DE MANILLE
La présidente des Philippines, Gloria Macapagal-Arroyo, n’a pas réussi à réduire au silence l’opposition, qui l’accuse d’avoir truqué les élections de 2004. Les opposants estiment d’ailleurs que la présidente serait prête à recommencer lors des élections législatives prévues le 14 mai.
Pour Mme Arroyo, dont le mandat s’achève officiellement en 2010, ce scrutin est décisif. Si elle n’obtient pas le nombre de sièges suffisant pour disposer d’une majorité à la Chambre des représentants, l’opposition, enhardie par son succès, risque de relancer la procédure de destitution avec succès. Elle a déjà essayé à deux reprises de faire destituer la présidente pour fraude électorale et pour une série d’affaires de corruption touchant son entourage proche. Les deux procédures de destitution avaient échoué grâce au soutien des députés qui lui étaient fidèles.
Les représentants des petits partis sont les plus déterminés à faire tomber Mme Arroyo. A la veille du prochain scrutin, tous les regards sont tournés vers les candidats de ces formations puisque leur score pourrait être déterminant pour la réussite d’une éventuelle motion de censure contre la présidente.
Risque de soulèvement populaire
C’est dans ce contexte qu’apparaissent de nouvelles accusations contre le gouvernement, qui tenterait de profiter du système de proportionnelle pour court-circuiter une éventuelle procédure de destitution. Akbayan, un groupe dissident du parti de gauche Bayan Muna [Le peuple d’abord], opposé à Arroyo, a récemment mis en lumière une liste surprenante de petits partis jusqu’ici inconnus dont les candidats étaient soit des alliés biens connus de Mme Arroyo, soit recommandés par le Bureau des affaires extérieures, qui dépend du palais présidentiel.
Si la population a le sentiment que Mme Arroyo et ses alliés essaient de truquer les élections en sa faveur, la présidente risque de se heurter à un soulèvement populaire du même ordre que celui qui a provoqué en 2001 la chute de Joseph Estrada. [Des millions de Philippins étaient descendus dans la rue pour demander le départ du président Estrada pour corruption. Ces manifestations ont été nommées EDSA II, du nom de l’artère circulaire sur laquelle les manifestants s’étaient rassemblés et en souvenir de EDSA I, le soulèvement qui avait entraîné la chute du dictateur Marcos en 1986.] C’est un risque que son entourage prend apparemment très au sérieux.
En novembre dernier, les forces armées philippines ont déployé des soldats dans vingt-six quartiers pauvres de la banlieue de Manille, où les sondages faisaient état d’un très fort ressentiment à l’égard de la présidente. D’après des associations de gauche, très actives dans ces quartiers, les soldats ont malmené les personnes proches de la gauche et ont encouragé énergiquement les habitants à voter contre les partis qui font campagne contre le gouvernement.
Des hauts gradés ont démenti ces accusations et souligné que ces soldats avaient été déployés pour des travaux d’intérêt général. Des vidéos prises par des étudiants et une chaîne de télévision montrent cependant clairement les soldats en tenue de combat en train de conseiller à de pauvres gens de voter contre certains partis, en totale contradiction avec la prétendue neutralité politique de l’armée.
Cette affaire a été portée devant la Commission électorale (Comelec) – qui, pendant les élections, peut rappeler à l’ordre les forces armées –, mais n’a pas été suivie de condamnations. Au contraire, le directeur de la Comelec, Benjamin Abalos Sr, a classé l’affaire au motif que les gens devraient “être contents que les soldats soient là pour [les] protéger”. Rappelons que les six membres de la Comelec ont tous été nommés par la présidente. Alors que la Comelec ne s’est guère montrée pressée d’enquêter sur les cas de harcèlement dont seraient victimes les organisations de gauche et leurs partisans, elle n’a pas traîné pour donner des accréditations aux formations qui soutiennent ouvertement Mme Arroyo. La candidate du parti Akbayan, Loretta Ann Rosales, a recensé au moins onze nouveaux partis créés soit par les alliés de la présidente, soit par un bureau gouvernemental qui relève directement de l’autorité de Mme Arroyo. Dans le même temps, la Comelec a débouté des petits partis connus pour leur opposition à la présidente. Ainsi, le Mouvement pour la paix, la justice et le progrès, créé par l’ancien acteur et candidat malheureux à la présidentielle de 2004 Fernando Poe Jr, s’est vu refuser son accréditation. Comme pour donner raison à ses adversaires, Mme Arroyo parachute des candidats controversés dans certaines circonscriptions difficiles.
Ainsi, l’ancien directeur de la Commission électorale Virgilio Garcillano, qui, en 2004, dans une conversation téléphonique enregistrée avait assuré à Mme Arroyo qu’elle avait une avance de 1 million de voix sur Poe avant même que les résultats officiels ne soient publiés, vient de se présenter dans une province du sud du pays.
Attaques contre les candidats de gauche
Encore plus controversé, le général à la retraite Jovito Palparan, baptisé par la gauche “le boucher” pour le rôle qu’il aurait joué dans les assassinats de militants de gauche [voir CI n° 839, du 30 novembre 2006], est tête de liste de l’un de ces nouveaux partis et a promis que, s’il était élu, il ferait contrepoids à la gauche.
Parallèlement, le gouvernement mène une campagne de dénigrement contre les adversaires politiques de la présidente, en réactivant notamment d’anciennes affaires criminelles. Crispin Beltran de Anakpawis a passé plus d’un an en prison pour des accusations de rébellion qui remontent à plus de vingt ans. Il a été arrêté en février 2006 lors d’une tentative de coup d’Etat, selon le gouvernement.
Satur Ocampo, député de la formation de gauche Bayan Muna, a récemment été condamné dans une affaire de meurtre. Dans les années 1980, il aurait donné l’ordre de purger les guérillas communistes accusées d’espionnage contre le gouvernement. M. Ocampo a été libéré sous caution sur ordre de la Cour suprême, à cause d’un vice de procédure. Les deux hommes sont candidats aux élections. Mais, pour ceux qui s’opposent à la présidente, ce scrutin ressemble de plus en plus à un simulacre de démocratie.