales. Reste la retraite complémentaire (genre de régime spécial) qui sera maintenue aux cheminots actuellement en exercice, contrairement à ce que la DB souhaitait initialement. C’est à coup sûr un acquis de la grève, ce à quoi les cheminots tenaient le plus et qui était le moteur important de leur mouvement.
Ouverture sur les jours d’après…
Les jours qui viennent diront plus précisément quelles sont les réactions et appréciations des cheminots. Certains auraient volontiers poursuivi le bras de fer. L’accord passé ne soulève pas l’enthousiasme, mais pourtant la fierté d’avoir fait grève, la satisfaction d’avoir bousculé un monde patronal arrogant… et vite déstabilisé face à des travailleurs qui luttent. Domine le sentiment d’avoir changé l’atmosphère, dans bien des gares et des chantiers où ce conflit, même limité à quelques jours seulement, a été l’occasion de nombreuses discussions sur toutes les questions qui animent aujourd’hui le monde du travail.
Et très drôle, la façon dont l’EVG, syndicat le plus puissant des transports, antigrève, prend acte dans un communiqué de l’issue d’un conflit qu’il a combattu… constatant quelque peu piteusement qu’« il est clair que les fondements de l’ « Alliance pour le rail » [nouée entre ce syndicat et la direction ! Ndr] est rendue caduque par cet accord »…
Sabine Müller
• Publié le Samedi 18 septembre 2021 à 10h18 :
https://lanticapitaliste.org/actualite/international/greve-la-deutsche-bahn-le-syndicat-gdl-signe-la-fin-de-partie
Jours de grève à la Deutsche Bahn
Ce vendredi 3 septembre, des cheminots de la Deutsche Bahn [1] en sont au deuxième jour d’une nouvelle tranche de cinq jours de grève, jusqu’aux premières heures du mardi matin. Conflit démarré déjà en août et quelque peu spectaculaire, tant sont vides et déserts de nombreux quais de gares, malgré les efforts d’une direction de l’entreprise à cran pour revoir ses plans de transport.
Cette même direction a cherché à nouveau à faire interdire la grève, par une procédure de référé en justice, et, devant le refus du tribunal, annonce qu’elle porte l’affaire devant une juridiction supérieure. Ambiance ! Cette grève – certes plus forte dans l’est du pays où le syndicat qui y appelle compte le plus d’adhérents mais bien vivante ailleurs aussi, en particulier dans la Ruhr – fait l’actualité. Lui donne des couleurs « lutte de classe » dont elle a bien besoin pour rompre la médiocrité d’une campagne électorale législative nationale d’où devra sortir le nom de celui ou celle qui succèdera à Angela Merkel au poste de chancelier ou de chancelière. D’où devra sortir aussi la composition du cocktail de partis (ou coalition) qui formeront le prochain gouvernement.
En août, l’Allemagne avait déjà été secouée par deux épisodes de grève des roulants de la Deutsche Bahn. Chaque fois deux jours seulement, les 11 et 12 août et les 23 et 24 août, mais chaque fois une paralysie spectaculaire du trafic, du moins là où la direction du syndicat GDL (un syndicat corporatiste de roulants, très intégré au système comme le sont tous les appareils syndicaux, mais qui s’est distingué ces quinze dernières années par une politique de grèves bien suivies, tranchant sur l’inertie voire la collaboration de classe décomplexée du plus gros syndicat des transports EVG) [2].
En août, comme dans ce nouvel épisode de septembre, plus de 10 000 grévistes sont engagés, 90 % des trains supprimés dans diverses régions. D’un côté, une direction de la DB qui dénonce férocement l’irresponsabilité du syndicat ; de l’autre, des grévistes super déterminés qui estiment n’en être qu’à l’apéritif.
Grève, malgré le rétropédalage syndical
Depuis l’automne 2020, le mécontentement monte contre les faibles salaires, la baisse des effectifs, les sales conditions de travail et les menaces sur les retraites. Le tout avivé par les difficultés liées au covid. Des négociations ont été engagées entre direction et syndicats et au printemps, la grève devient une perspective. La direction du GDL a certainement espéré que la seule menace d’un conflit, et son propre choix d’en rabattre sur les revendications, feraient céder la direction. Plutôt qu’une augmentation de 4,8 % des salaires pour l’année, le GDL ne demande plus qu’une augmentation de 1,4 % cette année et 1,8 % l’année prochaine. Plutôt qu’une prime-corona de 1 300 euros, il n’avance plus qu’une prime de 600 euros. Le tout à conclure pour une durée de validité de 28 mois, durant lesquels rien ne peut être remis en question par une grève, « paix sociale » oblige. La direction de la DB n’a pas lâché pour autant, se flatte de « l’alliance du rail » qu’elle a nouée avec le syndicat majoritaire EVG et menace de faire appliquer une loi qui rendrait caduque toute convention négociée avec un syndicat minoritaire comme le GDL. Par référendum, les cheminotEs du GDL se sont néanmoins expriméEs au début août à 95 % pour la grève.
Pas question de « Nullrunde »
Les premiers épisodes du conflit ont été des succès. Des cheminotEs ont pu se rencontrer, discuter de leur mouvement, voire se joindre ponctuellement à des hospitalierEs en grève, à Berlin. L’envie d’en faire baver à la DB est là. Tandis que la hiérarchie se distribue des « bonus » salariaux, dont 10 % d’augmentation pour le PDG lui-même, il faudrait que les cheminotEs en restent à ce que les patrons allemands appellent « Nullrunde » – c’est-à-dire une augmentation zéro.
Le bras de fer continue donc. À Cologne le mardi 24 août, lors d’un meeting de grévistes de la Ruhr, le leader du GDL Weselsky a promis de « durcir la grève » : séquences de trois jours de grève au lieu de deux. Le scénario reste néanmoins à ce jour sous contrôle d’une direction syndicale qui a la main sur le frein.
Sabine Müller
• Hebdo L’Anticapitaliste - 580 (02/09/2021). Publié le Vendredi 3 septembre 2021 à 12h00 :
https://lanticapitaliste.org/actualite/international/jours-de-greve-la-deutsche-bahn