Du côté de l’État, la même expression revient sur toutes les lèvres : « Il n’y a pas de bonne solution. » Alors que le ministre des outre-mer, Sébastien Lecornu, est en Nouvelle-Calédonie pour rencontrer ses différentes forces politiques, la pression s’accentue en coulisses autour du troisième et dernier référendum d’autodétermination, prévu par l’accord de Nouméa. Initialement fixé au 12 décembre, le scrutin est aujourd’hui menacé par la crise sanitaire.
En effet, en l’espace d’un petit mois, l’archipel du Pacifique, jusqu’alors épargné par la pandémie de Covid-19, a été submergé par le variant Delta. Le 10 octobre, on comptabilisait 9 166 cas confirmés, 55 patients en réanimation et 200 décès. Le confinement strict, décrété depuis le 7 septembre, vient d’être prolongé pour deux semaines. Alors que le Congrès a entériné l’obligation vaccinale – sans sanctions pour le moment –, moins d’un habitant sur deux présente un schéma vaccinal complet. La campagne référendaire, elle, a été stoppée net.
C’est dans ce contexte que le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) a réuni son bureau politique, mercredi 6 octobre, par visioconférence, comme l’explique NC la 1ère, qui a reçu l’un de ses membres, Jean Creugnet (Union nationale pour l’indépendance – UNI), le lendemain. « Si, aujourd’hui, le bureau politique du FLNKS, demande le report de cette date, c’est surtout parce qu’il nous semble malvenu de faire campagne au sein d’une Calédonie qui sortira meurtrie et divisée de cette crise sanitaire », a-t-il indiqué.
Pour l’heure, le FLNKS n’appelle pas au boycott du scrutin, mais le parti rappelle que l’objectif commun de tous les signataires de l’accord de Nouméa « est que les résultats de ces consultations soient incontestables et incontestés ». Or la pandémie laisse craindre aux indépendantistes une démobilisation des électeurs. Pour eux qui plaidaient déjà pour l’organisation de ce troisième référendum fin 2022, le report est donc indispensable.
De l’autre côté de l’échiquier politique, les non-indépendantistes poussent au contraire pour maintenir le scrutin à la date fixée en juin. « Les Calédoniens attendent de la visibilité, de sortir de la morosité dans laquelle ils sont depuis plusieurs années », a estimé Sonia Backès, présidente du parti Les Républicains (LR) calédoniens et présidente de la province Sud, lors d’une conférence de presse réunissant trois partis dits « loyalistes », le 5 octobre.
Derrière les résultats du troisième scrutin, le spectre de la contestation et de la division.
L’État, engagé comme partenaire dans le processus de décolonisation en cours depuis trente ans en Nouvelle-Calédonie, reste sur le principe d’un non-report, comme l’a confirmé Sébastien Lecornu dans Le Figaro. Et ce, d’autant plus que « l’épidémie décroît ». « Mais nous devons discuter de toutes les hypothèses. Si la situation sanitaire devait devenir hors de contrôle, il faudrait bien sûr reconfiner l’archipel et ajourner le référendum », a-t-il ajouté.
Emmanuel Macron, à qui reviendra in fine de prendre une décision, aimerait clore le dossier avant la fin du quinquennat. Son entourage insiste sur « les mois de négociations entre des gens qui ne sont pas d’accord » qui ont précédé le choix – déjà controversé – du 12 décembre. Ils soulignent, en outre, l’inconnue de la présidentielle de 2022 et le risque que les débats nationaux hystérisent un sujet qui nécessite un dialogue politique apaisé.
Pourtant, le maintien du scrutin n’est pas non plus sans risque. Dans une telle situation, ses résultats pourraient faire l’objet d’une contestation immédiate et ouvrir une nouvelle période de crise. Si les deux premières consultations ont été marquées par la victoire du « non » à l’indépendance, le « oui » a progresséun peu partout, laissant apparaître une véritable dynamique politique pour les indépendantistes, qui attendent forcément beaucoup du troisième référendum.
Déjà à la tête du Congrès, les indépendantistes ont pris, en juillet dernier et aprèscinq mois de vacance gouvernementale, la présidence du gouvernement collégial de la Nouvelle-Calédonie – Louis Mapou est le premier Kanak à accéder à cette fonction. Sur la question du maintien ou non du scrutin, il reste neutre, tout en reconnaissant que l’archipel « va se retrouver à la fin du mois d’octobre dans un calendrier contraint par rapport à la date qui est prévue ».
Sujet historiquement politique, le calendrier référendaire l’est d’autant plus en période de crise sanitaire, celle-ci venant « opportunément nourrir le camp du “non”, en mettant en lumière l’indispensable soutien financier et médical apporté par la métropole », comme le souligne l’historienne Isabelle Merle, spécialiste de l’histoire coloniale de la Nouvelle-Calédonie et directrice de recherche AMU-CNRS-EHESS Centre de recherche et de documentation sur l’Océanie.
« Devenir indépendant, cela signifie : ne plus dépendre de la France », avait d’ailleurs appuyé Sébastien Lecornu, dansLes Nouvelles calédoniennes, le 1er septembre. Et d’ajouter : « Le dire, est-ce de la propagande ? Pour moi, cela s’appelle : dire la vérité aux électeurs […]. En tant que ministre, mon devoir était de dire le droit. » Mais aussi de « s’assurer de l’organisation d’un débat démocratique dans les conditions les meilleures et les plus équitables », écrit Isabelle Merle, pour qui ces conditions ne sont pas remplies.
Dans l’appareil d’État, d’autres estiment qu’elles ne le seront pas plus dans un an, surtout au regard de la situation financière de l’archipel et après une présidentielle dont personne ne connaît l’issue. « Cette fin d’accord de Nouméa, c’est un désastre de toute façon, glisse un acteur du dossier calédonien. Il faut en sortir à présent. Après trente ans de processus, on n’échappera pas à une crise de sortie, quels que soient les résultats du scrutin. Il faudra forcément passer par une forme de catharsis. »
C’est là le véritable enjeu du déplacement de Sébastien Lecornu : tenter de « calmer les esprits », pour reprendre l’expression d’un conseiller de l’exécutif, afin d’anticiper les futures discussions sur l’avenir institutionnel de l’archipel. « Au-delà du référendum, nous devons déjà préparer le jour d’après pour préciser l’organisation politique de la Nouvelle-Calédonie française ou indépendante », prévient-il dans Le Figaro. Tous les scénariosfont l’objet d’une importante littérature depuis trente ans. Il convient désormais de la concrétiser.
Ellen Salvi