Nous devons nous rappeler le contexte actuel auquel sont confrontées les femmes et les différents secteurs de base qu’elles occupent. Nous savons déjà que l’administration Duterte a violé les droits des femmes non seulement par ses déclarations, mais aussi en mettant en œuvre des politiques d’oppression contre les agricultrices, les travailleuses, les pauvres vivant dans les villes et les peuples autochtones, ainsi que d’autres secteurs marginalisés. L’administration de Duterte a institutionnalisé un gouvernement patriarcal, autocratique, militariste, négligent et criminel, irresponsable envers le peuple. La police continue de tuer, les femmes étant la cible principale, également en tant qu’objets sexuels et biens.
Dans notre organisation, nous avons des cas de femmes qui ont été violées par la police. Les femmes sont exploitées sexuellement en échange de la permission de franchir les barrages établis lors du confinement pour tenter d’obtenir de la nourriture pendant la pandémie. Avant de pouvoir franchir ces barrages, elles sont violées par la police. En outre, il y a les facteurs aggravants des exécutions extrajudiciaires, qui sont une autre forme de violence contre les femmes. La guerre de Duterte contre la drogue a mobilisé la police dans les communautés urbaines pauvres et plus de 20 000 personnes ont été tuées. L’incompétence de Duterte dans la gestion de la santé a également alourdi le fardeau des femmes, les exposant à de plus grands risques.
Il existe des lois qui soutiennent l’expulsion forcée et la démolition des communautés pauvres. Depuis mars 2020, au plus fort de la pandémie, la démolition de maisons accable les communautés. En mars, cent vingt familles ont été expulsées de force de Pasay. En juillet de la même année, dans une autre province appelée Laguna, 300 familles ont vu leurs maisons démolies. En septembre, 800 familles ont été expulsées pour faire place à des projets du conseil municipal.
En outre, les communautés autochtones sont victimes de répression, d’abus et de violences engendrés par la guerre militarisée contre la drogue, par la guerre contre la pandémie et contre la pauvreté. Duterte appelle sa politique agressive de construction d’infrastructures « Construire, Construire, Construire » : voie de croissance économique qui viole les droits des peuples autochtones. Les lois mises en œuvre par ce gouvernement ont effectivement brutalisé et assassiné des dirigeants autochtones qui ont décidé de résister contre les offensives du développement représenté par l’exploitation minière, les plantations de monocultures, les barrages, les projets de production d’électricité, la conversion des terres, entre autres.
Les peuples autochtones sont attaqués comme des terroristes, ce qui inhibe la résistance, en particulier dans les zones rurales. L’Alliance des peuples de la Cordillère [Cordillera Peoples Alliance – CPA] a recensé l’exécution extrajudiciaire de 76 dirigeants autochtones. La commission gouvernementale des peuples autochtones n’a pas rempli son mandat et n’a pas représenté les intérêts des peuples autochtones, en particulier en ce qui concerne la région de la Cordillère, les archipels et la religion musulmane. La même commission est devenue le porte-parole du gouvernement de Duterte contre les peuples autochtones.
Les jeunes femmes sont confrontées à des enjeux spécifiques. Les cours en ligne et le besoin d’emploi face à la faim ont forcé les jeunes à quitter leurs communautés et à devenir victimes de la traite des êtres humains. Pendant ce temps, les femmes, qui jouent toujours le rôle stéréotypé de prendre soin de leur famille et de leur communauté, sont confrontées à des problèmes de santé et à des restrictions engendrées par des projets extractivistes destructeurs et par la pandémie.
Les travailleuses et travailleurs souffrent du climat d’impunité. Les assassinats et la criminalisation de syndicalistes, qualifiés de terroristes, ainsi que d’autres formes de répression contre les syndicats rendent illusoire toute affirmation selon laquelle il existe une liberté d’association aux Philippines. Il n’est pas surprenant que le pays soit considéré comme l’un des 10 pires pays pour les travailleuses et travailleurs, selon l’indice mondial des droits [Indice Mondial des Droits], dans le rapport annuel de la Confédération Syndicale Internationale [International Trade Union Confederation – ITUC]. Le régime Duterte n’a pas tenu sa promesse de mettre fin aux contrats de travail temporaire [1].
Les conditions de travail deviennent encore plus difficiles lorsque les employeurs sont autorisés à repasser aux travailleurs les risques qu’ils assumaient eux-mêmes auparavant, comme par exemple : équipements pour l’exercice d’une activité professionnelle ou couverture de la sécurité sociale. Comme d’autres secteurs, la population active a été livrée à elle-même durant la pandémie. Et cette difficulté est encore bien plus grande pour les migrants (appelés OFS – Overseas Filipino Workers, qui signifie travailleurs/ses philippins/ines à l’étranger), pour lesquels le gouvernement n’offre aucune alternative. Ces personnes ont été forcées de quitter les pays où elles vivaient et de retourner dans leur pays d’origine.
Les agricultrices et agriculteurs sont confrontés à des problèmes similaires, sont qualifiés de terroristes et voient leurs terres converties et réquisitionnées. Une vague d’importation de riz et d’autres produits alimentaires à inondé le pays en raison des accords internationaux signés dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce, causant de graves dommages aux producteurs locaux d’aliments, principalement des femmes.
Nous discutons de stratégies dans les médias depuis un certain temps, compte tenu des campagnes électorales qui se déroulent aux Philippines. Nos demandes sont tout d’abord des subventions économiques adéquates, en particulier pour les personnes les plus marginalisées, telles que les survivantes de violences sexistes, les personnes handicapées, les LGBTQIA+, les autochtones, les musulmans et autres ; la prise en compte des besoins de santé spécifiques des femmes, tels que la santé sexuelle et reproductive ; la responsabilité du président Duterte et de son gouvernement pour les violations des droits humains ; et la mise en place de programmes complets destinés aux victimes de violence, y compris des programmes économiques.
Nous demandons également l’annulation de la loi antiterroriste promulguée l’année dernière et qui met en danger les défenseurs des droits humains. Nous voulons nous assurer que les lois qui protègent les droits des femmes pour lesquels nous luttons soient appliquées, et qu’elles constituent un soutien à l’emploi et à l’accès à une alimentation adéquate pendant la pandémie. Pour les communautés autochtones, nous voulons un gouvernement qui reconnaisse l’autodétermination et le développement adaptés aux besoins des personnes et non des entreprises, et qui se soucie de la nature et de l’environnement.
Nous voulons un gouvernement qui adopte une politique humaine, équitable et inclusive pour assurer une vie digne aux communautés autochtones et à toutes les personnes qui y vivent, y compris les femmes et les jeunes. Des formes de soutien à l’éducation, à la santé et aux moyens de subsistance doivent exister, car sans cela, la capacité de contribution des peuples autochtones est affectée ou affaiblie.
Il y a des pressions pour promouvoir des changements dans la législation et pour protéger le droit à l’organisation syndicale. Nous devons nous battre pour mettre fin à toutes les formes de discrimination, de harcèlement sexuel et de viol contre les travailleuses. Nous voulons mettre fin à toutes les formes d’emploi temporaire et veiller à ce que les organes législatifs de notre pays fournissent une assistance adéquate aux travailleuses et travailleurs formels et informels.
Les systèmes néolibéraux ont accentué le désespoir et l’insatisfaction de la population. Les forces d’extrême droite ont profité de cette insatisfaction et se sont approprié le langage des mouvements progressistes, amenant au pouvoir des gouvernements populistes qui se présentent comme des alternatives. Le capitalisme d’entreprise a bénéficié des assassinats et de la répression intense contre la résistance des mouvements sociaux. La Chine est devenue plus forte grâce à ses contributions indirectes dans l’administration de Duterte. Les capitalistes basés en Chine et aux Philippines continueront de financer la prochaine campagne électorale de Duterte, financement qui comprend les usines à trolls, ce qui contribue à inhiber l’action politique des jeunes.
Même sous la gestion de Biden, les États-Unis consolident leurs relations avec Duterte en négociant la suspension de la résiliation de l’accord militaire pour les forces armées en visite aux Philippines. Nous résistons et agissons contre le gouvernement de Duterte. Nous avons gagné à la Commission des droits humains, mais, comme nous le savons, le président jouit de l’immunité. Nous continuons d’intenter des actions devant la Cour pénale internationale. Nos demandes concernent non seulement les exécutions mais aussi le viol de femmes par les forces de l’État avec la permission de Duterte.
Nous poursuivons la reconstruction de la solidarité dans les communautés. Les femmes sont en train d’organiser des banques communautaires de produits biologiques et distribuent de la nourriture à la population dans le besoin. Nous conduisons des stratégies de réparations Tit for Tat destinées à la communication, conjointement aux veuves et orphelins d’exécutions extrajudiciaires. Nous nous engageons contre toutes les violations commises par Duterte et ses dirigeants. Nous continuons également à élargir nos alliances entre les groupes de femmes et descendons dans la rue pour proclamer la résistance des femmes !
Jean Enriquez